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LE FEU COUVE

Publié le 9 novembre 2013
Par Francois Pouzaud
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À voir le médicament trop souvent fustigé, les pharmaciens sont échaudés et le font savoir. On ne compte plus ces derniers mois les mouvements de colère de la base. Les mesures de la rentrée, et notamment le PLFFS 2014, sont « la fois de trop » dans un contexte économique qui ne laisse plus aucune marge de manœuvre à l’officine. Tour d’horizon des doléances.

De mémoire de pharmacien, jamais la profession n’a été autant dépitée et malmenée par les pouvoirs publics. Depuis la rentrée, l’actualité professionnelle est bouillante entre le report sine die des négociations avec l’Assurance maladie sur l’évolution du mode de rémunération, la menace de sortie des tests de grossesse du monopole, le PLFSS pour 2014, la remise en question des conditions commerciales sur le générique et la volonté du gouvernement d’expérimenter la délivrance à l’unité… La coupe est pleine et la base semble résignée, car rien ne bouge, alors que les difficultés financières des officines s’aggravent : 1 000 pharmacies ont fermé ces cinq dernières années et environ 10 000 pharmacies font face aujourd’hui à une situation bancaire fragilisée. Le malaise est suffisamment profond pour ne plus laisser les pharmaciens sans réaction. L’absence de la ministre de tutelle, Marisol Touraine, au congrès national de Lyon les 26 et 27 octobre derniers a conforté leur sentiment qu’elle semble les ignorer.

En tournée dans les régions, Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre national des pharmaciens, est allée à la rencontre des jeunes diplômés de moins de 35 ans de toutes les filières, des étudiants et internes, et a pu juger sur place du moral des troupes. « Les confrères sont épuisés, exaspérés… Les lois, en se succédant les unes aux autres, changent complètement leur mode d’exercice. Ils se plaignent du manque de visibilité sur leur profession et ne savent plus où ils vont. Ils sont indignés par les propos de Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances, quand il fait passer les pharmaciens pour des rentiers et suggère que les rentes doivent être supprimées… Ils souffrent terriblement du décalage énorme entre l’image que certains véhiculent sur la profession et la réalité. »

La situation devient paroxystique : Isabelle Adenot amasse sur son bureau des lettres de pharmaciens qui demandent l’entraide de l’Ordre. Mais il y a plus grave. « La section A déplore deux suicides de pharmaciens depuis le début du mois d’octobre », signale-t-elle.

L’inquiétude le dispute à l’exaspération

Ayant fait preuve de beaucoup de patience, les pharmaciens montrent depuis quelques mois qu’on ne peut les faire attendre plus longtemps avec des négociations sans fin.

Les Pharmaciens en Colère (PEC) ont été actifs pendant tout l’été. Toute leur colère s’est inscrite en lettres noires et rouges sur fond bleu du ciel du Languedoc-Roussillon : une banderole tirée par avion a sillonné le littoral pour informer les vacanciers que le gouvernement ne respectait pas ses engagements vis-à-vis des pharmaciens. Cette action de sensibilisation s’est poursuivie en septembre par une grève des gardes d’un mois. Mais aujourd’hui, c’est le désarroi. « Je n’ai jamais cru à la réussite de l’intersyndicale. Ni la Fédération ni l’USPO ont la main sur l’avenir de notre rémunération. On ne fait que subir ce que le gouvernement propose et, entre deux maux, la profession ne pourra choisir que le moins mauvais », constate Frédéric Abecassis, président de ce mouvement contestataire et du syndicat des pharmaciens de l’Hérault. Avant de lancer une nouvelle riposte, les PEC attendent d’être fixés sur l’honoraire de dispensation, le générique et les mesures qui seront adoptées à l’issue des débats parlementaires sur le PLFSS 2014.

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« Une grève totale de la substitution suivie par tous les pharmaciens de France fait très peur à l’Assurance maladie, qui perdrait 6 millions d’euros par jour de grève, expose Frédéric Abecassis. Il est indispensable que cette action coup-de-poing soit bien comprise par la base, et relayée par les trois syndicats. Il faut qu’elle ait l’effet dissuasif d’une arme atomique, qu’elle soit suffisamment bien montée pour que l’on n’ait pas à s’en servir. »

Cependant, Patrick Zeitoun, président de l’Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP), souligne la difficulté d’avoir de la cohésion dans des actions qui engagent l’économie de l’officine, « quand 40 % des officines sont dans le rouge », précise-t-il.

En région parisienne comme ailleurs, « l’annonce d’une suppression possible des coopérations commerciales a eu l’effet d’un coup de massue », rapporte le président de l’UPRP qui a reçu de nombreux appels de pharmaciens à la fois exaspérés et très inquiets quant aux mesures qui seront retenues.

Par ailleurs, « les confrères sont à cran avec les caisses primaires d’Assurance maladie », enchaîne-t-il, sur un ton vindicatif. « Elles nous pistent sur les génériques et sur nos objectifs de substitution qui ne sont pas encore atteints, multiplient les tracasseries administratives et les rejets de facture au moindre oubli de topage d’une ligne de prescription d’un princeps avec la mention “non substituable” ».

