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LES MÉDECINS ALLEMANDS N’EN VEULENT PLUS
Le tiers payant intégral chez les médecins de ville, que le gouvernement français veut généraliser en 2017, est la règle pour l’immense majorité des assurés allemands. Les médecins libéraux le contestent pour ses effets pervers sur la consommation de soins.
Aller chez le médecin sans dérembourser un cent, c’est le quotidien des Allemands… depuis la généralisation de l’assurance maladie en 1911. 90 % des assurés ne voient jamais une feuille de soins et ne connaissent pas le tarif de la consultation. Pour les 124 000 médecins de ville, le tiers payant intégral est la principale rémunération (69 % des recettes). Leurs autres sources de revenus dites « privées » sont les paiements directs des patients des caisses maladie privées (10 % des assurés) ainsi que les actes non remboursés par l’assurance maladie acquittés par tous les assurés. Alors que les médecins français protestent contre un risque de « dépendance » envers les caisses d’assurance maladie instauré dans le système français, les médecins allemands ont depuis longtemps trouvé la parade pour ne pas être en relation directe avec les caisses.
Un paiement indépendant des caisses
Dans chaque Land, c’est un organisme autogéré par la profession, l’association des médecins conventionnés (Kassenärztliche Vereinigung ou KV), qui joue les intermédiaires depuis plus de 80 ans. La KV verse par trimestre à chaque praticien une somme correspondant à son activité prévisible, une procédure assurée par des centres informatiques rodés. Le calcul est complexe, basé sur un forfait par patient (variable selon les Länder) et sur l’activité de l’année passée. S’y ajoutent des rémunérations des actes spécifiques (vaccinations, patients chroniques par exemple). Le montant du forfait évolue chaque année en fonction de l’enveloppe des honoraires médicaux, négociée au niveau national par la fédération des KV.
Le système a l’avantage d’être visible pour le médecin. « Je sais à l’avance combien je vais recevoir, témoigne Gabriele Strunz, généraliste depuis 1984 dans un quartier populaire de Berlin. L’ordinateur s’occupe de transmettre mes données d’activité, je n’ai pas à m’en préoccuper. » Le hic, c’est qu’un médecin qui augmente son activité est payé avec un décalage… et souvent pas du tout ! L’enveloppe des honoraires étant fermée, quand tout est dépensé les actes additionnels ne sont plus payés. Le syndicat des médecins libéraux NAV-Virchow-Bund estime ainsi que 20 % des actes sont effectués gratuitement.
L’Allemagne, un pays surconsommateur de soins
« Nous demandons l’arrêt du tiers payant depuis des années. Nos recettes sont toujours en décalage par rapport à notre activité, souligne Dirk Heinrich, président du syndicat NAV-Virchow-Bund. L’adoption du remboursement des dépenses serait la meilleure façon de parvenir à un système transparent et équitable. » Par ailleurs, il déplore également la « mentalité forfait illimité » chez de nombreux patients. « Les Allemands consultent en moyenne 18 fois par an un médecin de ville. Ils sont en tête de tous les Européens », souligne-t-il, en s’appuyant sur des études de la Fédération des KV et de l’assurance maladie. C’est en partie parce qu’ils n’ont pas conscience des coûts et du caractère limité du budget. »
La généraliste de Berlin, elle, n’est pas de cet avis, estimant que le tiers payant est fondamental pour l’accès aux soins. « Dans le quartier où j’exerce, les gens ne viennent pas pour rien. » En revanche, le Dr Strunz déplore de travailler sans être rémunérée pour une partie de son activité mais « le système est comme ça ». Pour Dirk Heinrich, le statut libéral des médecins est clairement mis à mal par le tiers payant. « La liberté d’organiser notre pratique médicale est fortement contrainte par cette pression économique permanente. Pour nous, la protection du statut libéral, c’est aussi reprendre le contrôle de la rémunération des médecins. » De fait, les médecins affectionnent les recettes « privées » qui sont en augmentation constante (22 % en 2003, 28 % en 2011).
Face à ces demandes, l’assurance maladie reste de marbre. « Le tiers payant est un pilier fondamental de notre système obligatoire. Il épargne une surcharge financière aux personnes socialement défavorisées », souligne la porte-parole de la fédération des caisses (GKV-Spitzenverband), Ann Marini. La critique sur la non-conscience des coûts par les assurés n’est pas infondée, reconnaît-elle, « mais ce n’est pas une raison suffisante pour supprimer le tiers payant ». Les caisses doivent poursuivre leur « travail d’explication » et les médecins ont leur part de pédagogie à assurer.
Les pharmaciens en relation frontale
Comme en France, les pharmaciens allemands sont réglés directement par les caisses. Et elles sont très promptes à refuser un paiement si elles jugent une ordonnance non valable, même sur des erreurs d’écriture anodines. Cette pratique (la « retaxation »), « empoisonne le quotidien », témoigne Nicolaus Weigl, titulaire à Neubourg-sur-le-Danube. « Une caisse peut refuser un paiement jusqu’à un an après la délivrance pour un vice de forme. » Sa pire expérience a été une commande de 4 500 € de vaccins jamais réglée parce que l’ordinateur du médecin, défectueux, avait oublié d’inscrire la date sur l’ordonnance. Même si les montants non payés par l’assurance maladie ne sont pas considérables, le pharmacien doit prévoir un contrôle interne coûteux de la conformité des ordonnances s’il veut éviter des retenues trop nombreuses.
FRANCELes complémentaires s’engagent sur un nouveau système
Le nouveau système de tiers payant sera simple comme une carte bancaire », répète depuis le début de l’année le président de la Mutualité française, Etienne Caniard, aux médecins, toujours mobilisés contre sa généralisation en 2017 prévue par le projet de loi santé. Les trois familles de complémentaire santé (Mutualité française, Centre technique des institutions de prévoyance et Fédération française des sociétés d’assurances) ont trouvé un accord, vendredi 6 février, qui décrit plus précisément ce système – qui pourrait concerner également les pharmaciens – et son calendrier de déploiement. Les complémentaires santé s’engagent sur « une garantie de paiement obtenue grâce à la reconnaissance automatique des droits du patient ».
« A partir de la carte Vitale, le professionnel de santé pourra vérifier les droits des assurés », affirme Etienne Caniard. S’ils sont ouverts, il pourra pratiquer le tiers payant intégral. Et s’il y a une erreur dans la notification des droits, les complémentaires l’assumeront financièrement. « L’objectif est d’atteindre moins de1 % d’incidents pour les professionnels de santé. » Les complémentaires s’engagent également sur les délais de paiement et la mise en place d’une assistance en ligne, en particulier un « point de contact unique et multicanal ». Pour y parvenir, elles vont créer, dans les semaines à venir, une association destinée à piloter le dispositif qui sera ouvert fin 2015, testé et amélioré en 2016, pour être généralisé au 1er janvier 2017, comme le prévoit l’actuel projet de loi. La FSPF exprime des réticences. « Notre tiers payant marche, nous ne voulons pas l’abandonner pour un hypothétique système, explique François Martial, vice-président en charge de la protection sociale. Mais nous rencontrons les complémentaires, et nous sommes prêts à améliorer ce qui marche, notamment la vérification des droits et la garantie de paiement. »
Caroline Coq-Chodorge
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