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Les touristes du paracétamol
On les appelle les touristes du paracétamol. Certains Européens n’ont pas attendu les accords de Schengen, pour jouer à saute-mouton sur les frontières. D’autant que le panier de la ménagère enrhumée fait état, à seulement quelques centaines de mètres de distance, de différences de prix de un à trois.
Entre Tourcoing et Mouscron, seul le lieu-dit le « Risquons- tout », témoigne encore de l’ancien poste frontière. Les Belges qui poursuivent leur chemin ne font que s’approvisionner en sirops et en pastilles français. « Ou encore en laxatifs. La boîte de Movicol est trois fois moins chère chez nous ! », ajoute Evelyne Herman, titulaire de la pharmacie de la rue de Gand à Neuville- en-Ferrain (59).
Si, les patients des chirurgiens n’hésitent pas à se rendre à Varsovie ou à Malaga pour une intervention, les touristes du paracétamol sont, eux, des frontaliers. Aucune montagne à franchir, tout au plus un fleuve pour les habitants des zones frontières qui souvent profitent d’un plein au supermarché local pour se fournir à l’officine voisine. A l’inverse des adeptes des achats de médicaments sur Internet – autre forme de tourisme médical bien que virtuel -, ils privilégient le commerce de proximité. Tout comme pour les autres produits de consommation courante et pour le carburant, les frontaliers jouent des disparités de prix d’un état membre à l’autre. En effet, si l’AMM répond le plus souvent à des critères communautaires, le prix du médicament reste, lui, bien national. Il dépend de la politique de remboursement de chacun des pays et, de manière plus générale, résulte du fait de politiques nationales spécifiques. Au nom du principe de subsidiarité, les décisions des états membres sont prééminentes sur celles de l’Union. Ainsi, dans l’Hexagone, les médicaments sont moins chers qu’en Belgique. Et de manière générale, il apparaît que la France possède les niveaux de prix les plus bas pour les médicaments d’ASMR Iv. Quand ce n’est pas tout simplement la variation du taux de TVA qui explique ces disparités. La France est avec l’Espagne, le Portugal et le Luxembourg, le pays européen où le médicament non remboursé est le moins imposé. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle soit la destination privilégiée des Italiens (TVA à 10 %), des Belges (6 %) et surtout des Allemands (19 %). Pour ces derniers qui doivent s’acquitter du même taux de TVA pour les médicaments remboursés en sus d’un ticket modérateur proportionnel au volume de la boîte (5 euros la ligne en moyenne), il est parfois rentable de se fournir en médicament remboursé en Alsace ou en Lorraine. La pilule contraceptive non remboursée en Outre-Rhin et a fortiori la contraception d’urgence – qui n’y est pas en vente libre – figurent au classement des meilleures ventes aux Allemands en France.
Ordonnances et recettes
Même chose pour l’OTC. Sur les listes d’achats de nos voisins belges et allemands, l’aspirine (jusqu’à 70 % moins chère en France), Voltarène, Synthol et Doliprane côtoient vins, fromages et foie gras. En retour, la phyto sous forme de comprimés de valériane, de gélules de millepertuis, de gouttes de mélisse ainsi que les produits « Heel », « Weleda » et autres « Wala » prennent le pont du Rhin entre Kehl et Strasbourg, direction la France. Outre-Quiévrain, les fleurs de Bach et les huiles essentielles font le bonheur des consommateurs français. Par ailleurs, les inducteurs de l’érection ou encore les traitements hormonaux substitutifs sont recherchés par les Français. « Livial par exemple coûte 48,80 euros pour trois mois chez nous », note une pharmacienne de Mouscron qui tient à garder l’anonymat. Elle ajoute que l’anéthole vendu par bouteille de 1 000 ml fait aussi partie des souvenirs que les Tourquennois aiment ramener au pays… Il n’est pas loin en effet le temps où des recettes de pastis chti s’échangeaient sous le manteau.
Au-delà du folklore, ces habitudes traduisent l’intérêt des Européens pour leur santé. Rares sont les cas de touristes pharmaceutiques acculés à franchir une frontière en cas de rupture de stocks comme ce fut récemment le cas de la Bavière qui, l’espace d’une semaine, a dû s’approvisionner en vaccins contre la grippe A H1N1 auprès de l’Autriche voisine. Le touriste pharmaceutique ordinaire, c’est aussi bien un malade chronique comme les diabétiques ou les hypertendus français qui se fournissent en appareils médicaux disponibles à un prix moins élevé en Allemagne que tout simplement un consommateur d’OTC averti.
