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Le système va exploser

Publié le 29 mars 2008
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La Commission Attali était censée accompagner le gouvernement dans les réformes qu’elle préconisait. La pharmacie a-t-elle donc échappé à toute réforme, ou simplement à l’ouverture du monopole ? Sera-t-elle rattrapée par Bruxelles ? Jacques Delpla, qui a participé à la Commission Attali, met en garde la profession.

Le Moniteur » : Nicolas Sarkozy a refusé de mettre en cause le monopole, mais a-t-il définitivement repoussé toutes les mesures que la Commission Attali proposait pour la pharmacie ?

Jacques Delpla : Oui, c’était implicite, que ce soit la suppression du numerus clausus ou la limitation du monopole. Pas la peine de descendre dans la rue, vous avez déjà gagné ! En revanche, il n’a pas du tout parlé de la structure capitalistique et de l’ouverture du monopole.

Comment expliquez-vous cette réserve ?

Un : le lobby des pharmaciens est plus fort que bien d’autres. Deux : l’analyse n’est pas achevée concernant l’aménagement du territoire.

Il faut dire que vous remettiez en cause les fondements mêmes de la pharmacie…

Que proposions-nous pour la pharmacie ? Supprimer le numerus clausus, donc avoir une liberté d’entrer sur ce marché ; de vendre des médicaments ne nécessitant pas d’ordonnances hors de la pharmacie ; ouvrir le capital ; permettre la publicité. Tout ceci en conservant tout ce qui concerne la qualité, tous les prérequis professionnels, techniques et déontologiques. Le point qui a le plus fait parler est la suppression du numerus clausus. Ce type de dispositif est typique d’un temps où l’économie était mal réglementée. C’est clairement une barrière à l’emploi et à la libre entreprise : quelqu’un de qualifié pour devenir pharmacien exploitant ne le peut pas. Finalement, il faut payer pour avoir le droit de travailler. Avoir à racheter un fonds de commerce et un pas-de-porte est logique, mais cela n’a rien à voir avec un droit d’exclusivité !

Pourquoi s’attaquer aussi violemment au numerus clausus ?

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Initialement, pourquoi a-t-il créé ? Je crois qu’il y avait une volonté des pouvoirs publics de limiter la croissance des dépenses. On était persuadé, dans une optique un peu malthusienne, qu’en limitant l’offre les gens iraient moins se soigner. Il se trouve que c’est faux. Les dépenses de santé augmentent partout. Vouloir réduire l’offre de soins et de médicaments pour contenir les déficits, c’est n’importe quoi. Une grosse part de l’augmentation des dépenses est liée au progrès médical, et puis il y a une volonté collective de dépenser plus pour sa santé. Donc, le monopole pour contenir les dépenses, ça ne marche pas. Le deuxième argument du président de la République est : on a besoin du monopole et du numerus clausus pour qu’il n’y ait pas trop de concurrence et pouvoir ainsi conserver des officines dans les régions. Or, l’offre et la demande pourraient très bien réguler la concurrence.

Il y a quand même ici une délégation de service public, et le système permet le maintien d’une officine proche pour tout citoyen…

