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Le film du générique de 1994 à aujourd’hui

Publié le 23 septembre 2019
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L’introduction des médicaments génériques en France n’a pas procédé de l’évolution naturelle et spontanée du marché, mais d’une action politique menée avec constance par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1990. De la volonté du pouvoir politique de développer un marché du générique en 1994 à la reconnaissance d’un droit de substitution accordé au pharmacien le 12 juin 1999, cinq ans se sont écoulés. Le droit de substitution est passé durant cet intervalle d’une hypothèse formulée à voix basse à une réforme définitivement consacrée par la loi et à une priorité pour l’Etat. Retour sur les moments forts d’une histoire décidément bien singulière.

1994-1998 :

une prise de conscience politique

La France est, dans les années 1990, restée à la traîne en Europe quant au développement des médicaments génériques. C’est même le dernier pays d’Europe dans lequel le générique n’a pas encore conquis sa place. A cette époque, le générique ne concerne que 2 % des boîtes de médicaments remboursés par l’Assurance maladie. Vingt ans plus tard, elle en représente près de 1 sur 3.

En 1994, le gouvernement Balladur, conscient du retard acquis, annonce que le développement des génériques en France est une évolution inéluctable. Dès lors, toute une ligne politique se met en place afin de fournir à l’ensemble des acteurs du système de santé les instruments nécessaires au développement d’un véritable marché du générique en France. De 1994 à 1998, les dispositions ministérielles et les accords conventionnels avec les laboratoires pharmaceutiques se multiplient afin de construire une offre « générique » significative.

Dans le même temps, l’Etat cherche à obtenir l’adhésion des médecins et des pharmaciens. Mais dans les discussions sur les conditions du développement du générique, les divergences apparaissent entre les deux professions sur l’instauration d’un droit de substitution en faveur des pharmaciens.

Après les échecs répétés en 1996 et 1997 des « recettes » politiques pour faire décoller le marché du générique en France, Martine Aubry, ministre en charge des affaires sociales en 1998, joue la carte des pharmaciens et entend utiliser le droit de substitution comme le levier de croissance du marché des génériques.

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Après une longue course d’obstacles pour cette profession, ce droit de substitution est officialisé, le 23 décembre 1998, par l’article 29 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 1999 qui reconnaît aux pharmaciens d’officine un droit de «   délivrer par substitution à la spécialité prescrite une spécialité du même groupe générique à condition que le prescripteur n’ait pas exclu cette possibilité, pour des raisons particulières tenant au patient   ».

12 juin 1999 :

le droit de substitution octroyé

A marquer d’une pierre blanche, la date du 12 juin 1999 entérine le lancement de la révolution « générique » en France. La veille de sa publication au Journal officiel (JO), le décret du 11 juin 1999 précise les conditions et modalités de la substitution. Le rôle du Répertoire y est défini : il détermine le champ de la substitution, c’est-à-dire qu’il liste l’ensemble des groupes (génériques et princeps) admis à être substitués par le pharmacien. Un arrêté «   relatif à la neutralité financière de l’exercice du droit de substitution au sein d’un groupe de générique   » est également publié au JO du 12 juin 1999. Un peu plus tôt, par un arrêté du 28 avril 1999, un protocole additionnel entre l’Etat et les pharmaciens a institué une marge identique pour un générique et son princeps. De cette manière, les pharmaciens sont incités à substituer. La vente d’un générique ne se traduit par aucune perte à l’encaissement, en marge en valeur absolue, pour l’officine. Ce protocole fixe un objectif de substitution de 35 % du champ du Répertoire officiel des génériques.

1er septembre 1999 :

la rémunération du générique

Sont mises en place la nouvelle marge dégressive lissée à 2 paliers + un forfait à 3,50 F (0,53 €), l’égalisation des marges (marge du générique = marge du princeps) et la nouvelle remise concernant le médicament générique, 10,74 % du prix fabricant hors taxes (PFHT). Plusieurs mois après l’entrée en vigueur de ces mesures incitatives au développement des génériques, la part de ces médicaments dans les « groupes génériques » s’accroît : elle était de 20 % environ en volume en 1998 ; elle est passée en décembre 1999 à 35 % en volume et à 24,5 % en valeur, malgré la réticence des patients et l’exercice parfois difficile du droit de substitution.

2000 :

la DCI s’installe

Après un an de substitution, seulement un peu plus des deux tiers de l’objectif demandé à la profession ont été atteints. La progression des génériques (de 2 à 3 % du marché pharmaceutique remboursable en valeur) est jugée trop modeste par la tutelle et la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Pour relancer le marché des génériques, Elisabeth Guigou, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité, donne son feu vert à la prescription en dénomination commune internationale (DCI), jugée moins perturbante pour le patient puisque le nom de la spécialité délivrée est cohérent avec le nom de la molécule prescrite. Les caisses d’assurance maladie pourront désormais rembourser un médicament prescrit sans nom de laboratoire ou de marque. La prescription en DCI est effective le 1er janvier 2002.

