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LOI HPST : POURQUOI ÇA COINCE

Publié le 19 février 2011
Par Marie Luginsland
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Incurie ministérielle ou intransigeance des pharmaciens ? Dix-huit mois et un remaniement ministériel plus tard, aucune avancée n’est en vue dans l’application de la loi HPST.

Incompréhension. Impatience. Colère même. Ce sont les sentiments suscités dans la profession à l’évocation de la loi HPST (« Hôpital, patients, santé et territoires »), et particulièrement des alinéas 7 et 8 de l’article 38, soumis à décret. En effet, à ce jour, aucun décret d’application concernant les nouvelles missions du pharmacien n’a paru. Aucune information ne filtre du cabinet ministériel. Pas davantage de visibilité n’est donnée à la profession quant à un éventuel calendrier. « Ce mutisme est incompréhensible ! On ne nous donne aucun argument », décrit, non sans une pointe d’agacement, Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO.

Et pendant ce temps-là les médecins…

Des arguments, le ministère n’en manque pourtant pas face aux événements de ces derniers mois. Le 10 novembre dernier, lors de la 23e journée de l’Ordre, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait bien déclaré son intention de signer le jour même les trois décrets d’application (voir L’essentiel ci-contre). Mais c’était sans compter avec le remaniement ministériel survenu quatre jours plus tard, en pleine tourmente du Mediator. Ces prétextes semblent aujourd’hui bien fragiles aux pharmaciens qui voient les médecins obtenir gain de cause dans leurs négociations. Pas plus tard qu’à la mi-février, la proposition de loi Fourcade, sorte de mini-amendement à la loi HPST, a été discutée au Sénat. Elle propose ni plus ni moins de lever deux mesures : les pénalités financières pour les praticiens qui refuseront d’aider leurs confrères des zones désertifiées et l’obligation de déclarer leurs absences. Deux restrictions de leur exercice professionnel inscrites à la loi mais jamais appliquées faute de… décret ! Ces succès du corps médical ne font qu’amplifier l’impression d’injustice des pharmaciens, lesquels se sentent plus que jamais les laissés-pour-compte du système. Un sentiment renforcé dernièrement par le modèle des sociétés interprofessionnelles (SISA) qui invoque des questions de fiscalité pour exclure les pharmaciens de l’éducation thérapeutique au sein de ces structures.

Ça coince toujours sur la rémunération

L’inertie ministérielle n’est-elle pour autant que le reflet d’une mauvaise volonté politique ? Les représentations syndicales des pharmaciens reconnaissent qu’ils y sont aussi pour quelque chose. « Lorsque nous avons eu un entretien au ministère fin décembre, nous avions clairement déclaré que cela était inacceptable qu’il n’y ait pas de lien direct entre le décret et la question de la rémunération du pharmacien », admet Claude Japhet, président de l’UNPF. « Tant que l’approche économique n’est pas réglée, nous ne souhaitons pas la sortie des textes sur la préparation des doses à administrer liés à l’alinéa 8 », renchérit Philippe Gaertner, président de la FSPF.

On ne saurait être plus clair tant la question de la rémunération reste transversale au règlement des dossiers en cours : préparation des doses à administrer (PDA) mais aussi convention EHPAD/officines, statut du pharmacien correspondant et suivi du patient chronique… Autant de missions pour lesquelles les pharmaciens exigent une rémunération définie et établie sur l’ensemble du territoire.

Car les syndicats ne pointent pas tant du doigt l’absence de solutions que les inégalités de traitement sur le terrain et l’impression de disparités qui remontent des différentes expérimentations en cours. Claude Japhet ne mâche pas ses mots : « Tant qu’il n’y aura pas de schéma de politique nationale, notamment au niveau des agences régionales de santé, et de garantie de durabilité dans ce schéma directionnel national, nous allons nous faire avoir. » Et de prédire une catastrophe collective en l’absence d’une orientation nationale des expérimentations.

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Des expérimentations qui sont, elles aussi, identifiées comme un autre facteur de retard. Cela est particulièrement vrai dans le cadre de la convention type EHPAD. Car si ce dossier relève de la loi de financement de la Sécurité sociale, il n’en touche pas moins lui aussi les pharmaciens dans leur mode de rémunération. Or, là également, suite à la remise en septembre dernier du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales qui évoque le sujet des missions et de leur rémunération, l’expérience a été prolongée à la demande des députés. Une conclusion devrait être rendue fin avril. « Cependant, un an et demi nous sépare de la prochaine évaluation », déplore Philippe Gaertner, qui réitère son refus d’une rémunération forfaitisée et propose de créer d’ores et déjà un comité de suivi pharmacien référent/médecin coordinateur.

« 2011 ne doit pas être une année blanche »

En attendant, le temps passe et joue contre les pharmaciens. « Il y a certes une cohérence dans le calendrier car nous allons pouvoir négocier la convention alors que le budget du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2012 sera mis en place. Mais il ne faut pas s’attendre à avoir des résultats cette année », constate Claude Japhet, qui table sur une fenêtre allant de fin juin à début juillet pour obtenir davantage de visibilité.

Pour l’ensemble des représentants professionnels, il y a urgence aujourd’hui à débloquer la situation. Car, si comme en convient Philippe Gaertner, « la contrainte économique met un frein réel à l’avancée des textes », il est néanmoins essentiel d’avancer, « la situation économique de certains de nos confrères se dégradant de jour en jour. Le statu quo actuel est inacceptable ».

Gilles Bonnefond va plus loin et réclame un ballon d’oxygène. Il propose avant de faire profiter les pharmaciens pendant deux à trois ans des économies réalisées sur le générique. « Histoire de donner un coup de pouce à un réseau qui se paupérise », résume-t-il, prédisant qu’en l’absence de mesures, les pharmaciens « ne seront plus audibles quand les nouvelles missions leur seront confiées ». Et de conclure : « 2011 ne doit pas être une année blanche. »

L’ESSENTIEL

• Trois avancées importantes pour la profession sont aujourd’hui en attente :

• sur la préparation des doses à administrer (PDA),

• sur la convention type EHPAD/officines,

• sur les missions du pharmacien dans le cadre de la coordination entre les professionnels de santé (pharmacien correspondant).

• Les représentations professionnelles qui dénoncent l’inertie du ministère, souhaitent intégrer à ces dispositifs les conditions de leur rémunération.

• La négociation de la convention avec l’Assurance maladie en juin prochain pourrait dégeler la situation.

Ce que disent les alinéas 7 et 8 de la loi

Sur les huit missions confiées aux pharmaciens dans le cadre de l’article 38 de la loi HPST, deux seulement voient leurs conditions d’application fixées par un décret en Conseil d’Etat. L’alinéa 7 porte sur la désignation des pharmaciens comme correspondants au sein de l’équipe de soins par le patient. A ce titre, ils peuvent renouveler périodiquement des traitements chroniques, ajuster leur posologie et effectuer des bilans de médications.

L’alinéa 8 prévoit que les pharmaciens proposent des conseils et prestations destinés à favoriser le maintien de l’état de santé des personnes.

Voir aussi la fiche Moniteur Expert pp. 35