Lorsqu’il y a ces problèmes d’aménagement du territoire, la restriction de la concurrence est une mauvaise réponse, quel que soit le domaine d’activité. L’argument du numerus clausus est mauvais parce que très aveugle et très inefficace au plan économique. Un exemple avec le transport aérien : l’argument historique d’Air France pour avoir le monopole, c’était ce qu’on appelait les subventions croisées. On faisait payer cher Paris-Nice pour subventionner Paris-Lannion. A l’époque, la loi a dit non : on remet de la concurrence partout, et sur les lignes spécifiques, jugées déficitaires mais où le service s’impose, on met une subvention aux enchères. Sur Paris-Lannion, on met quelques millions d’euros aux enchères et on donne le trajet et la subvention à la compagnie qui en exige le moins, avec un cahier des charges technique et rigoureux à respecter évidemment. Cette subvention était abondée par une taxe. Transposons cela au pharmacien : on va mettre là aussi une subvention aux enchères pour tel canton de haute Ariège où il n’y a vraiment personne pour s’installer, ou bien pour une officine que l’on estime peu rentable. Celui demandant la subvention la plus faible gagnerait l’enchère et pourrait s’installer. Là aussi, bien entendu, avec un cahier des charges technique – diplômes, stocks, amplitude d’ouverture, etc. (toutes contraintes techniques existant déjà pour les pharmacies) – et déontologique à respecter. Le fonds nécessaire à ces subventions pourrait être abondé par un epsilon prélevé par exemple sur les boîtes de médicaments vendues. Au Parlement ensuite de décider où ce type d’enchère serait nécessaire. Là où les fonds de commerce sont vendables, le droit d’exclusivité devrait tomber à zéro. Et les pharmacies pourraient toujours s’acheter ou se vendre classiquement selon la valeur du marché. En tout cas, il vaut mieux des incitations plutôt que des interdictions ou des obligations à s’installer. Aujourd’hui, on n’oblige pas les professionnels de santé à s’installer à tel endroit, comme c’était le cas dans les régimes communistes, mais on arrive à des déserts médicaux. Et les pharmaciens s’en plaignent, certaines officines étant menacées. Preuve que le système ne règle pas les problèmes d’aménagement du territoire.

Vous pensez que la santé doit être au service de l’économie de marché ? Que le pharmacien est un commerçant comme un autre ?

Non, c’est un fournisseur de services, comme le médecin, comme le chirurgien. Il doit être considéré comme à part à maints égards, bien sûr, mais cela ne justifie certainement pas un numerus clausus. Quel rapport direct avec la santé et la vie ? Un autre exemple : pilote d’avion. Vous lui confiez votre vie. Pendant les heures de votre voyage, c’est comme si vous étiez sur un billard. Or si les examens pour être pilote sont extrêmement exigeants afin que ses qualités techniques soient excellentes, il n’y a pas de raison pour qu’il y ait des restrictions à la concurrence entre compagnies aériennes. De même qu’il y a concurrence entre cliniques privées. En quoi est-ce nuisible aujourd’hui à la santé et à la vie ? La concurrence n’est pas une fin, c’est un moyen. Un moyen qui est efficace en économie car il empêche la gabegie, il permet de mutualiser les ressources au mieux. L’économie de marché, ce n’est pas un gros mot, vous savez…

Les pharmaciens expliquent qu’il y a pénurie de diplômés sur le marché. En quoi, donc, supprimer le numerus clausus permettrait-il d’employer plus de gens ?

Vous me dites qu’il n’y a pas assez de diplômés. Tous les secteurs réglementés me disent la même chose. Mais c’est normal ! Les jeunes ne vont pas se bousculer pour faire 6 ans d’études dans un secteur à débouchés contingentés par un numerus clausus. Avec la solution que j’avais proposée, même si elle ne figure pas dans le rapport, les gens s’apercevraient au bout de quelque temps que le secteur est libéralisé, et que certaines pharmacies sont accessibles.

Un des raisonnements de la profession, c’est aussi que la bonne santé économique des officines contribue au maillage territorial et donc à la santé…

