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L’ENJEU D’UNE LOI
Conditionner le remboursement des dispositifs médicaux et des médicaments à leur utilisation effective ? Impossible,a tranché le Conseil d’Etat concernant les premiers, tant que la notion d’observance n’a pas de cadre légal. Flicage, logique comptable ou opportunité d’éducation thérapeutique, le débat ne fait que commencer.
Les ministres de la Santé et du Budget n’ont pas compétence pour subordonner le remboursement d’un dispositif médical à l’observance du traitement par le patient, ils excèdent ce faisant les dispositions actuelles du Code de la sécurité sociale. Le 28 novembre dernier, le Conseil d’Etat a ainsi annulé les deux arrêtés ministériels qui entendaient lier observance du traitement nocturne par pression positive continue (PPC) et remboursement des patients apnéiques. Cette victoire de la Fédération française des associations et amicales de malades insuffisants ou handicapés respiratoires (FFAAIR) n’a cependant pas clos le débat. Bien au contraire, les pneumologues et les patients eux-mêmes refusent de jeter le bébé avec l’eau du bain et les bénéfices de la télémédecine avec leurs craintes de flicage des non-observants.
Lors du Congrès de pneumologie de langue française le 3 février, la Fédération française de pneumologie et la FFAAIR ont annoncé travailler conjointement sur « une organisation réaliste » de la télésurveillance de la PPC « remettant le patient et la qualité des soins au centre ». Des propositions communes et notamment un code de gouvernance seront présentées à l’Assurance maladie et au ministère.
Si le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) campe sur son hostilité à la « pénalisation des patients », il souligne en revanche que les incitations positives à l’observance sont encore peu pratiquées en France. L’Assurance maladie a mis en place les programmes Sophia pour les diabétiques et Prado pour les jeunes mères, certaines associations assurent des programmes de soutien à l’observance et certains services hospitaliers rappellent à leurs patients qu’ils ont un traitement à prendre par SMS, mais le pas de l’incitation financière n’a pas été franchi, contrairement à certains de nos voisins. Une étude publiée la semaine dernière dans le British Medical Journal et menée auprès de 612 femmes enceintes fumeuses montre que leur proposer jusqu’à 532 euros en bons d’achat a permis de multiplier par 2,65 leurs chances de réussir à arrêter de fumer avant la fin de leur grossesse.
Des arguments avant tout économiques
En France, l’Assurance maladie et le Comité économique des produits de santé (CEPS) s’intéressent également de près à l’observance, mais pas exactement dans cette logique de récompense des patients observants. « Un patient avec un appareil de PPC, c’est 1 000 euros par an pour la Sécurité sociale et sa mutuelle, chiffre André Tanti, vice-président du CEPS en charge du dispositif médical. Nous aurons bientôt 1 million de patients sous PPC, soit 1milliard d’euros par an. Si 20 % d’entre eux ne se servent pas de leur appareil, c’est 200 millions d’euros gaspillés, ce n’est tout de même pas négligeable ! »
Un argument comptable repris par les industriels, qui insistent sur l’importance de ce gisement d’économies pour assurer le financement de leurs innovations. « Mais nous ne sommes pas dupes, prévient Christian Saout, secrétaire général du CISS. Il est éminemment regrettable que la question de l’observance soit ainsi résumée à la rémunération d’industriels soucieux de vendre du service après-vente via des plates-formes téléphoniques. » Le CISS prépare donc des recommandations citoyennes sur l’observance, attendues avant l’été (lire p. 13). « Mais s’opposer à la surveillance de l’observance revient in fine à donner un blanc-seing aux mauvais prestataires. Ils touchent de l’argent pour des machines qui ne tombent jamais en panne, pour lesquels l’utilisateur n’a jamais besoin de conseils ou de nouveau masque, c’est tout bénéfice pour eux », rétorque André Tanti.
La Fédération de pneumologie compte quant à elle déposer d’ici 4 mois de nouveaux arguments dans la balance en dévoilant les résultats de son étude médicoéconomique visant à évaluer l’apport de la télémédecine dans la prise en charge des patients apnéiques.
Faudrait-il seulement surveiller ou bien punir ?
Les parlementaires sont évidemment sensibles au coût financier de la non-observance mais semblent décidés à se saisir plus globalement du débat. « J’ai écrit à la ministre mi-janvier que la Loi de santé me semblait une opportunité législative pour permettre le télésuivi avec pour double objectif d’améliorer la prise en charge des patients et l’efficience du système de santé », confie le socialiste Gérard Bapt. Télésuivi plutôt qu’observance, pas question en effet d’ouvrir une brèche dans la loi. « Il ne serait question que des dispositifs médicaux, absolument pas du médicament. Il faut donc un texte qui borne les choses très précisément », insiste le député.
Car la non-observance ne concerne évidemment pas que les apnéiques du sommeil et leur PPC. Un récent sondage IMS Health estime l’observance moyenne à 40 % chez les principaux malades chroniques (HTA, diabète, asthme…). Inscrire l’observance dans la loi et y subordonner le remboursement apparaît donc comme le premier pas sur une pente glissante. « Un patient qui a une cirrhose du foie et qui continue à boire, faut-il le greffer ou pas ? Un patient qui continue à fumer après un cancer du poumon, est-ce qu’on le traite si son cancer récidive ? Le spectre de l’observance va très loin, c’est justement pour cela qu’il faut que le législateur pose des bornes, sinon tout le monde ne les posera pas au même endroit, selon qu’il soit patient ou assureur », prévient André Tanti.
Les parlementaires affirment également rester vigilants quant au flicage de ces e-patients. « Un texte bien fait permettrait au contraire de faire de cette surveillance une vraie opportunité d’éducation thérapeutique », note Gérard Bapt. « Mais aussi de faire passer un message pédagogique sur le fait que le manque d’observance expose d’abord le patient à l’absence de résultat thérapeutique avant même de parler de remboursement », renchérit Jean-Pierre Door, député UMP, lui aussi partisan d’une discussion sur ce sujet dès l’arrivée de la future Loi de santé en commission des Affaires sociales le mois prochain.
Pour l’heure, la ministre de la Santé n’a pas pris de position officielle. Elle assure les uns qu’elle s’opposera à toute pénalisation des patients et évoque avec d’autres la possibilité de confier à un expert le soin d’enquêter sur ce qui serait le meilleur dispositif. Les discussions autour de la Loi de santé s’annoncent décidément très mouvementées.
Des recommandations citoyennes en préparation
« Nous voulons que le débat sur l’observance soit réellement ouvert, pas que l’on se contente de cette vision punitive pour les patients », affirme Christian Saout, secrétaire général du CISS. Le CISS prépare en effet une démarche au de la recommandation citoyenne, du débat d’experts et de la mobilisation sociale. Entre mars et mai, les parties prenantes industrielles (médicament, dispositif médical et e-santé) vont être auditionnées.
Le 1er juin se tiendra un grand colloque pour présenter les principaux termes du débat sur l’observance : économiques, juridiques, éthiques… Un panel d’une cinquantaine de patients constitué par le CISS aura alors une quinzaine de jours pour élaborer des recommandations citoyennes : Qu’est-il légitime de faire ? Quelles doivent être les valeurs qui inspirent le soutien à l’observance ? « Nous ne nous laisserons pas faire, avertit Christian Saout. Nous entendons faire valoir haut et fort l’avis des citoyens sur ces questions essentielles ! »
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