Mais il n’y a pas que l’économie des coûts de santé que les patients trouvent chez leurs voisins étrangers. Ils viennent y chercher une compétence qui, de bouche à oreille, a franchi la frontière. Les pharmaciens belges et allemands souvent dotés de formations certifiées en aromathérapie et en homéopathie sont volontiers consultés par les patients français. Selon une enquête menée par le Centre européen des consommateurs France, en 2004-2005 sur vingt-cinq pharmacies françaises et allemandes, « les consommateurs français sont sensibles à la « consultation » offerte par les pharmaciens en Allemagne. Ce service très apprécié est dû notamment au fait que le pharmacien allemand est obligé de se démarquer positivement de ses concurrents dans un pays où l’installation est libre mais de facto soumise à une concurrence plus forte qu’en France. » « Mes clients alsaciens viennent souvent parce qu’ils se sentent plus écoutés. Ils se plaignent de l’orientation trop commerciale des pharmaciens français », confirme un titulaire allemand. Un constat pourtant démenti par une consoeur alsacienne (voir encadré). Avérée ou non, une compétence supérieure est attribuée de part et d’autre de la frontière au pharmacien « d’en face ». L’herbe est toujours plus verte dans le pré d’à côté. C’est donc sur le conseil et l’accueil que les officinaux frontaliers marquent volontairement leur différence. Force est de reconnaître que dans ces zones limitrophes, rien ne s’oppose à la fonction de conseil. Les barrières de la langue n’existent pas pour les officinaux qui peuvent très souvent s’exprimer dans la langue du voisin quand ce n’est pas le client qui utilise son idiome. Rodés à cette clientèle qui constitue parfois jusqu’à 40 % de leur chiffre d’affaires, la plupart des titulaires frontaliers ne rencontrent ainsi aucune difficulté. Capables de vérifier en un coup d’oeil l’authenticité de la prescription et l’identité du prescripteur, ils réalisent ainsi au quotidien, l’intégration européenne.
La confiance des Allemands
Isabelle Jaehn n’a pas de site Internet. Cette titulaire de la pharmacie de Lauterbourg, à un jet de pierre de l’Allemagne, ne peut, contrairement à ses confrères allemands, faire de la pub dans les journaux. Et pourtant, elle compte près de 20 % d’Allemands dans sa clientèle. Cette affluence reste un secret. « Le bouche à oreille, sans doute, et puis ils recherchent sur Internet les adresses des pharmacies françaises les plus proches », pense-t-elle. Les Allemands viennent pour les prix plus bas que chez eux : 20 à 30 euros de moins sur les antihypertenseurs par exemple. Ils raffolent de diététique et de gros conditionnements. Mais ce n’est pas la seule raison de leur incursion dans cette petite ville isolée du Bas-Rhin. « Ils me disent, chez vous au moins, on a du conseil », confie Isabelle Jaehn qui remarque que les clients allemands vouent beaucoup de respect à la profession. « Ils sont plus à l’écoute, moins critiques et nous font davantage confiance », constate-t-elle. Cette pratique bilatérale lui apporte par ailleurs une autre vision de son exercice. « Je suis obligée de réfléchir à la composition des produits. Face à une ordonnance allemande, je dois trouver des équivalences et faire appel à mes connaissances, sinon les rafraîchir. » Certaines molécules sont en effet plus fréquemment prescrites Outre-Rhin qu’elles ne le sont en France.
Le naturel des Français
Alors que l’étau de la concurrence se resserre de toute part sur les pharmaciens allemands, Gerald Albrecht, titulaire de la StadtApotheke, à Kehl en Allemagne, considère l’Hexagone comme un marché d’expansion possible. Ce Munichois, installé depuis sept ans aux portes de Strasbourg, a découvert ce potentiel grâce aux Alsaciens qui composent 30 % de sa clientèle. Et ne cesse depuis de pousser plus loin son avancée sur le sol français. « J’envoie même des produits jusqu’à Nice », déclare-t-il avec fierté. L’idée de s’investir dans ce créneau lui est venue de sa passion pour les cosmétiques naturels qui constituent aujourd’hui 20 % de son activité. Et aussi d’un constat : les Strasbourgeois n’hésitent pas à franchir le Rhin pour venir s’approvisionner dans l’une des huit marques de cosmétiques naturels qu’il détient dans son officine de la zone piétonnière. La phyto et l’homéopathie sont également les autres produits d’appel de la clientèle française. « Les homéopathes strasbourgeois envoient leurs patients en Allemagne », précise Gerald Albrecht. Il veille à ce qu’il y ait toujours un conseiller parlant français à l’officine. « Les Français sont très demandeurs de conseils », constate-t-il. Devenu très francophile, il distribue une carte de visite en français et il n’hésite pas – comme l’y autorise la déontologie allemande – à insérer des encarts publicitaires dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.
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