Ça, c’est un argument conservateur. Aujourd’hui, la santé c’est 16 % du PIB aux Etats-Unis et on va aller à 30 % en 2050. En faisant le même calcul sur la France, on passerait de 10,5 % du PIB aujourd’hui à 20 % en 2050. C’est considérable ! Alors je ne m’inquiète pas du tout pour les pharmaciens. Ils travaillent dans le secteur qui connaîtra la plus forte croissance dans les 40 prochaines années. Ce n’est pas la sidérurgie… Avec ce potentiel formidable, il y en aura pour tout le monde, même si le secteur est libéralisé. Les opposants à la concurrence disent toujours qu’elle nuira à l’emploi, à l’offre, or cela s’avère complètement faux. Quand on a ouvert France Télécom à la concurrence, on nous a dit que certaines zones ne seraient plus correctement desservies. Avec Air France, pareil. Aujourd’hui, c’est Easy Jet ou un autre qui les dessert… Il y a une loi assez forte en économie : quand on ouvre un secteur, ça crée de l’offre. Si on ouvre, plein de pharmaciens s’installeront au bout de quelques années. L’argument consistant à dire qu’il y aura moins d’officines avec une ouverture de la concurrence ne tient pas. Mais comme les pharmaciens ne vivent pas en concurrence, ils ne savent pas ce que c’est.

Et le monopole ? Pourquoi le remettre de plus en plus en cause ?

Je trouve tout à fait légitime que les pharmaciens aient le monopole des produits délivrés sur ordonnance, selon des critères strictement médicaux. Concernant le monopole des produits remboursés, je trouve que c’est un argument comptable. C’est bien à cela que se sont cantonnés il y a deux ans les Italiens. Ils ont ouvert le monopole pour le reste. Un exemple : j’ai acheté de l’aspirine il y a deux jours, le pharmacien me l’a vendue sans rien me demander…

Vous seriez favorable à la vente d’aspirine en grande surface ?

Pourquoi pas ? Dans la plupart des cas, les gens qui en achètent ne demandent aucun conseil à leur pharmacien. Et dans les cas où vous auriez besoin d’un conseil, vous pourriez aller l’acheter chez un officinal. Pas de problème là-dessus. Simplement, on n’a pas besoin d’un monopole pour ça.

L’aspirine, ça peut être dangereux. Elle peut nécessiter un questionnement de la part du pharmacien…

Il se trouve que dans l’exemple de l’aspirine, très souvent le pharmacien ne fait aucun commentaire quand vous lui en demandez. Et puis, on peut acheter plein de choses nocives en grande surface. Si vous mangez trois kilos de miel ou de chocolat d’affilée… Franchement, il y a tout un tas de produits basiques vendus en pharmacie pour lesquels il est reconnu que l’on n’a pas besoin de pharmacien pour les vendre. En revanche, si Leclerc ou Auchan veulent faire de la pharmacie, avec notre système il suffirait qu’ils embauchent un pharmacien en respectant le cahier des charges et les contraintes réglementaires, comme doit le faire toute officine.

Les pharmaciens ne comprennent pas qu’on leur serine qu’il faut diminuer la consommation de médicaments quand il s’agit de rembourser et que l’on veuille, au contraire, développer la consommation de médicament hors ordonnances en les passant devant le comptoir…

C’est à l’administration de réguler cela. Si l’on considère que la consommation de certains médicaments est problématique, eh bien il faut les laisser sur ordonnance ! Après la surconsommation renvoie au problème des médecins.

Etes-vous favorable à l’émergence d’enseignes de pharmacie discount ?

Je suis aussi favorable au pharmacien qui multipliera ses prix par deux en démontrant qu’il y a un meilleur service chez lui. Les officines doivent être libres de leur offre.

L’ordre des pharmaciens a récemment sorti un livre blanc avec des propositions. La FSPF a de son côté fait des propositions pour que l’officine contribue davantage à la croissance : nouveaux services, services à la personne notamment, portage à domicile, nouvelles missions, transferts de tâches des médecins vers les pharmaciens. Vous n’y croyez pas ?

Jusque-là, je n’en ai pas vu… Il y a tout un tas de services possibles et qu’il serait intéressant de développer. Mais dans un monopole, on n’est pas tenté par l’innovation.

