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Les missions, passionnément, à la folie, pas du tout
Principal enjeu de la convention nationale pharmaceutique de 2022, les nouvelles missions ont connu des fortunes diverses auprès des pharmaciens. Manque de bras, de temps et de moyens, lancements retardés… sans compter que le soufflé du Covid-19 n’est pas retombé : le chemin est encore long avant que les officines ne s’approprient pleinement ces activités. Mais des tendances se dessinent déjà.
La crise sanitaire alliée à celle de l’emploi en pharmacie a conduit les pharmaciens à faire des choix parmi les missions, plus ou moins nouvelles, qui leur sont confiées. « Le dépistage et la vaccination contre le Covid-19 ont mobilisé l’ensemble du temps pharmaceutique et la charge de travail ne permet pas d’alimenter d’autres actes », regrette Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Les missions intronisées par la convention nationale pharmaceutique entrée en vigueur en mai 2022 ont été retardées ou différées dans leur mise en place pour différentes raisons : attente de six mois entre la signature du texte conventionnel et sa promulgation, non-publication de textes réglementaires, formations tardives, épuisement des équipes après trois années de Covid-19, etc. Au grand jeu de l’appropriation (voir « Repères »), il y a donc autant de gagnants que de perdants..
Les incontournables
Avec une épidémie de grippe saisonnière exceptionnellement précoce et intense, la pharmacie réalise un nouveau record : 5,23 millions d’actes de vaccination antigrippale du 18 octobre au 31 décembre 2022, + 18,86 % par rapport à 2021, 48 % des injections pratiquées. « La vaccination antigrippale est le parfait exemple de service qui, avant le Covid-19, pouvait conduire les pharmaciens à s’interroger sur l’intérêt de réaliser cet acte de prévention, explique David Syr, directeur général adjoint de Gers Data. Depuis la pandémie, cette question ne se pose plus, la vaccination fait partie de leur quotidien, 90 % des officines vaccinent et, d’ici la fin de la campagne vaccinale, 50 % de ces actes seront réalisés par le réseau officinal. »
La téléconsultation en officine fait également partie des satisfactions de l’année écoulée au vu des évolutions du Gers. Elle se démocratise. « En 2022, 16 % des pharmacies (+ 1,5 point par rapport à 2021) ont effectué au moins une téléconsultation, livre David Syr. Les 25 % d’officines qui en font le plus réalisent en moyenne une téléconsultation tous les jours contre une tous les deux jours en 2021. » Revigorés par les recommandations émises pour faire face aux tensions sur l’amoxicilline, les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) angine bénéficient encore d’une marge de progression importante. « 6 € l’acte plus 1 € de test pour environ 20 minutes avec le patient, le compte n’y est pas. Ce dépistage doit être revalorisé », s’exclame Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Néanmoins, Philippe Besset pense que les Trod angine vont se développer dans l’avenir. « 2 000 à 3 000 officines en pratiquent déjà, mais on se heurte à un niveau de formation insuffisant. »
Celles qui ont bien démarré
L’entretien court de la femme enceinte et la remise du kit de dépistage du cancer colorectal sont partis en 2022 sur de bonnes bases. Ils ont en commun d’être des missions rapides et faciles à mettre en œuvre, avec un investissement de temps minime. Entre le 7 novembre et le 12 décembre, 400 pharmaciens ont effectué au moins un accompagnement et 800 actes ont été facturés à l’Assurance maladie. « Cet entretien de prévention et de bienveillance permet d’anticiper la prise en charge de la santé des femmes enceintes, il devrait donc bien fonctionner », pense David Syr. « Il faudrait pouvoir agir avec plus de précocité car son utilité est surtout dans les deux premiers mois de la grossesse », explique Philippe Besset.
A fin novembre, près de 13 400 pharmaciens ont souhaité obtenir des kits de dépistage du cancer colorectal et, sur les 491 060 commandés, 61 520 ont été remis à des patients éligibles. Cette activité s’inscrit dans la continuité et la dynamique du dépistage du Covid-19 en officine.
La vaccination de l’adulte et de l’adolescent à partir de 16 ans est aussi le fer de lance des nouvelles missions. Elle valorise à la fois l’image du pharmacien et se révèle lucrative pour son économie. Surtout, elle ne pose pas de contraintes nouvelles car le geste vaccinal est déjà acquis. Pas étonnant qu’elle ait le vent en poupe et que les premiers chiffres soient bons : 8 662 pharmaciens ont effectué un rappel vaccinal entre le 7 novembre et le 12 décembre, plus de 32 000 actes ont été facturés à l’Assurance maladie.
