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Les médicaments, moyen de pression politique et économique

Publié le 13 novembre 2010
Par Magali Clausener
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En réponse aux propositions économiques du gouvernement, la FSPF et l’UNPF invitent les pharmaciens à utiliser les médicaments pour faire pression sur les pouvoirs publics. Quitte à se faite tancer par l’Assurance maladie.

Considérant le plan ministériel d’aide au réseau officinal « insuffisant et incohérent », la FSPF donnait, le 4 novembre dernier, la « consigne immédiate de délivrance, pour toute ordonnance prescrivant du paracétamol et dans le respect des mentions figurant sur l’ordonnance (forme, posologie…), de la spécialité pharmaceutique la moins chère au regard des spécialités remboursables disponibles ». En clair, il s’agit de substituer Doliprane, Efferalgan ou Dafalgan. Et, selon Philippe Gaertner, président de la FSPF, de « mettre le ministère de la Santé face à ses incohérences », notamment quant à la non-inscription du paracétamol (342 millions de boîtes prescrites par an pour plus de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires, d’après la FSPF) au Répertoire des génériques. Une action qui, pour Philippe Gaertner, ne devrait déclencher aucun courroux de l’Assurance maladie.

Cinq jours plus tard, l’UNPF dénonçait « l’immobilisme » du gouvernement en matière de marge, et demandait à tous les pharmaciens de « ne plus appliquer les termes de l’accord conventionnel avec l’Assurance maladie sur les objectifs de substitution générique pour 2010, tant au plan national que départemental ou même individuel ». « Nous ne demandons pas d’arrêter la substitution mais de ne substituer que les molécules qui font gagner de l’argent aux pharmaciens, détaille Claude Japhet, président de l’UNPF. Nous n’avons plus de temps à perdre au comptoir. Certaines substitutions sont difficiles à expliquer aux patients et nécessitent beaucoup d’investissement de la part du pharmacien. Et tout cela pour gagner deux francs six sous ! »

Politique de la chaise vide pour les objectifs de substitution

Plus question donc pour l’UNPF de viser les 80 % de substitution, objectif de l’accord conventionnel. Sans toutefois se mettre hors la loi. « Les pharmaciens sont contrôlés lorsque le taux de substitution est inférieur à 55 %… Si, par notre action, le taux baisse de 5 à 10 points, nous ne serons pas dans un cadre illégal… », remarque Claude Japhet, qui menace de ne pas participer aux prochaines négociations sur les objectifs de substitution en janvier 2011 (comme la FSPF, dont l’assemblée générale les 23 et 24 novembre prochain entérinera ou non la décision). Une vision qui risque de pas être partagée par l’Assurance maladie, notamment par la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, confrontée à une stagnation du taux de substitution (voir ci-contre).

Mais ces deux actions montrent que les médicaments, et en l’occurrence les génériques, deviennent un moyen de pression économique et bien sûr politique de plus en plus utilisé par l’ensemble des acteurs. Dans le cas de la FSPF et l’UNPF, il s’agit d’interpeller les pouvoirs publics, quitte à se faire tancer par Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS. Claude Japhet s’attend d’ailleurs à être convoqué par l’Assurance maladie… De son côté, en proposant de nouveaux TFR à 24 mois afin de compenser une hausse du forfait à la boîte, le ministère de la Santé met aussi la pression sur les officinaux. Et utilise les génériques comme une monnaie d’échange. Sans oublier les PLFSS successifs dont les mesures visent désormais régulièrement les médicaments. Et le PLFSS 2011 n’échappe évidemment pas à ce phénomène avec le moindre remboursement des médicaments à 35 % et les taxes sur les médicaments orphelins (voir ci-dessous).

Un calendrier qui semble impossible à tenir

Et les patients ? Ne sont-ils pas aussi « pris en otage », à l’instar des médicaments ? « Les assurés sont aussi des patients, rappelle Fabien Badinier, directeur de la gestion du risque et de la communication de la CPAM-92. Vont-ils comprendre pourquoi leur pharmacien ne substitue plus un médicament et, trois mois après, leur propose de nouveau le générique ? » Déjà, la situation ne semble pas forcément claire aux yeux des professionnels. « On substitue ce qui n’est pas substituable (le paracétamol), au risque d’ailleurs d’avoir Sanofi et Bristol-Myers Squibb(1) contre nous, et on ne substitue plus ce qui est substituable, résume Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. Ces actions risquent à long terme de laisser des traces sur la fiabilité de la profession. Cela nous donne une image détestable. » Et d’ajouter : « On va droit au TFR généralisé(2), contre lequel je me bats. »

Pour l’heure, Gilles Bonnefond, comme Philippe Gaertner et Claude Japhet, attend que le ministère de la Santé fixe la date de la réunion sur la marge, qui était prévue avant la mi-novembre. Le calendrier semble impossible à tenir. La ministre est peut-être en train de préparer ses cartons, les rumeurs évoquant un remaniement ministériel à partir du 16 novembre. Quant au médicament, il devrait survivre… Après des années de « prise d’otage » économique et politique.

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(1) A noter que Bristol-Myers Squibb a sorti sous la marque Upsa deux nouvelles présentations de Dafalgan (comprimés effervescents dosés à 500 mg et comprimés effervescents dosés à 1 000 mg) au prix de 1,68 euro la boîte. Le laboratoire veut ainsi favoriser la prescription des médecins et la délivrance de ces deux spécialités par les pharmaciens.

(2) L’USPO a lancé une enquête auprès des pharmaciens : « Acceptez-vous la mise en place d’un TFR sur les molécules fortement substituées ? ». sur 2 500 répondants, 99,15 % se déclarent contre une telle mise en place.

Dernière minute

Trois nouveaux décrets

Lors de la 23e Journée de l’Ordre, le 10 novembre, Roselyne Bachelot a annoncé qu’elle signait le jour même trois décrets : sur la préparation des doses à administrer – qui « va permettre aux pharmaciens de préparer en toute légalité des piluliers » –, sur la convention type EHPAD – officines et sur les missions du pharmacien dans le cadre de la coordination entre professionnels de santé (pharmacien correspondant).

PLFSS 2011

Les principales mesures du PLFSS 2011 concernant les médicaments :

• diminution de 35 % à 30 % du remboursement des médicaments avec une vignette bleue ;

• diminution du niveau de prise en charge des dispositifs médicaux de 65 % à 60 % ;

• instauration d’un forfait de prise en charge pour les bandelettes de test de la glycémie pour les patients diabétiques non insulinodépendants (diabète de type 2).

Amendements adoptés par l’Assemblée nationale avant le vote en première lecture :

• prolongation jusqu’au 1er janvier 2013 de la réintroduction des médicaments dans le forfait de soins global des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ;

• possibilité pour plusieurs EHPAD de constituer une PUI reportée au 1er janvier 2013 ;

• obligation de délivrance du dispositif médical le plus économique ;

• gel pendant 5 ans des licences libérées suite à un regroupement d’officines ;

• remises plafonnées à 17 % des spécialités inscrites au Répertoire des génériques.

Amendements adoptés au Sénat avant le vote en seconde lecture :

• prise en compte des recommandations de la Haute Autorité de santé pour la fixation ou la révision du prix des médicaments ;

• rétablissement (après la suppression à l’Assemblée nationale) de l’article qui fixe un seuil pour les exonérations de taxes sur les médicaments orphelins.

Arnaud Cristinelli