Le troisième point sensible aujourd’hui, c’est bien entendu l’ouverture du capital…

Il paraîtra logique à tout le monde qu’une pharmacie soit dirigée par un pharmacien. C’est ça le monopole des pharmaciens. Mais que la détention du capital soit réservée au pharmacien, alors là, c’est totalement aberrant. Je crois d’ailleurs que ça va contre les intérêts des pharmaciens. Cela ne correspond qu’à un contexte d’économie malthusienne. Finalement, ça empêche quoi ? Ah oui, ça empêche Boots… Comment on peut vendre beaucoup moins cher ? Grâce à des rendements d’échelle à l’achat, à l’organisation, à une meilleure gestion des stocks. Cela constitue une grande partie de la valeur ajoutée. Dans le cas de la pharmacie, vous négocieriez en bien meilleure position face aux grands laboratoires pharmaceutiques. Il y a évidemment des gains d’efficacité à l’intégration. Que le pharmacien soit un bon gestionnaire, rien n’est moins sûr. Ce n’est pas un drame. Il y a des gens qui savent mieux gérer le capital, les flux d’approvisionnement, le droit du travail, le droit commercial… Le pharmacien ce n’est pas son job. Prenez l’exemple de l’eau, on peut débattre de son prix, bien sûr. Mais au niveau sécurité et qualité, en quoi l’ouverture du secteur a-t-elle nui ? Autre exemple : la Générale de santé est intégrée et cotée en Bourse. N’importe qui peut en acheter des actions. Le fait que l’on m’opère est encore plus important pour moi que l’acte de vente d’un pharmacien, et pourtant on a ouvert ce secteur. Que je sache, cela n’a pas nui à la santé. Les cliniques sont juste mieux gérées que l’hôpital public…

Vous verriez bien des chaînes de pharmacies cotées en Bourse ?

Pourquoi pas ? Encore une fois, c’est le cas pour les entreprises employant les pilotes d’avion et les chirurgiens. Des secteurs au moins aussi sensibles que la pharmacie. D’abord, si on ouvre le capital, ça va augmenter la valeur de marché des pharmacies. Car la chaîne intégrée qui voudra s’implanter rachètera évidemment des officines existantes. Bien sûr, les plus grosses risquent d’en profiter davantage mais globalement le secteur y gagnera.

Les pharmaciens expliquent qu’un pharmacien gérant d’un point de vente appartenant à des fonds financiers, par exemple, pourrait voir son indépendance professionnelle aliénée par des considérations purement financières. Le pharmacien indépendant étant quant à lui à l’abri de toute compromission…

Je ne comprends pas cet argument. Au contraire, le contrôle doit s’exercer dans les deux sens… Le management des entreprises travaille pour le profit des actionnaires, c’est la règle de base du capitalisme, et heureusement. Dans les officines, c’est pareil. Les pharmaciens cherchent à maximiser leurs profits, et c’est très normal. Après, il faut des règles et des contrôles, c’est normal aussi. Et le suivi de la règle et de la déontologie doit l’emporter en fin de compte sur le profit, mais cela vaut pour tous les secteurs. Si Veolia faisait de l’eau toxique pour faire plus de profit, un, les dirigeants iraient en prison, deux, on n’achèterait plus l’eau chez eux ! Le jour où vous faites une erreur, les gens ne viennent plus chez vous…

Pensez-vous que le gouvernement français défende vraiment les pharmaciens face à Bruxelles ?

Comme je l’ai déjà dit dans Les Echos, quand on a été reçus au ministère de la Santé, on a vu quelque chose de totalement inacceptable : on nous a dit explicitement que c’était les professionnels de la pharmacie qui écrivaient la position de la France à Bruxelles ainsi que les textes des décrets signés par le gouvernement. Alors, les organisations professionnelles de la pharmacie font remarquablement leur travail, on ne peut pas les blâmer ! Mais nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait aucune distance de la part du ministère. Il est inacceptable que l’Etat, qui représente l’intérêt général, reprenne totalement à son compte la position d’agents privés. C’est scandaleux ! Quant à notre position sur le capital des pharmacies, elle est bien sûr contraire au traité de Rome qui autorise la liberté de mouvement de capitaux.

