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Les médecins à fleur de peau
Après l’échec des négociations entre les syndicats de médecins et l’Assurance maladie, l’Union française pour une médecine libre-syndicat incite les médecins à couper les ponts avec la Sécurité sociale. Quelles seraient les conséquences d’un déconventionnement massif ?
Ils étaient près de 1 800 médecins à participer aux assises du déconventionnement, organisées les 3 et 4 mars à Paris par l’Union française pour une médecine libre-syndicat (UFML-S). Un succès pour l’organisme de défense des intérêts des médecins généralistes. Ces assises étaient en fait le point d’orgue des négociations conventionnelles particulièrement houleuses avec l’Assurance maladie et de leur échec. Les syndicats médicaux, généralistes et spécialistes, ont tous en effet refusé de signer la nouvelle convention. Dans un contexte marqué par l’essoufflement du système de santé, un mécontentement général des professionnels de santé et l’inflation, le déconventionnement apparaît alors comme une solution pour certains médecins, en particulier pour l’UFML-S, mais aussi pour la Fédération des médecins de France (FMF).
Des droits et des devoirs
L’adhésion à la convention médicale implique effectivement certaines contraintes pour les médecins dont des tarifs de consultation encadrés, mais aussi des déclarations et des indicateurs à atteindre pour percevoir la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp). Pour la nouvelle convention, l’Assurance maladie voulait mettre en œuvre une approche fondée sur des contreparties, ou des « droits et devoirs ». Elle proposait ainsi un « contrat d’engagement territorial ». Le médecin généraliste traitant ou spécialiste signant ce contrat devait s’engager dans une action de son choix au sein de quatre thématiques : accès aux soins, accès aux soins urgents, accès financier, engagement populationnel. Par exemple, un médecin généraliste acceptait d’atteindre un niveau minimal de file active de patients ou bien de devenir le médecin traitant de nouveaux patients adressés par la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Dans le cadre de l’accès aux soins urgents, il aurait pu opter pour la permanence des soins ambulatoires (PDSA), le service d’accès aux soins (SAS) ou ouvrir son cabinet le samedi matin. L’engagement populationnel consistait notamment à exercer le rôle de maître de stage ou encore participer à « une réserve libérale sur sollicitation de l’agence régionale de santé (ARS), en cas de besoins de renfort exceptionnel (périodes épidémiques ou de vacances scolaires) ». Dans l’accès financier, le médecin généraliste adhérait au secteur 1 – tarifs conventionnés sans dépassement d’honoraires – ou réalisait un seuil minimal de consultations à tarif opposable. Un tel contrat était également proposé aux médecins spécialistes avec certains items différents (ouverture du cabinet cinq jours par semaine, par exemple).
Bien que ce contrat d’engagement territorial soit optionnel, il était, pour l’ensemble des syndicats, trop contraignant. En outre, la revalorisation des tarifs était bien trop faible : 1,50 €, soit 26,50 € la consultation, alors que des syndicats proposaient un tarif de 50 €. Enfin, la simplification administrative, tant réclamée par les praticiens, n’aurait pas été immédiate : l’Assurance maladie « s’engageait » dans cette voie mais certaines mesures nécessitaient un peu de temps.
Surtout, pour les médecins, la convention médicale telle que voulue par l’Assurance maladie non seulement ne répondait pas aux demandes de la profession mais ne comportait pas d’éléments pour rendre la profession attractive et encourager les jeunes professionnels à s’installer.
Les grands perdants du hors convention sont…
Mais, concrètement, que signifie le déconventionnement ? Le médecin doit tout d’abord faire une demande de déconventionnement à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) dont il dépend. Une fois que la CPAM a acté sa démarche, le médecin sort du système d’assurance maladie. Il peut par conséquent pratiquer des tarifs totalement libres, avec dépassement d’honoraires. Il n’est plus soumis à l’obligation de télétransmission des feuilles de soins et dispose de feuille de soins papier mentionnant son statut « hors convention ». En revanche, il peut être déclaré comme médecin traitant par ses patients. Selon l’Assurance maladie, le médecin déconventionné peut toujours accéder aux services amelipro, alimenter et consulter le dossier médical partagé (DMP) des patients et élaborer des ordonnances numériques. « Le déconventionnement ne correspond pas à une interdiction d’exercice. Les médecins déconventionnés peuvent toujours continuer de prendre en charge des patients et, dans ce cadre, utiliser les services évoqués ci-dessus », précise l’Assurance maladie. Un médecin déconventionné a également la possibilité d’intégrer une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) et une CPTS. Enfin, « les prescriptions des médecins non conventionnés sont prises en charge dans les conditions de droit commun », souligne l’organisme de santé. Le déconventionnement d’un médecin n’a donc aucun impact sur le pharmacien et son exercice.
