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Les pharmacies finiront-elles par faire une croix sur l’OTC ?
Selon une enquête de l’UFC-Que Choisir, près d’un pharmacien sur deux n’a pas rempli son « devoir de conseil » en vendant des médicaments non remboursables. Un résultat dont s’alarme l’association et qui l’incite à réclamer la libéralisation de la vente de l’OTC.
Mardi 27 mars, les pharmaciens étaient à la une. Pas pour leur future convention et leurs nouveaux modes de rémunération, mais pour leur « défaut de conseil ». L’UFC-Que Choisir a en effet révélé les résultats d’une enquête qu’elle a réalisée, du 23 au 31 décembre 2011 et du 19 au 21 janvier 2012, auprès de 648 pharmacies dans 37 villes de 17 départements. Le protocole était simple : l’achat d’une boîte d’Aspirine Upsa vitaminée C 330 mg et d’une boîte de Rhinureflex par une personne disant souffrir d’un rhume et être fatiguée. Un choix qui ne doit rien au hasard. L’association de ces deux médicaments est déconseillée ! De plus, le Rhinureflex a fait l’objet, en décembre 2011, d’une alerte de l’Afssaps sur la posologie et les contre-indications. L’enquête avait trois objectifs : vérifier la qualité du conseil du pharmacien lors de l’achat de ces médicaments sans ordonnance ; contrôler le respect des obligations sur la liberté des prix des médicaments non remboursables ; relever les prix de ces produits.
Pour l’UFC-Que Choisir, les résultats sont peu probants : seulement 52 % des pharmaciens ont spontanément mis en garde sur le risque d’interaction entre les deux médicaments ; 10 % l’ont fait après que l’enquêteur a demandé quelle était la posologie à respecter lors de la prise de ces médicaments ; 38 % n’ont fourni aucune information. A Paris (104 pharmacies sur les 648), ce défaut de conseil est encore plus flagrant : 64 % des pharmaciens n’ont rien dit sur l’interaction contre 48 % au niveau national, et 51 % après « relance » du faux patient.
Autre point noir pointé par l’association : 74 % des officinaux n’ont pas indiqué de façon spontanée la posologie maximale de Rhinureflex, malgré l’alerte de l’Afssaps. Et seuls 55 % ont conseillé de ne pas dépasser 4 comprimés par jour spontanément ou après la question de l’enquêteur. Selon un enquêteur ayant œuvré à Clermont-Ferrand, « concernant la posologie, le pharmacien m’a indiqué en me montrant l’endroit sur la boîte qu’il ne fallait pas dépasser 6 prises par jour, alors qu’il est écrit sur l’emballage à deux reprises : “sans dépasser 4 comprimés par jour” ! » Pour couronner le tout, 88 % des officinaux n’ont pas interrogé les acheteurs sur leurs antécédents médicaux.
« Une sacrée marge d’évolution »
Pour Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir, ce constat est « alarmant ». Et d’ajouter : « Quand Xavier Bertrand met sur la table le rôle des pharmaciens comme auxiliaires de santé, il y a une sacrée marge d’évolution pour les pharmaciens ! ». De quoi alimenter les doutes de Michel Caillaud, président de l’UNPF, qui estime que l’enquête paraît justement au moment où les pharmaciens sont en train de négocier la future convention pharmaceutique et de nouvelles missions : « Ce type d’enquête est sujette à caution, on peut piéger toutes les professions quelles qu’elles soient. » Gilles Bonnefond, président de l’USPO, évoque lui aussi un « piège ». Cet argument, Alain Bazot l’a anticipé lors d’une conférence de presse donnée par l’UFC-Que Choisir : « Le fait que les pharmaciens ressentent cela comme une agression, un piège, est symptomatique d’un état d’esprit qui pose problème. »
Jean-Charles Tellier, président de la section A, explique qu’il ne s’agit pas d’un défaut de conseil mais d’un manque de mise en garde. Poussés dans leurs retranchements, Gilles Bonnefond et Michel Caillaud admettent néanmoins le problème. « Je ne ferme pas les yeux, explique le président de l’USPO. Je veux tirer au maximum la profession vers le haut. Mon objectif, c’est connaître le parcours de soins et les antécédents du patient. Le dossier pharmaceutique permet de sécuriser l’acte de dispensation. » Même discours de la part de Michel Caillaud, qui reconnaît qu’il faut « améliorer notre exercice ». Philippe Gaertner, président de la FSPF, pose d’emblée le problème : « Si, effectivement, il y a des confrères qui ne mettent pas en garde systématiquement les patients quand il y a association de deux médicaments comme l’aspirine et l’ibuprofène, on ne peut que le regretter. Il faut systématiser l’alerte en automédication. »
Pour Que Choisir, l’antidote par les GMS
La solution que propose l’UFC-Que Choisir est radicale : libéraliser la vente des médicaments non remboursables dans des conditions encadrées : les parapharmacies et les grandes surfaces pourraient vendre l’OTC sous l’autorité d’un pharmacien diplômé et, en GMS, dans des espaces spécifiques avec un passage en caisse auprès du personnel de cet espace. En outre, pour ne pas inciter à la consommation, l’association prône l’interdiction de la publicité de ces médicaments auprès du grand public en dehors des lieux de vente afin de « réduire le pouvoir des marques », et la promotion de la dénomination commune internationale. L’information serait aussi renforcée par la présence sur les boîtes d’un encadré spécifiant les interactions et les principales contre-indications.