Il apparaît cependant logique que l’Hexagone défende les spécificités de « la pharmacie à la française »…

Moi, je dirais aux pharmaciens qu’ils se trompent en menant un combat d’arrière-garde. Aller contre l’ouverture du capital est une erreur, d’abord parce que ça arrivera, c’est une question de temps. Et le jour où un pharmacien européen ira à la Cour de justice parce qu’il a été empêché de s’installer en France, le système craquera complètement. Et je pense que cela arrivera aussi sur le numerus clausus. C’est toujours douloureux de faire une réforme dans la précipitation. Si j’étais pharmacien, je préparerais la fin de tout ça car cela va craquer d’une manière ou d’une autre.

Comment préparer les choses ?

Si on anticipait la fin du numerus clausus à terme, en l’annonçant plusieurs années à l’avance ou en le desserrant petit à petit, voire en promouvant mon idée d’enchère pour l’aménagement du territoire, qui n’est pas dans le rapport Attali, la pharmacie s’éviterait bien des déconvenues. C’est le genre de choses qu’il vaut mieux négocier avec le gouvernement français que sous le coup d’un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes.

La Commission va-t-elle essayer de revenir à la charge auprès de l’Elysée concernant les mesures qu’elle préconisait pour la pharmacie ?

Non, il y a d’autres choses à faire. Nicolas Sarkozy a dit non. Je pense par ailleurs que lobby des pharmaciens est très important, cela ne sert à rien d’aller se battre contre lui.

En revanche, le Président ne s’est pas prononcé sur l’ouverture du capital…

Effectivement… Mais ce n’est pas le ministère de la Santé qui fera quelque chose pour ouvrir le capital. Il y a d’autres secteurs comme cela. Prenez les universités, c’est pareil, personne n’y touche, pourtant elles sont très mal classées dans le monde.

En même temps, les futures réformes toucheront beaucoup plus de gens que les seuls pharmaciens…

Oui mais le mythe du leader d’opinion chez les pharmaciens ou d’autres professionnels en contact avec la population existe toujours. C’est pourquoi je pense que les réformes vont venir de l’Europe. Je pense que tout le système va exploser.

A quel horizon ?

Je pense qu’en 2012 on n’en sera plus là. Sur l’ouverture du capital, l’injonction européenne ira à son terme et des sociétés européennes rachèteront des officines en France. Pour le reste, cela prendra un peu plus de temps, mais vous aurez un pharmacien européen qui dira « J’ai mon diplôme, je parle français, je m’installe là et je vous fais un procès si on m’en empêche. » Il y a beaucoup d’organisations professionnelles françaises qui vivent sur le passé et qui pensent que cela va continuer. Eh bien non, le jour où la Cour de justice s’occupera de vous…

Pensez-vous donc que l’officine est « pathétiquement caricaturale », pour reprendre l’expression de monsieur Attali dans « Le Point » ?

Je ne sais pas s’ils sont « pathétiquement caricaturaux », je n’emploierais pas ce terme. Je pense juste qu’ils sont dans un système qui est très bien pour ceux qui sont à l’intérieur, négatif pour les consommateurs qui, dans un monde ouvert, pourraient avoir plus de services, négatif en zones rurales car on voit bien que le problème des déserts médicaux n’est pas résolu par le système actuel, et négatif enfin pour l’emploi car des gens qui veulent s’installer ne le peuvent pas en raison de coûts d’entrée trop élevés. Dernier point, je le répète, je pense que ce système ne survivra pas très longtemps en l’état. Exemple avec les taxis en Irlande : en 2000, le gouvernement a voulu augmenter leur nombre et ils ne l’ont pas accepté compte tenu de la valeur des licences. Ils sont ainsi allés devant la Cour suprême. Or celle-ci a dit : « les licences n’existent pas, donc je n’ai pas à me prononcer dessus ». Du coup, le système a explosé et la valeur des licences s’est bornée à zéro du jour au lendemain. Ils n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer. En Irlande, ça s’est fait en un an, à Bruxelles ça prend plus de temps, mais le jour où vous allez en justice, c’est quitte ou double.