En revanche, si le patient continue d’être pris en charge pour les produits de santé et les prestations (soins paramédicaux, transports, examens médicaux, etc.) qui lui sont prescrits, il ne sera quasiment plus remboursé pour les consultations. « Les soins délivrés par un médecin non conventionné sont remboursés sur des tarifs d’autorité très faibles », explique l’Assurance maladie. Soit 0,61 € par consultation.
Les patients sont donc les grands perdants, en particulier si les honoraires s’élèvent à 50 €. Les associations de patients et certains syndicats médicaux dénoncent ainsi une médecine qui serait à deux vitesses. Agnès Giannotti, présidente de MG France, la fédération française des médecins généralistes, voit aussi dans le déconventionnement un risque de financiarisation de la médecine libérale si les médecins « se mettent entre les mains des fonds de pension ou des assurances ». « Nous sommes attachés à un système national solidaire et financier », souligne-t-elle, même si elle reconnaît que cette idée de déconventionnement est « le marqueur d’une colère et d’un ressentiment de la profession ». Discours partagé par la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) : « Nous sommes opposés au déconventionnement. Aller voir un médecin déconventionné, c’est accepter de payer la totalité de la consultation. C’est une condition d’exclusion », déclare Franck Devulder, président de la CSMF, qui souhaite lui aussi « une rénovation du pacte social ».
Un enjeu syndical
Des arguments que réfute Jérôme Marty, président de l’UFML-S. « Nous nous donnons 18 mois pour réunir 15 000 médecins ayant l’intention de se déconventionner. Nous pourrons alors déposer un recours devant le Conseil d’Etat afin de supprimer le décret qui instaure le tarif d’autorité, détaille-t-il. Il n’y a en effet aucune raison que les patients des médecins déconventionnés ne soient pas remboursés comme ceux des médecins conventionnés. Il y a déjà eu un recours déposé en 2005 et le Conseil d’Etat l’a rejeté en avançant l’argument de la rareté des médecins non conventionnés. Si nous sommes nombreux, cet argument tombe. »
En fait, le Conseil d’Etat a rendu deux décisions en 2003 et 2005 concernant le tarif d’autorité. Dans celle de 2005, il explique, en résumé, que « le législateur a prévu qu’une tarification particulière, dite tarif d’autorité, s’appliquerait aux patients qui ont décidé de ne pas recourir, comme ils ont la possibilité de le faire, aux soins d’un praticien conventionné » et que le principe d’égalité n’est pas remis en cause. « L’argument selon lequel il y aurait rupture d’égalité à l’accès aux soins est inexact dès lors que l’offre de soins permet aux patients de choisir entre une prise en charge conventionnée ou non conventionnée, souligne Me Jean-Charles Scotti, avocat au barreau de Marseille (Bouches-du-Rhône). Si d’aventure un nombre conséquent de praticiens devait se déconventionner, la possible rupture serait consécutive à une décision collective médicale dont l’objectif serait exclusivement syndical et en réalité économique de sorte que l’on pourrait qualifier la démarche d’abus de droit, ce qui constitue une faute civile ouvrant droit à indemnisation au profit du groupe lésé et représenté par la CPAM ». Autrement dit, si un groupe important de médecins se déconventionnent, Sécurité sociale et patients pourraient se retourner contre les médecins.
Depuis le 10 mars, plus de 1 400 médecins ont déposé leur lettre d’intention de déconventionnement sur le site deconventionnement.fr, lancé par l’UFML-S. Jérôme Marty reconnaît que ce nombre stagne malgré des webinaires organisés tous les dimanches. Le syndicat va d’ailleurs organiser des assises du déconventionnement régionales ; les premières auront lieu le 10 juin à Lyon (Rhône). L’objectif de 15 000 médecins peut-il être atteint ? Les intentions doivent aussi se transformer en acte.
Les négociations conventionnelles entre l’Assurance maladie et les médecins se sont soldées par un échec : les médecins refusent en bloc les propositions de l’Assurance maladie. Certains médecins prônent le déconventionnement.
Des syndicats espèrent un déconventionnement collectif pour peser dans les négociations, mais ce n’est pas sans risque pour les médecins.
Les patients ne seraient quasiment plus remboursés des consultations des médecins déconventionnés. Les produits de santé et des actes prescrits resteraient pris en charge par l’Assurance maladie. Un médecin déconventionné peut être médecin traitant et peut rester dans la structure d’exercice coordonné.
À retenir
Les négociations conventionnelles entre l’Assurance maladie et les médecins se sont soldées par un échec : les médecins refusent en bloc les propositions de l’Assurance maladie. Certains médecins prônent le déconventionnement.
Des syndicats espèrent un déconventionnement collectif pour peser dans les négociations, mais ce n’est pas sans risque pour les médecins.
Les patients ne seraient quasiment plus remboursés des consultations des médecins déconventionnés. Les produits de santé et des actes prescrits resteraient pris en charge par l’Assurance maladie. Un médecin déconventionné peut être médecin traitant et peut rester dans la structure d’exercice coordonné.
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