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L’eau malade des médicaments
Très médiatisés pour leurs effets spectaculaires sur la faune, les résidus de médicaments dans l’eau méritent de l’être également pour leurs conséquences à long terme sur la santé humaine. Un sujet qui commence à décanter du côté des scientifiques et des pouvoirs publics, un plan national sur ce thème devant voir le jour cette année. Une nouvelle prise de conscience qui en appelle aussi aux pharmaciens dans leur rôle d’éducation au bon usage du médicament et de récupération des MNU.
Alerte à tous les propriétaires de chiens et chats sous chimio ! Un décret, qui devrait entrer en application en 2012, prévoit que les vétérinaires les informent désormais sur la nécessité de collecter les excrétats et de ne pas les jeter dans les égouts. « Il est bizarre que l’on ne prenne pas les mêmes précautions avec les excrétats humains, s’étonne Olivier Toma, président du C2DS (Comité pour le développement durable en santé), sachant que les chimiothérapies à domicile augmentent de 10 à 15 % par an ! »
Les anticancéreux ne sont pas les seuls médicaments à constituer un risque pour l’environnement par leur contamination de l’hydrosphère, notamment en France, premier pays européen pour la consommation d’antibiotiques et d’hormones.
40 classes thérapeutiques dans les eaux de toutes natures
En 2008 déjà, un rapport de l’Académie nationale de pharmacie avait identifié les rejets naturels des patients auprès des autres sources de pollution plus connues : rejets industriels et élimination des MNU dans les canalisations et les déchets ménagers. Attestant de la présence de 40 classes thérapeutiques dans les eaux de toutes natures, le rapport faisait état de concentrations de l’ordre du ng/l de substances médicamenteuses et de leurs dérivés dans les eaux superficielles et les eaux destinées à la consommation humaine. Dans les affluents et les eaux résiduaires, ces concentrations atteignaient parfois jusqu’à plusieurs centaines de mg/l.
Ce rapport concluait en recommandant d’intensifier la recherche fondamentale et finalisée et de développer de tests globaux de toxicité, « en particulier pour les substances cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction ». Il exhortait par ailleurs les pouvoirs publics à « renforcer la prise en compte dans les dossiers d’AMM des impacts chroniques et aigus des médicaments sur l’environnement ». Parallèlement, l’Académie nationale de pharmacie signalait l’émergence d’une problématique sanitaire globale alors que seuls les effets des résidus sur la faune étaient jusqu’alors ciblés.
De fait, depuis un quart de siècle déjà, on sait que la pollution de l’eau par le médicament est la cause de la féminisation des poissons et des tendances homosexuelles de l’ibis. Trente espèces animales au total sont concernées par des perturbations endocriniennes. Pourtant, près de trois ans après la publication du rapport de l’Académie nationale de pharmacie, le Plan national sur les résidus des médicaments (PNRM), qui aurait dû en être la conséquence, n’est toujours pas mis en œuvre. Prévu pour septembre 2010, il a été retardé puis ajourné suite au remaniement ministériel. Et le ministère de la Santé reste très évasif sur sa date de sortie. Pendant ce temps, établissements hospitaliers, maisons de retraite, industrie du médicament et médecine de ville continuent de rejeter de façon chronique ou occasionnelle des excrétats contenant antibiotiques, anti-inflammatoires, anticancéreux, œstrogènes, nanoparticules, patchs transdermiques…
La France en retard sur ses voisins européens
Certes, l’article 198(1) du Grenelle II de l’environnement est entré en vigueur au 1er janvier 2011, stipulant que « toute personne physique ou morale qui fabrique […] des produits chimiques pouvant présenter un risque significatif pour la santé et l’environnement est tenue de prendre en charge […] par des sociétés spécialisées, la collecte et le traitement des déchets ménagers desdits produits (contenants et contenus). Ces produits doivent faire l’objet d’une signalétique appropriée afin d’éviter aux usagers de les faire collecter en mélange avec les déchets municipaux résiduels ». Mais, de toute évidence, les métabolites échappent à cette obligation. Une indifférence des pouvoirs publics qui étonne d’autant plus que des pays comme la Suède ou l’Allemagne ont mis des dispositifs de collecte des excrétats en milieu hospitalier.