En contrepartie d’une revalorisation de leur consultation à 20 € (effective en juin 2002), les médecins généralistes se sont engagés conventionnellement à multiplier les prescriptions en DCI et en génériques. Le protocole d’accord qui a été signé prévoit que, la première année, «   cet engagement porte sur la rédaction en dénomination commune de 25   %, en moyenne nationale, des lignes de prescriptions médicamenteuses dont la moitié au moins entre dans le champ du Répertoire des génériques   ». Cet accord, de nature à doper ce marché, remet le médecin et le patient dans le jeu du générique dont le pharmacien demeure le pivot. Sur le terrain, la prescription en DCI s’emballe, avec une hausse de 20 % environ. L’accord des médecins a permis en quelques semaines une croissance de 10 % de la prescription de génériques.

24 septembre 2002 :

première apparition des TFR

Le ministre de la Santé, Jean-François Mattéi, annonce l’instauration d’un «   tarif forfaitaire de responsabilité   » (TFR) alias tarif de référence. Selon lui, la création d’un «   forfait de remboursement pour les médicaments appartenant à un groupe générique   » va amener les patients à accepter ces spécialités. Une mesure que les syndicats de pharmaciens et les laboratoires de génériques ont toujours dénoncée, estimant qu’elle entraînerait une spirale infernale des prix vers le bas. Et à terme, la mort des médicaments génériques. Malgré l’opposition des acteurs du marché, les TFR voient pourtant le jour. Dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2003, Jean-François Mattéi crée ce nouvel instrument de régulation du marché des médicaments génériques (publié au JO en avril 2003). Le TFR est un forfait de remboursement retenu pour des groupes génériques du Répertoire, pour lesquels la pénétration du générique est jugée trop faible. Cette politique d’alignement des prix par le bas est ni plus ni moins une punition adoptée par le gouvernement qui souhaite obtenir des économies immédiates (il n’y a plus d’équivalence de marge en valeur entre le princeps et le générique). Le TFR ne correspond pas forcément au prix du médicament générique le plus bas, il peut se situer en deçà. Si le prix public du générique ou du princeps n’est pas aligné sur ce tarif unique, il y a un reste à charge pour le patient. La première vague de TFR, lancée en octobre 2003, concerne 63 groupes génériques, pour lesquels les taux de substitution étaient compris entre 10 et 45 %. L’instauration des TFR a eu pour effet d’exacerber la concurrence entre les laboratoires de génériques et de princeps. Actuellement, presque 100 % des princeps se sont alignés sur le TFR, rendant ainsi obsolète l’intérêt économique du générique et la substitution du pharmacien plus difficile.

2006 :

1er accord sur un objectif national de substitution

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2006 marque un tournant dans la politique de prix, poursuivant 3 objectifs conjoints : des baisses importantes de prix des génériques et princeps inscrits au Répertoire (décote de 50 % dans les groupes génériques nouvellement créés par rapport au prix initial du princeps), des contrôles des pratiques et limitation à 20 % des marges arrière consenties par les génériqueurs aux pharmaciens et la généralisation des TFR au-delà de 24 mois d’inscription dans le Répertoire (cette dernière disposition sera abandonnée en fin d’année 2005 par Xavier Bertrand, ministre de la Santé, sous la pression des pharmaciens). Il y avait là suffisamment de mesures désincitatives pour que les pharmaciens rendent définitivement les armes sur le générique. Heureusement, il n’en a rien été. L’accord conventionnel entre la profession et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) du 6 janvier 2006 consacre de façon formelle les pharmaciens comme une profession de santé à part entière et comme des acteurs majeurs de la sauvegarde de l’Assurance maladie. En particulier, il organise une véritable planification concertée de la substitution dans la durée avec, dans ce premier accord, un objectif national de 70 % de pénétration des génériques et des objectifs individuels de substitution qui vont redonner une dynamique à la profession. En fin d’année, cet objectif a été atteint. 2006 a marqué un tournant majeur de la vie conventionnelle, se traduisant chaque année par la signature d’un avenant générique à la convention fixant de nouveaux objectifs de substitution toujours plus ambitieux.

2006 :

Les Alpes-Maritimes, berceau de l’accord « tiers payant contre génériques »

Face aux patients récalcitrants et à des médecins « poussifs » sur les génériques, certains départements comme les Alpes-Maritimes n’hésitent pas à employer la manière forte. Le chantage «   substitution générique contre tiers payant   » (la dispense d’avance de frais est réservée aux assurés qui acceptent la délivrance des génériques) a tellement bien fonctionné dans ce département très en retard sur l’objectif que ce dispositif sera adopté la même année dans plusieurs départements (Hauts-de-Seine, Paris, Seine-Saint-Denis, Alpes-de-Haute-Provence, etc.) avec des résultats tout aussi spectaculaires. Il sera, quelques années plus tard, à l’origine d’un accord national.