« Si on libéralise, il y aura une plus grande consommation. Le plus important, c’est le mésusage. Et je voudrais savoir si dans les parapharmacies, vu l’amplitude horaire, il y aura toujours un pharmacien présent », lance Gilles Bonnefond. « C’est contradictoire de libéraliser la vente de certains médicaments après toutes les affaires ! », relève Michel Caillaud. « Est-ce qu’on cherche à sécuriser la distribution ? La vente de l’OTC en grandes surfaces, même s’il y a une mise sous contrôle, cela ne servirait en rien la santé publique », estime Philippe Gaertner. « Le pharmacien salarié dans la grande distribution est payé en fonction du chiffre d’affaires… », souligne Jean-Charles Tellier, qui met aussi en avant, comme Michel Caillaud, la possibilité pour les pharmaciens de refuser de vendre.
Vers une italianisation de la pharmacie ?
« L’association se fait le porte-parole de la grande distribution », résume Gilles Bonnefond. Il faut dire que l’UFC-Que Choisir assortit ses propositions d’une simulation économique sur les conséquences d’une libéralisation (voir encadrés ci-contre). Elle s’appuie sur le modèle italien, soit 90 % de part de marché pour le réseau officinal et un prix de vente dans la grande distribution de 15 % en moyenne inférieur aux prix pratiqués en pharmacie.
Deux scénarios sont proposés : une baisse de prix de 10 % et une de 15 %. Dans le premier, les consommateurs gagneraient 187 M€ par an et chaque pharmacie perdrait 4 057 € de profit. Dans le second scénario, les gains s’élèveraient à 269 ? M€ et les pertes pour les pharmacies à 5 ? 495 €. « La marge brute dégagée par les pharmaciens en automédication resterait supérieure à celle de la vente de médicaments remboursables (entre 22,5 % et 26,8 %, contre 21,3 %) », argumente l’association, qui remarque également que la consommation dans les pays où la vente de l’OTC n’est pas réservée aux officines n’a pas augmenté. « La pharmacie resterait malgré la libéralisation un secteur en bonne santé, l’impact jouant principalement sur les pharmacies urbaines », a conclu Mathieu Escot, chargé de mission à l’UFC-Que Choisir.
Des écarts de prix importants
L’enquête de l’UFC-Que Choisir révèle également des écarts de prix importants entre officines, y compris entre celles d’une même rue. Ainsi, pour l’aspirine Upsa Vitamine C, le prix minimal est de 1,30 € et le prix maximal de 4,95 €, le prix moyen étant de 2,96 €. Autre problème pointé : celui de l’affichage des prix. Déjà, l’affiche qui mentionne « Le prix des médicaments non remboursables est libre », obligatoire depuis le 26 mars 2003, ne figure pas dans 89 % des officines visitées. Quant aux prix, ils sont affichés lisiblement dans 53 % d’entre elles, lisiblement pour une partie seulement des médicaments dans 11 % des cas et de façon pas très visible dans 24 % des pharmacies. Enfin, 12 % des officines n’affichent pas les prix. « Le prix dépend de celui auquel peut accéder le pharmacien, rappelle Philippe Gaertner (FSPF). Et l’enquête démontre qu’il y a plus de concurrence entre pharmacies qu’entre pharmacies et grande distribution. »
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