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Les comptes des 1 001 gardes de nuit
Si les médecins sont parvenus en 2002 à ne plus rendre leurs gardes de nuit obligatoires, les pharmaciens commencent tout juste à s’approprier cette question. Dans les départements touchés par les déserts médicaux, les tours de garde reviennent à une fréquence jugée trop importante. Les syndicats réclament une redéfinition de la sectorisation et une revalorisation de la rémunération.
Certes, le sujet n’est pas prévu dans les négociations conventionnelles entre les pharmaciens et l’Assurance maladie, mais il turlupine de plus en plus les syndicats. Au point de les empêcher de dormir ? Presque. A cause des fermetures d’officines, faute de repreneurs, la charge devient de plus en plus lourde pour certains titulaires implantés dans des déserts médicaux. Cercle peu vertueux : le rythme des tours de garde s’accélérant, les jeunes générations rechignent de plus en plus à s’y installer.
Encore à mille lieues d’exiger l’abrogation de l’obligation des gardes obtenue par les praticiens en 2002, les syndicats souhaitent néanmoins la mise en place de certains aménagements semblables à ceux de leurs confrères médecins. Ces derniers ont obtenu la possibilité de couper leur téléphone à partir de minuit sur une grande partie du territoire. Mais surtout, depuis une vingtaine d’années, ils sont parvenus à augmenter la taille des secteurs d’astreinte et donc à limiter leur nombre. Résultat ? La valse des vigies s’est elle aussi ralentie. En 2022, on dénombrait ainsi 1 428 secteurs de garde de médecine générale les week-ends et jours fériés, 1 292 entre 20 heures et minuit et seulement 320 en seconde partie de nuit. « A l’instar des médecins, nous souhaitons restreindre le nombre de secteurs et instaurer la notion de “nuit profonde” afin de limiter la cadence usante des gardes en particulier dans les zones où les pharmacies sont peu nombreuses », souligne Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Une valse des rondes au ralenti
Dans des départements touchés par les fermetures d’officines, des pharmaciens ont déjà pris les choses en main. Si le nombre de secteurs est certes établi nationalement selon un plafond figurant dans la convention avec l’Assurance maladie – soit un maximum de 1 150 secteurs pour les nuits et de 1 450 secteurs pour les dimanches et jours fériés –, rien n’interdit les syndicats départementaux de les redéfinir à la baisse après consultation et approbation de leurs confrères. Ainsi, depuis le 1er janvier dans le Maine-et-Loire, le nombre de secteurs est passé de 13 à 6. « Avant ce redécoupage, certains pharmaciens étaient de garde chaque semaine. La carte de sectorisation datait de 1999 ! Elle ne prenait donc pas en compte l’évolution des ouvertures ou fermetures d’officines sur le département », déplore Denis Macé, président de la chambre syndicale des pharmaciens du département (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, FSPF), trésorier de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) Pays de la Loire et titulaire de l’une des trois officines de Beaucouzé. Pour redessiner la carte, le syndicat départemental s’est appuyé sur la localisation de l’offre de soins (densité médicale, hôpitaux, maisons de garde, etc.) et sur les voies de communication. « Pour l’agence régionale de santé (ARS), la priorité était d’offrir une accessibilité maximale aux patients en leur permettant d’atteindre la pharmacie de garde en moins de 20 minutes. De notre côté, nous avons plaidé pour prendre en compte les départements contigus. La Mayenne avait déjà revu ses secteurs et la Vendée opérait cette révision simultanément à la nôtre », poursuit le pharmacien. Résultat ? L’aménagement a limité les « veilles » à une vingtaine de fois par an par officine. Raisonnable, donc.
