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Le XXIe siè cle sera-t-il infectieux ?
L’humanité, qui a derrière elle une longue histoire de conflits avec les microbes, n’en a pas fini avec ses démons infectieux. Les récents épisodes du SRAS et de la grippe aviaire sont venus le lui rappeler. Les plans antipandémie mis en place par les autorités sanitaires suffiront-ils ?
Un état de paix armée »… Cette définition n’est pas tirée d’un manuel d’histoire. Elle a été donnée, lors de la réunion du Groupe d’étude et d’information sur la grippe en septembre dernier, pour qualifier une période interpandémique. Car non content de nous envahir tous les ans lors d’épidémies hivernales, le virus de la grippe peut aussi nous réserver des assauts de plus grande ampleur. C’est le risque pandémique, permanent.
Sylvie Van der Werf, directrice du Centre national de référence sur la grippe et les maladies respiratoires de l’Institut Pasteur de Paris, confirme : « Les saisons étant inversées entre les hémisphères Nord et Sud, le virus de la grippe est présent 365 jours sur 365 dans le monde. » Les virus, devrait-on dire, car chaque spécimen est caractérisé par deux protéines, appelées hémagglutinine (H) et neuraminidase (N). La composition vaccinale 2004/2005 inclut par exemple du H1N1 et du H3N2. Le virus de la grippe aviaire est, lui, de type H5N1.
« Il y a un monitoring constant du virus, à travers 110 centres nationaux et quatre centres collaborateurs mondiaux, basés à Londres, à Atlanta, à Melbourne et à Tokyo. Tous sont reliés par un système informatique en temps réel appelé Flunet », rappelle Antoine Flahault, directeur du réseau Sentinelles de l’INSERM, impliqué dans la surveillance de la grippe sur le territoire français en parallèle avec les GROG (groupes régionaux d’observation de la grippe). La planète est ainsi couverte par un réseau qui permet une sorte de veille épidémiologique. Si le virus suscite une telle attention, c’est qu’il connaît l’art de la guerre : sous des dehors bénins se cache un tueur. Les 20 millions à 100 millions de morts (les estimations fluctuent) de la grippe espagnole de 1919 en sont les témoins historiques. Et aux sceptiques qui douteraient de la capacité qu’a ce germe de se répandre comme une traînée de poudre, rappelons qu’une épidémie moyenne de grippe hivernale, comme celle qui est prévue pour 2004/2005, compte, rien que pour la France, deux ou trois millions de malades.
Le SRAS, un « tour de chauffe ».
« La grippe est un virus variable, imprévisible », continue Sylvie Van der Werf. Fantasque, même. Son cycle habituel implique l’oiseau, l’homme et le porc. Ce dernier sert d’amplificateur : infecté en même temps par les virus humain et aviaire, il permet leur multiplication et leur recombinaison en de nouveaux variants. De là naissent les épidémies saisonnières. Mais, preuve de son extrême inconstance, d’autres mécanismes sont apparus récemment. L’épidémie de grippe aviaire de 1997 à Hong Kong marque un fait sans précédent connu : le virus est passé directement du poulet à l’homme. Et l’événement se reproduit, en 2003 aux Pays-Bas (plus d’un millier de cas) et une nouvelle fois à Hong Kong. Déjà à l’époque, on a frôlé la catastrophe sanitaire.
Puis tout s’emballe : en janvier 2004, une épidémie de grippe aviaire (H5N1) provoque l’abattage de 100 millions de volailles et la mort de 31 personnes en Asie du Sud-Est. Le virus provoque 70 % de mortalité. Depuis, toute la région est sous la surveillance des épidémiologistes. « Il y a deux signes avant-coureurs d’une pandémie : le premier est l’introduction d’un nouveau sous-type grippal chez l’homme », précise Sylvie Van der Werf. C’est chose faite depuis janvier 2004. « Le second est l’existence d’une transmission interhumaine », ajoute-t-elle. Et nous saurons sous peu si elle a déjà eu lieu : le 28 septembre est morte la onzième victime thaïlandaise de la grippe aviaire. Mais à la différence des autres, Pranee Trongchan n’a pas été en contact avec un volatile infecté. C’est sa fille qui, probablement, lui a transmis la maladie.