En France, les milieux médicaux commencent néanmoins à s’intéresser de près au sujet, les stations d’épuration n’étant toujours pas capables d’éradiquer les traces de médicaments dans les eaux usées. « Il existe un malaise chez les professionnels de santé qui, tous les jours, manipulent des produits hospitaliers estampillés nocifs pour les organismes aquatiques », confirme Olivier Toma. Depuis octobre 2010, un hôpital toulousain dispose d’un prototype d’épuration destiné à l’élimination des résidus de médicaments présents dans les eaux usées. « La présence d’une station d’épuration au sein d’un établissement hospitalier pose question en matière sanitaire », objecte pourtant Yves Levi, professeur de santé publique et de risques environnementaux à la faculté de pharmacie Paris-Sud/XI.
A trop vouloir préserver l’environnement, en viendrait-on à en oublier l’homme ? De même, dans l’usage du médicament, il ne faut pas perdre de vue le rapport bénéfice patient/risque environnement. Ces limites s’imposent alors que les études d’impact sur la santé humaine n’en sont qu’à leurs balbutiements. Du reste, contrairement aux conséquences établies sur la faune, les effets des résidus du médicament sur la santé de l’homme sont encore à démontrer. En l’état actuel de la recherche, la résistance aux antibiotiques ou les perturbations endocriniennes par absorption d’eau semblent improbables au vu des dosages prélevés dans l’eau : 1 000 à 10 000 fois plus faibles que la posologie initiale. D’où la fameuse formule proclamée dans tous les congrès sur le sujet : il faudrait boire un milliard de litres d’eau pour absorber l’équivalent d’un comprimé d’aspirine…
Autant de données qui font affirmer aujourd’hui aux experts que les résidus du médicament dans l’eau entraînent des problèmes environnementaux avérés, mais qu’ils ne constituent pas – encore – un problème de santé publique. Tout au moins en ce qui concerne l’eau de boisson, filière bénéficiant d’un traitement sophistiqué dans notre pays. Certains fabricants d’eaux minérales tel Nestlé aident d’ailleurs financièrement les exploitants agricoles qui cultivent sans pesticide et nitrate. « L’eau potable est aujourd’hui de très bonne qualité car nous disposons de traitements efficaces, tout au moins en ce qui concerne notre pays », affirme Yves Levi. « On peut d’ores et déjà affirmer qu’aucun risque lié aux résidus de médicaments n’est encouru par la consommation d’eau du robinet. La polémique est définitivement close », renchérit Jean-Marie Haguenoer, président de la commission Santé et environnement de l’Académie nationale de Pharmacie et coauteur du rapport de 2008.
Aucune donnée concernant l’exposition sur le long terme
C’est bien aujourd’hui la seule certitude. Car, pour le reste, les experts nagent encore entre deux eaux. « C’est sur les stations d’épuration et notamment au niveau des boues d’épandage qu’il faudrait agir, estime Philippe Hartemann, professeur de santé publique à la faculté de médecine de Nancy et chef du service d’hygiène du CHU de Nancy. Selon deux études, les nanoparticules, en l’occurrence la toxicité du nanoargent, très soluble dans l’eau, soulèvent également de nombreuses interrogations (2). » Autant d’inconnues qui ne manquent pas d’interpeller la communauté scientifique. D’autant que l’état actuel de la science ne dispose d’aucune donnée concernant l’exposition sur le long terme de l’homme aux eaux contaminées par le médicament : eaux souterraines, eaux de surface, eaux usées retraitées dans les stations d’épuration ou encore boues d’épandage provenant de ces mêmes stations et qui servent aux cultures, la contamination des aliments par le sol n’ayant pas encore donné lieu à des investigations. De même, aucune étude ne s’est encore penchée sur les conséquences de l’association des médicaments entre eux avec d’autres micropolluants, ou encore avec le chlore utilisé dans les processus de potabilisation. Ni sur les risques de potentialisation de leur toxicité, une fois dilués dans l’eau. Ni davantage sur la chronicité de ces rejets.
Il est vrai que la traçabilité est récente et que les méthodes scientifiques ne se sont véritablement développées que depuis 2004. A ce jour, seuls 300 principes actifs sur 2 500 ont fait l’objet d’études. Etudes dont 30 % se concentraient sur une cible de… dix molécules. « Or, il ne s’agissait pas forcément des plus prescrites mais de celles que les analyses étaient à même de mesurer ! », relève Benoît Roig, chef de file du programme européen Knappe (« Knowledge and Need Assessment on Pharmaceutical Products in Environnemental Waters »).