La pharmacie d’urgence attend son créneau
Dans l’Allier, les représentants de l’USPO ont aussi pris le problème de la sectorisation à bras-le-corps. Ils ont établi un questionnaire à l’attention de tous les titulaires du département pour documenter le type de médicaments et de produits délivrés après minuit. « Trop de pharmaciens étaient épuisés après des gardes trop rapprochées nécessitant d’enchaîner journée de travail, nuit de veille et journée de présence à l’officine », décrit Bénédicte Bidet, titulaire à Montluçon et coprésidente de l’USPO 03. A la lecture des résultats, après une réflexion collégiale avec la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), l’ARS, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les syndicats de médecins, les hôpitaux et le service d’aide médicale urgente (Samu), la garde a été maintenue en l’état jusqu’à 1 heure du matin, heure à laquelle les derniers patients vus par les médecins de garde arrivent. « Mais pour les suivantes, il a été décidé de passer en mode “nuit profonde”. Nous avons donc découpé le département en trois secteurs au lieu de 13 », détaille la pharmacienne. Parallèlement, un dispositif de régulation a été mis en place avec les hôpitaux. Avant l’arrivée d’un patient, les médecins hospitaliers de Moulins, Vichy et Montluçon préviennent le pharmacien de garde grâce à un numéro unique (qui renvoie au portable du pharmacien de garde). Ce tri entre les urgences réelles et la bobologie était nécessaire. Dans les faits, les besoins en médicaments « indispensables », en deuxième partie de nuit, sont rares. « Aujourd’hui, l’hôpital nous confie essentiellement des patients souffrant d’infections urinaires. Evidemment, dans ce cas précis, la mise en place d’un traitement rapide est nécessaire », estime la pharmacienne. Sans doute amenée à être dupliquée dans d’autres territoires, cette initiative limite le nombre de visites à l’officine pour des motifs saugrenus. Un sujet de crispation pour nombre de pharmaciens, surtout depuis la condamnation en février 2024 d’un pharmacien des Pays de la Loire par la chambre disciplinaire de l’Ordre à une interdiction d’exercer pendant une semaine avec sursis. En 2020, il avait refusé d’ouvrir son officine, lors d’une garde, pour délivrer un tire-tique destiné à retirer le parasite du cou d’un enfant de 19 mois. Si l’Ordre a choisi de ne pas commenter officiellement sa décision, de nombreux titulaires, eux, dénoncent des abus de plus en plus fréquents. En Savoie, par exemple, les 223 officines de garde du département auraient connu une hausse de la fréquentation de 25 % entre 2021 et 2022. En décembre 2022, en guise de soutien tacite, la CPAM de Savoie a émis un communiqué rappelant aux assurés une évidence : « La pharmacie de garde, qu’on se le dise, c’est la pharmacie d’urgence ». Un rappel de savoir-vivre nécessaire « pour inciter aux bonnes pratiques », estimait alors la caisse.
Ouvrir les yeux sur les rémunérations
Pour autant, le ouf de soulagement n’est pas total. D’abord parce qu’il n’y a pas de politique homogène et nationale sur les conduites à tenir. Mais surtout parce que les majorations d’honoraires de dispensation en gardes de nuit n’ont pas été réévaluées depuis 2012 et celle des indemnités d’astreinte depuis 2019. « Ces gardes constituent un sacrifice. Elles ont une incidence sur la vie personnelle des titulaires et membres de l’officine. Les pouvoirs publics doivent absolument susciter l’envie de chacun de continuer à adhérer à ce dispositif indispensable en les revalorisant », pointent en chœur Philippe Besset et Pierre-Olivier Variot, respectivement présidents de la FSPF et de l’USPO. Un effort financier gagnant-gagnant. Car, à terme, cette revalorisation pourrait assurer une source de revenus supplémentaires aux officines fragilisées et donc favoriser la pérennité du maillage territorial. Le 19 mars dernier, le sujet économique a donc été évoqué au cours des réunions bilatérales des négociations conventionnelles. Main dans la main, les deux syndicats ont réclamé une revalorisation de la majoration d’honoraires de 30 %, afin de passer de 2 € (honoraires de garde les jours, en dehors des jours et heures normaux d’ouverture de 8 h à 20 h), 5 € (honoraires de garde les dimanches et jours fériés de 8 h à 20 h) et 8 € (honoraires de garde la nuit de 20 h à 8 h) à 3 €, 7 € et 10 €. Des coûts, potentiellement pris en charge, selon eux, pour moitié par l’Assurance maladie et les complémentaires. Ils ont également demandé une revalorisation conséquente des indemnités d’astreinte (190 € actuellement), notamment pour la « nuit profonde ». Un groupe de travail est amené à plancher rapidement sur ces sujets en vue d’un accord avant la fin des négociations conventionnelles. En attendant le verdict final, le volet sécuritaire n’est pas oublié. Les syndicats se félicitent de l’efficacité du numéro 32 37 : « C’est un premier filtre très utile permettant de prendre la mesure de l’état d’esprit potentiellement belliqueux de certains patients », souligne Philippe Besset. Des échanges vont être poursuivis avec les forces de l’ordre, car les agressions et incivilités sont encore plus fréquentes lors des périodes nocturnes. L’heure du grand réveil a sonné !
A retenir
– Le nombre de secteurs de garde sur le territoire national devrait continuer à diminuer progressivement.
– Une distinction entre le début de soirée et la « nuit profonde » est souhaitée par les syndicats de la profession.
– L’USPO et la FSPF réclament une redéfinition de la notion d’urgence pharmaceutique.
– Des expérimentations sur la régulation de l’accès des patients ont débuté dans différents départements.
– Les syndicats réclament une revalorisation de la majoration d’honoraires de 30 % et une seconde, conséquente, des indemnités d’astreintes, notamment pour la « nuit profonde ».
– Un groupe de travail va être lancé sur le sujet en vue d’un accord avant la fin des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie.
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