Sur un plan macroéconomique, vous dites que le secteur de la santé va fortement se développer. Mais le rapport Attali préconise dans le même temps de réduire de manière drastique les dépenses publiques de 1 point par an, y compris d’assurance maladie. N’est-ce pas incompatible ?

Personnellement, j’étais contre cette idée de diminuer les dépenses d’un point par an. D’abord, je suis convaincu que ça n’arrivera pas. Je pense qu’il faudra augmenter significativement la CSG, sans doute la doubler. Mais la dépense publique ne pourra pas tout prendre en charge. Quand la santé représentera 20 % du PIB, peut-être la Sécurité sociale en prendra-t-elle en charge 12 ou 13 points au maximum. Ce qui signifie que dans l’ensemble du panier vous aurez une proportion plus importante financée par les gens ou l’assurance privée ou les mutuelles. Ce n’est pas dans le rapport Attali, c’est un sujet de société. L’essentiel du gain de pouvoir d’achat ira à la santé. Il y a une autre solution, à l’image de la Suisse, plus privée, où vous avez obligation de vous assurer mais où les assurances sont obligées de vous couvrir avec un panier de soins précis. Les assureurs se font concurrence entre eux et référencent les professionnels en faisant eux-mêmes la police des prix. Ce qui est sûr, c’est que le marché pur ne fonctionne pas dans la santé.

Vous êtes favorable à une privatisation de l’assurance maladie ?

Personnellement, je suis favorable à garder le système actuel en l’améliorant. Mais il faut être conscient que cela signifie augmenter massivement les cotisations sociales ou les impôts. Mais l’option du privé « à la suisse », qui est très loin du système américain, marche aussi très bien. Les technocrates du ministère des Finances pensent qu’il faut empêcher la dépense d’augmenter. C’est là que la CGT et les médecins ont raison en disant non à une approche comptable. On veut contraindre les gens dans les dépenses qu’ils consacreront à leur santé, or les gens privilégieront massivement leur santé au nouvel iPod. Après, est-ce que cela se fera par la CRS, la CSG, par un système purement privé, les mutuelles ou une assurance obligatoire ? C’est difficile à dire. Mais le débat sera obligatoire. Pour les retraites, on sait ce qu’il faut faire, la question c’est de faire passer les mesures. Sur la santé, on ne sait pas du tout ce qu’il faut faire.

Bio express

Ancien de Harvard, de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration et de l’Ecole normale supérieure, Jacques Delpla a notamment été conseiller économique du gouvernement russe de 1992 à 1994 avant d’être conseiller technique du cabinet du ministre des Finances jusqu’en 1997, et conseiller économique auprès de Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci était ministre des Finances, en 2004. Egalement chef économiste de Barclays Capital, à Paris, puis « senior advisor » au département obligataire, marché des capitaux, de BNP-Paribas (depuis 2005), c’est en tant que membre du Conseil d’analyse économique (CAE) que Jacques Delpla fait partie des 42 membres de la Commission Attali. Placé auprès du Premier ministre, le CAE a pour mission « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique ». Le Conseil d’analyse économique comporte une trentaine d’économistes nommés à titre personnel, et six membres de droit qui représentent les grandes administrations économiques et sociales.

Ce que le rapport Attali prévoyait pour la pharmacie

-Lever le numerus clausus.

-Etablir une liste de médicaments sans ordonnance susceptibles de sortir du monopole.

-Pousser la pharmacie d’officine à peser sur les prix.

-Permettre la détention du capital des officines à des non-pharmaciens.

-Ouvrir les ordres professionnels à la société civile.

-Adopter les réformes nécessaires aux spécificités des professions financées principalement par la Sécurité sociale et délégataires d’une mission de service public.

-Autoriser aux professions réglementées le recours à la publicité.