Hasard ou coïncidence, le 29 septembre, Aventis Pasteur signait un contrat de 13 millions de dollars avec le gouvernement américain pour la production de deux millions de vaccins contenant une souche atténuée d’H5N1 aviaire. Les fabricants se préparent donc à faire face à une pandémie grippale. A condition néanmoins d’avoir le temps et les moyens de produire suffisamment de vaccins. On peut toujours se rassurer en pensant que les autorités sanitaires ont un certain entraînement. « Le SRAS a été un tour de chauffe », rappelle Antoine Flahault. Maladie pulmonaire transmissible d’homme à homme, le Coronavirus asiatique ressemble sur de nombreux points à la grippe. L’alerte de 2002-2003 aura au moins servi à roder le plan Pandémie du gouvernement (voir page 28).
Choléra et peste, les vieux démons.
Devant l’imminence d’une pandémie grippale, on ne doit pas pour autant baisser la garde devant d’autres dangers infectieux. Car la grippe n’est pas le seul pathogène existant et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour envisager d’autres scénarios-catastrophes. Le 19 mai 2004, une technicienne russe est morte de s’être piquée avec une seringue en manipulant le virus Ebola. Elle travaillait à Novossibirsk, au laboratoire Vektor, détenteur d’une des plus belles collections de germes pathogènes au monde (Marburg, SRAS…). Que se serait-il passé si la contamination n’avait pas été détectée à temps ? La variole est de la même manière encore conservée dans deux laboratoires de type P4 (sécurité maximale) aux Etats-Unis et en Russie. Le dernier cas humain a été recensé en 1977, et si le virus venait à réapparaître il trouverait un terrain immunologique complètement vierge. Science-fiction ? Voire. Le virus est extrêmement résistant et a pu subsister dans les cadavres congelés de soldats morts durant la Première Guerre mondiale en Russie. Le Monkeypox, proche cousin simien du Smallpox de la variole humaine, pourrait tout aussi bien faire l’affaire s’il s’adaptait un peu mieux à l’homme. Une épidémie a éclaté en 1997 en République démocratique du Congo, et sur 419 cas suspects, cinq morts furent à déplorer.
Les microbes ont toujours la fâcheuse habitude de frapper où on ne les attend pas ou de ressurgir du néant. Les vieux démons infectieux sont tout prêts à revenir hanter l’humanité tel le choléra, à chaque chamboulement écologique ou sociétal. Il est lié au plus ubiquitaire des éléments : l’eau. Chaque pneu abandonné, chaque trou d’obus est propice à la prolifération du vibrion cholérique. Cette maladie en est à sa huitième pandémie. Chaque fois le germe fait le tour du monde, en partant du Bangladesh, dont les détroits immergés et les piètres conditions d’hygiène favorisent la prolifération et la mutation. Résistant, le vibrion cholérique est un grand voyageur : l’Amérique du Sud fut contaminée en 1961, lors de la septième pandémie due au biotype 01, quand un bateau qui avait rempli ses ballasts d’eau contaminée au Bangladesh est venu les déverser dans le port de Lima, au Pérou. Plus récemment, le Tchad s’est relevé d’une épidémie de choléra qui a touché 3 200 personnes et en a tué 140.
Un autre bacille détient un triste record, celui de la virulence. La forme pulmonaire de la peste provoque pratiquement 100 % de mortalité en trois jours. Ce cavalier de l’apocalypse chevauche pourtant une bien frêle monture, une bactérie appelée Yersinia pestis. Elle est malheureusement toujours d’actualité en Afrique, en Inde, en Birmanie, en Chine et… aux Etats-Unis, où les rats, réservoirs traditionnels de la maladie, sont remplacés par les chiens de prairie. Pourtant, « l’homme n’est qu’un accident dans le cycle de transmission de la peste, affirme Elisabeth Carniel, chef de l’unité de recherche sur Yersinia pestis à l’Institut Pasteur de Paris. La puce, vecteur de la maladie, préfère naturellement le rat. Elle ne se tourne vers l’homme qu’en cas de nécessité. » La « mort noire », qui a fauché plus du tiers de la population française au XIVe siècle, est actuellement considérée comme une maladie réémergente par l’OMS.