Celles qui ont commencé timidement
Véritable serpent de mer (loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009 puis loi Santé de 2019), le pharmacien correspondant a enfin pris corps l’an dernier, mais pas dans les meilleures conditions. Le bilan est famélique (une dizaine seulement de déclarations à fin novembre). « Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont des verrous qu’il faut faire sauter, elles ne couvrent que 30 % du territoire malgré les lettres d’intention d’en créer, déplore Pierre-Olivier Variot. Il faut évoluer rapidement vers l’équipe de soins coordonnée autour du patient (Escap) ! » De même, les protocoles nationaux d’urgence et de soins non programmés mis en place l’été dernier par François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention, n’ont pas eu la percée espérée. Plusieurs dizaines d’officines, répondant aux conditions définies, ont néanmoins pu jouer un rôle d’accès facilité aux soins. Dans un contexte de démarrage compliqué, on peut se dire que ce n’est pas si mal. « Il faut aussi que les protocoles de soins en urgence validés par la Haute Autorité de santé puissent être mis en œuvre par les pharmaciens hors exercice coordonné. A charge ensuite pour eux d’en informer le médecin », plaide Pierre-Olivier Variot.
La dispensation à l’unité des antibiotiques ne doit son décollage en fin d’année dernière qu’aux tensions sur l’amoxicilline (65 pharmaciens ont au moins facturé une dispensation à l’unité entre mai et novembre, 400 dispensations au cours de ce dernier mois). Les pharmaciens sont réticents aux nombreuses manipulations qu’elle implique, elle est chronophage, alors que les solutions sont à chercher du côté de l’industrie.
Celles qui ne décollent pas ou qui sont en baisse de régime
La dispensation chez le patient dans le cadre du programme d’accompagnement au retour à domicile (Prado) en sortie d’hospitalisation ne devrait guère susciter l’envie des pharmaciens car, au prix facturé à l’Assurance maladie (2,50 € TTC !), ce service n’est clairement pas rentable compte tenu des frais engagés (temps, déplacement d’un adjoint, consommation d’essence, etc.). « Son seul intérêt est de mettre en place la coordination ville-hôpital et de pouvoir récupérer les sorties d’ordonnances hospitalières », souligne Philippe Besset.
Alors que les entretiens pour patients sous chimiothérapie orale, officialisés en 2020, ont vu timidement le jour (seulement 316 officines en ont mené jusqu’ici, pour 530 actes facturés à l’Assurance maladie en 2022), les entretiens pharmaceutiques et les bilans partagés de médication (BPM), déjà mal embarqués avant le Covid-19, sont en perte de vitesse constante. Cette tendance ne devrait pas s’inverser tant qu’il n’y aura pas de simplification d’exécution. « Les entretiens et bilans restent très chronophages car les éditeurs de logiciels de gestion officinaux ne les ont pas intégrés dans l’outil de travail du pharmacien, déplore Philippe Besset. J’espère une nouvelle impulsion avec les logiciels du Ségur du numérique en santé. » « Nous avons commis une grosse erreur au lancement des BPM : la formation était bien trop compliquée par rapport à ce qu’on nous demandait de faire, alors qu’il suffisait de laisser le patient raconter sa vie avec les médicaments pour juger de son observance », concède Pierre-Olivier Variot.
Trier sur le comptoir
Le critère économique n’est pas seul à peser dans la décision de mettre en œuvre une mission. « Les pharmaciens font des choix de maximisation des services, en fonction des contraintes de ressources humaines, de rentabilité et de préservation de la santé des équipes, observe David Syr, directeur général adjoint de Gers Data. Ils ont pris conscience que l’officine est devenue un pôle de santé de premier recours occupant l’espace humain et géographique, une porte d’entrée aux soins, avec ou sans rendez-vous, une gare de triage où l’on prend en charge la santé du patient. » Concernant les services, « le pharmacien trouve un juste équilibre entre le souci d’apporter une réponse au besoin du patient et ce qui peut être le plus intéressant pour son entreprise ».
À RETENIR
Vaccination, Trod angine et téléconsultations sont les missions qui ont percé à l’officine, portées par les contraintes du moment : Covid-19 et rupture de stock d’amoxicilline.
Les missions rapides et faciles à instaurer tirent leur épingle du jeu : entretien court de la femme enceinte, remise du kit de dépistage du cancer colorectal.
Manque de rentabilité (entretiens pharmaceutiques, dispensation à domicile, etc.), chronophagie (dispensation à l’unité, entretiens, etc.), contraintes administratives comme participer à un exercice coordonné (pharmacien correspondant) sont autant de freins qui expliquent la réticence à aller vers certaines missions.
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