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« Le masque, c’est quasiment un uniforme »

Publié le 2 mai 2020
Par Matthieu Vandendriessche
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Jean Viard, sociologue, porte un regard sur le confi nement des Français, entre peur et colère, pour les soignants comme pour la population.

La population française est finalement capable de se plier à des injonctions…

Face au Covid-19, la population est animée par un sentiment de peur. Les décisions du gouvernement ont été prises au fur et à mesure de la montée de cette peur, en faisant en sorte qu’elle ne se transforme pas en panique. Lorsque 60 % des personnes ont dit avoir peur, on a pu fermer les écoles. Au-delà de 60 %, nous sommes passés au confi nement. Pour que les gens acceptent ces contraintes, il faut une légitimité de la décision et un sentiment de peur.

Quels seront les nouveaux modes de vie après le confi nement ?

Le confi nement luimême est un mode de vie et, d’ailleurs, un certain nombre de personnes ne désirent pas en sortir au plus vite. Dans les prochaines semaines, les comportements vont s’adapter à la situation de pandémie qui va perdurer. Les codes sociaux sont plastiques. Depuis vingt-cinq ans, on développe les liens physiques et des codes festifs se sont imposés dans le monde du travail. Désormais, on va essayer d’éviter les autres autant que possible, on ne va plus s’embrasser, on va privilégier les transports individuels plutôt que collectifs.

Que révèle la recherche permanente du masque, notamment en pharmacie ?

Le masque, c’est à la fois un objet utile et symbolique de la distanciation. Quand je vois l’autre, je fais attention. Porter un masque, c’est aussi revêtir le costume de quelqu’un qui est en situation d’être malade. C’est quasiment un uniforme, cela oblige à penser que la maladie est là. Et la pharmacie est l’endroit où l’on s’attend à trouver des masques. A ce jour, face au Covid-19, les masques et la distanciation sociale sont les seuls véritables médicaments.

Qu’est-ce que cette crise a changé pour les pharmacies d’officine ?

Les pharmacies ont vu se multiplier les ordonnances envoyées à distance et les livraisons à domicile. Les gens savent qu’ils peuvent compter sur les offi cines même si, légitimement, ils ont peur de s’y rendre au risque d’attraper le virus. Parmi les personnes que les pharmaciens ne voient plus, il y a les vrais malades et ceux qui surconsomment de la santé à tort.

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Et pour le système de santé français ?

La population est en colère contre un système, celui de l’Etat, qui a été inopérant. Ce sont les soignants de première ligne, bridés par la bureaucratie politique et syndicale, qui ont géré la situation. Une remise en cause est inévitable. Sur le terrain, les acteurs de santé se connaissent et forment une société. L’Etat fait de ces professions des corporations, des mondes séparés. Il y a nécessité d’établir un lien horizontal entre elles. C’est en ce sens que les offi cines ont commencé à pratiquer des vaccinations. Concrètement, les projets d’urbanisme devraient comprendre la construction d’une maison de santé pluridisciplinaire autour d’une pharmacie. Dans une évolution souhaitable, les activités de santé seraient regroupées au même endroit selon le modèle d’une cité scolaire.

* Centre national de la recherche scientifique.

** Centre de recherches politiques de Sciences Po.