L’hôpital responsable de seulement 15 ?% des pollutions
Entre 2007 et 2008, le programme Knappe a porté sur l’identification des actions prioritaires à mener pour limiter l’impact des produits pharmaceutiques dans l’environnement. « Les tests en vigueur pour les pesticides et autres micropolluants ne sont pas valables pour le médicament dont le mode d’action n’est pas comparable », précise Benoît Roig. D’où l’intérêt des études qui viennent de débuter dans le cadre des programmes européens Pharmas et Cytothreat. Pendant trois ans, elles se consacreront, avec des méthodes adaptées, au suivi des effets sur le long terme d’anticancéreux et d’antibiotiques (dont la tétracycline, la doxycycline, la lévofloxacine, la Nétromicine ou encore le méthotrexate).
Tandis que les scientifiques sondent plus profondément la question, d’autres solutions font surface pour endiguer les risques de pollution dès la conception du médicament. Depuis 2006, l’impact environnemental est pris en compte dans l’AMM. Toutefois, les experts déplorent de ne pas y avoir accès.
De son côté, le prescripteur peut détenir un rôle d’arbitrage en sélectionnant les principes actifs les moins nocifs pour l’environnement. C’est ainsi que la Suède a mis au point l’indice PBT (voir encadré p. 24). Sans se donner ce rôle de censeur, le dispensateur peut lui aussi influer sur la délivrance. Car la médecine de ville est bien davantage que l’hôpital source de pollution. En effet, en ce qui concerne les effluents liquides hospitaliers, Philippe Hartemann rappelle qu’une étude menée en 2009 a évalué à 15 % au maximum la contribution de l’hôpital dans la pollution par le médicament de l’eau (à l’exception de la triméthoprime et de la roxithromycine, pour lesquelles la part était respectivement de 18 et 56 %).
Le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, qui a participé au comité national de pilotage chargé de l’élaboration du PNRM, a saisi l’enjeu que représentaient les actes de dispensation et de délivrance : ils permettent de veiller au bon usage du médicament et de lutter contre les redondances. L’institution ordinale propose par ailleurs que le réseau des officines s’investisse dans deux axes : en jouant son rôle d’éducation et en intensifiant la reprise des MNU. Et incite les pharmaciens à faire leur révolution verte.
(1) Article L . 541-10-4 modifié par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 (art. 198).
(2) « Determination of pharmaceutical compounds in hospital effluents and their contribution to wastewater treatment works », Katherine H. Langford and Kevin V. Thomas, Norwegian Institute for Water Research, mars 2009 ; « Determining the fraction of pharmaceutical residues in wastewater originating from a hospital », Christoph Ort et al., « Water Research », vol. 44, janvier 2010.
Sondage directmecida
Sondage réalisé par téléphone entre le 12 et le 13 janvier 2011 sur un échantillon de 100 pharmaciens titulaires représentatifs en fonction de la répartition géographique et du chiffre d’affaires de l’officine.
Selon vous, le pharmacien d’officine doit-il se sentir directement concerné par la question de la pollution environnementale par les médicaments ?
Si oui, seriez-vous prêt à agir ?
Sinon, estimez-vous que cette question est du ressort :
Pensez-vous que l’impact sur l’environnement et particulièrement sur l’eau devrait être évalué avant la mise sur le marché d’une molécule ?
Sentez-vous les patients concernés par la question de la pollution médicamenteuse environnementale ?
Quand les MNU refont surface
L’association Cyclamed, du temps où elle avait une motivation première humanitaire, atteignait un taux de 11 % de retour des MNU. Cyclamed 2, dont le but est aujourd’hui uniquement environnemental, touche 13 % des MNU. La sensibilisation des titulaires à la reprise des MNU et leur investissement varient toutefois d’une région à l’autre. En la matière, Midi-Pyrénées, le Limousin et le Nord-Pas-de-Calais sont les régions les plus en pointe. « Nous sommes depuis très longtemps impliqués, et chez nos clients cela est devenu un geste naturel que de nous rapporter leurs médicaments », rapporte Yves Tarnaud, président du conseil régional de l’Ordre du Limousin. Dans le Nord, Emmanuel Bay, titulaire de la Pharmacie de l’Hôtel de Ville à Tourcoing, a distribué dernièrement 1 000 sacs en papier kraft recyclables à ses clients dans le cadre d’une action de son groupement en partenariat avec Sandoz. Il en a récupéré plus de 1 000 encore pleins à craquer de médicaments non usagés. « Cette action m’a donné le temps d’y penser. Je reconnais qu’on ne pense pas toujours à dire au client de nous ramener le médicament, reconnaît-il. J’ai participé à cette opération en tant que pharmacien mais aussi en tant que citoyen. »
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