Janvier 2007 :

extension de la mesure « tiers payant contre génériques »

L’extension de la mise en œuvre du dispositif « tiers payant contre génériques » concerne tous les départements qui n’avaient pas atteint un taux de substitution de 73 % au 30 juin 2007. Le début de l’année 2007 est aussi marqué par la baisse des marges arrière de 20 à 15 %.

Janvier 2008 :

suppression des marges arrière

L’année 2008 sonne la fin des marges arrière et, parallèlement, la remise légale sur le générique est portée de 10,74 à 17 %. Promulguée le 3 janvier 2008, la loi Chatel autorise les pharmaciens à conserver la marge du grossiste-répartiteur lorsqu’ils achètent leurs médicaments en direct.

Printemps 2012 :

bonjour la « ROSP » générique !

La convention pharmaceutique de 2012 crée l’option conventionnelle de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), établie sur des objectifs qualitatifs et quantitatifs, individuels et collectifs. Complexe dans son expression, simple dans son principe, le calcul de la rémunération prend en compte différents paramètres. Pour chacune des 31 molécules à fort potentiel qui vont être suivies et pour le reste du Répertoire, la rémunération sera fonction de la progression et du niveau de substitution. Les pharmaciens devront également s’engager sur la délivrance d’une seule marque de génériques aux personnes âgées de plus de 75 ans. Ce calcul fera ultérieurement l’objet de refontes.

6 juin 2012 : renforcement de la mesure « tiers payant contre génériques »

Les partenaires conventionnels ont décidé de mettre en place une action nationale relative au respect de l’application du dispositif « tiers payant contre génériques », désormais généralisé à l’ensemble du territoire et à tous les assurés. L’évolution du marché a été singulière : moribonde jusqu’à la signature de la convention pharmaceutique et au plan de relance de l’accord « tiers payant contre génériques », puis extrêmement dynamique après la signature, permettant à la profession d’atteindre ses objectifs de substitution.

2013 :

la première prime « générique » est versée

Après la reprise en 2012, la croissance du générique se confirme en 2013. Plus que l’accord « tiers payant contre génériques », c’est l’engagement pris par les pharmaciens depuis la signature de la convention qui a permis la reprise de la marche en avant du générique. La prime bénéficie à tous les pharmaciens, mais elle est plus importante pour ceux qui substituent bien. Les données de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) sur cette première prime montrent que la fourchette est large, de 850 à 8 000 € pour les officines les plus performantes. La médiane se situe à 2 700 €.

1er septembre 2014 :

plafonnement des remises à 40 %

Un arrêté du 1er septembre fixe un nouveau plafond des remises à 40 % sur les achats des médicaments génériques. Il ravive la concurrence entre les génériqueurs au bénéfice des pharmaciens qui, à l’avenir, pourront négocier les conditions commerciales, molécule par molécule, avec le plus offrant. Cette disposition permet aux petites officines d’obtenir de meilleures remises. Parallèlement, la transparence s’invite dans les relations commerciales entre pharmaciens et laboratoires de génériques. Ce nouveau plafond, qui englobe remises, ristournes et autres avantages commerciaux, y compris les rémunérations au titre de la coopération commerciale sur le générique, vont contraindre pharmaciens et génériqueurs à revoir leurs contrats commerciaux, notamment le plan d’affaires annuel conclu en début d’année qui précise le détail de l’ensemble des avantages commerciaux convenus. Un décret du 27 février 2015 précise ensuite les conditions de déclaration des montants des «   remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers   » consentis sur les génériques remboursables aux pharmaciens d’officine par les laboratoires de génériques et les grossistes-répartiteurs.

1er janvier 2015 :

prescription en DCI obligatoire

Les praticiens ont désormais l’obligation de prescrire en DCI, au besoin par l’emploi de logiciels d’aide à la prescription, tout en ayant la possibilité de compléter avec le nom de marque. La nouvelle politique du générique doit aussi se concrétiser par la prescription médicale au sein du Répertoire et le renforcement de la collaboration médecin/pharmacien autour du médicament générique dans le cadre d’un accord conventionnel tripartite.

23 décembre 2018 :

vers un reste à charge en cas de refus de substitution en 2020

Un Répertoire des génériques spécifique pour une nouvelle catégorie de médicaments dits « hybrides » a été créé afin d’en permettre la substitution. Un médicament générique hybride est un médicament très proche du médicament générique, à ceci près qu’il doit fournir des études supplémentaires pour montrer son équivalence thérapeutique (exemple : les sprays inhalés). Un médicament peut aussi être qualifié d’hybride lorsqu’il est disponible dans un nouveau dosage, utile pour les patients, mais pas disponible pour le médicament princeps. La LFSS 2019 prévoit également, pour les médicaments génériques, la justification de la mention « Non substituable » sur des critères médicaux objectifs. A compter du 1er janvier 2020, le remboursement d’un assuré qui ne souhaiterait pas, sans justification médicale, la substitution se fera sur la base du prix du générique.