Génération sida.
Sans même tomber dans la prospective hasardeuse, d’autres maladies parcourent déjà le globe et certaines se sont jouées des cordons sanitaires. Première d’entre elles : le sida et son cortège d’infections opportunistes (voir interview p. 30). Et, plus récemment, le virus West-Nile, un bon exemple d’épidémie fulgurante à l’échelle d’un continent. Sa transmission implique le cheval, le moustique, certaines espèces d’oiseaux et l’homme, de manière accidentelle. Introduit aux Etats-Unis par des oiseaux de compagnie infectés, le virus a fait le tour de l’Amérique du Nord en quelques semaines, profitant des avions et des transports routiers. Une première flambée épidémique a fait cinq morts en 1999 à New York et, depuis, 4 000 autres personnes ont été touchées par le virus. « Etant donné que la majorité des cas est asymptomatique, on peut estimer que pour 4 000 à 5 000 cas avérés, il y a eu 500 000 personnes infectées », avance Hervé Zeller, directeur du Centre national de référence sur les Arbovirus et les fièvres hémorragiques de l’Institut Pasteur. Et il faut ajouter aux contaminations « traditionnelles » par les moustiques celles qui ont été provoquées par les dons de sang et les transfusions. Le virus existe aussi en Europe, où il se diffuse à bas bruit dans le sud de la France, infectant bon an mal an quelques dizaines de chevaux.
Faisant preuve de résistance, de grande capacité d’adaptation et même d’ingéniosité, les microbes sont doués pour la survie. Virus, bactéries ou prions sont nos ennemis depuis des lustres. Ils empruntent nos moyens de transport et exploitent les failles de nos armures sanitaires. Ils étaient là avant nous sur Terre, et de là à penser qu’ils le seront après, il n’y a qu’un pas. Surtout si, comme l’affirme Norbert Gualde*, immunologiste à l’université de Bordeaux-II, ils « sont plus doués que nous ».
A retenir
– grippe : les chercheurs sont unanimes, le monde n’échappera pas à une nouvelle pandémie grippale. Elle ferait, si rien n’est fait, plus de 200 000 morts en France.
– peste : Yersinia pestis tue toujours (100 % de mortalité en trois jours pour la forme pulmonaire). L’OMS considère la peste comme une maladie réémergente, y compris aux Etats-Unis…
– SIDA : le syndrome de l’immunodéficience acquise tue chaque jour 8 000 personnes. Le président de la Croix-Rouge française estime que cette pandémie aurait pu être évitée.
Grippe aviaire : faut-il vacciner les oiseaux ?
Est-il possible de tuer une éventuelle épidémie de grippe aviaire dans l’oeuf en vaccinant les oiseaux et en particulier les volailles d’élevage ? « Le contrôle de la grippe animale repose sur trois moyens indissociables : l’éradication des volailles infectées, la biosécurité (nettoyage et désinfection, tenues appropriées, lavage des mains…) et la vaccination d’urgence avec surveillance des animaux vaccinés », explique Véronique Jestin, de l’unité de virologie, immunologie et parasitologie aviaires et cunicoles à l’AFSSA. La vaccination vise à diminuer la sensibilité des oiseaux à l’infection et à limiter la diffusion des virus dans l’environnement. L’objectif final est de limiter l’exposition humaine et d’éviter dans la mesure du possible l’abattage massif. Mais l’utilisation des vaccins aviaires en Europe reste réservée aux cas de menace précise ou de début d’épidémie. Ils ne sont pas utilisés comme prophylaxie systématique. De plus, la vaccination est inefficace chez le canard. En revanche, celle des volailles de valeur (reproducteurs, coqs de combat, animaux de zoo…) est recommandée dans les zones infectées. J.S.
* Auteur de « Les microbes ont aussi une histoire » (Ed. Les Empêcheurs de penser en rond).
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