3 000 pharmacies ont remis leurs clés

Au dernier bilan, l’opération « Voici les clés, Madame la ministre » lancée le 11 octobre dernier a été suivie par 3 000 pharmacies selon l’USPO, interpellant au passage beaucoup d’élus sur la fragilité du tissu officinal. Dans les Hautes-Alpes, 35 à 40 % des pharmacies ont choisi cette action symbolique pour manifester leur ras-le-bol mais aussi un certain désarroi. « Depuis deux ans, les signaux négatifs contre la pharmacie s’accumulent et en 2013 c’est tous les mois qu’il nous tombe quelque chose sur la tête », ne décolère pas Jean-Jacques Perrimond, président régional de l’USPO. « Un pharmacien dans le Midi et un autre dans le Vaucluse ont vendu leur officine car ils n’avaient pas d’autre issue », rapporte-t-il.

En Île-de-France, les pharmaciens n’ont rien adressé à leur ministre de tutelle qui n’en a que faire. « Nous avons préféré à quelques mois des municipales adresser le courrier type aux maires et députés-maires qui sont déjà en précampagne électorale de manière à pouvoir se faire entendre », justifie Patrick Zeitoun.

Autre département, autre action : en Gironde, la grève des gardes contre la baisse des prix des médicaments, entamée le 8 octobre et suivie par 566 pharmacies, a cessé le 26 octobre dernier, jour de l’adoption du PLFSS par l’Assemblée nationale. À l’origine de cette levée de la grève, le texte voté sur l’augmentation du plafond des remises sur le générique. Pour autant, le courroux de Thierry Guillaume, président de la Chambre syndicale des pharmacies de Gironde, n’est pas retombé. Il stigmatise l’absence de communication de la ministre de la Santé : « Elle n’a accordé aucun rendez-vous à la profession, les confrères ont le sentiment aujourd’hui d’être baladés. On risque de payer très cher cette politique car, en précarisant le métier de pharmacien, elle ne suscite pas les vocations auprès des jeunes… »

Les pigeons donnent de la voix

Les Pigeons pharmaciens ne sont pas en reste. « Nous avons adressé une lettre à tous les députés le 23 septembre dernier en réaction contre la sortie des tests de grossesse du monopole », précise Jean Ducros, titulaire à Champigny (Val-de-Marne) et fondateur du blog qui compte environ 300 actifs. Aiguillons de la profession, les pigeons sont prêts à relayer toutes les actions de la vox populi pour organiser une action forte. Ainsi, ils soutiennent l’initiative individuelle de Jean-Patrice Folco, titulaire à Fontaine (Isère), qui a adressé une lettre au président de la République sur l’état de délabrement de la pharmacie et le risque de disparition d’au moins 5 000 emplois en officine induit par le PLFSS 2014. Ce pharmacien a en parallèle lancé une pétition auprès de ses clients pour la sauvegarde des emplois et de leur officine. « Le président de la République recevra autant de courriers que de pétitions signées, s’engage-t-il. J’ai également adressé ce courrier à aux députés de mon département et à Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. » Jean-Patrice Folco invite tous les pharmaciens à reprendre sur le site des « Pigeons pharmaciens » son courrier et sa pétition pour leur propre compte.

À Marseille, Stéphane Pichon, président du Conseil de l’Ordre de PACA, sort de sa réserve ordinale et lance « un coup de gueule » dans un courrier égrenant les dernières attaques contre la profession et disant stop au « pharma-bashing » et à « l’assassinat programmé de la profession ». « Ce courrier est destiné à réveiller l’attention dans l’opinion publique sur la volonté gouvernementale de discréditer la pharmacie », explique-t-il. Accessible sur la page Facebook des « Pigeons pharmaciens », il l’a envoyé à Valeurs Actuelles, à l’Express, à Atlantico et à la presse quotidienne régionale.

Les pharmaciens d’Eure-et-Loir remontés contre la FSPF

Nouvelle fronde en Eure-et-Loir où les pharmaciens se sont déjà illustrés cet été en participant à la grève des services de garde et d’urgence décidée au niveau régional. La grogne monte contre la FSPF. Le syndicat des pharmaciens de ce département (affilié à la FSPF) vient d’adresser un courrier au vitriol à Philippe Gaertner. Il vilipende l’absence de résultats dans les négociations et reproche au président de la FSPF de se « laisser mener par le bout du nez depuis des mois ». Il fustige aussi « le mépris et l’indifférence » témoignés par le bureau national à l’égard des départements grévistes de l’été.

Alors que la profession doit se montrer plus que jamais solidaire dans l’hypothèse d’une action forte pour protester contre la politique gouvernementale, la dissidence s’installe dans ce département. « La base se reconnaît chaque jour un peu moins dans ses représentants syndicaux, nous-mêmes avons perdu la foi… », alerte le syndicat des pharmaciens d’Eure-et-Loir, qui a décidé en 2014 de n’appeler aucune cotisation syndicale auprès des adhérents, hors celle des coprésidents, trésorier et secrétaire.

Les groupements également excédés

Les groupements montent également au créneau, à l’image d’Evolupharm, qui, avec l’adhésion d’autres groupements, essentiellement membres du CNGPO, et un certain nombre de génériqueurs, dont Biogaran et Téva, demande aux pouvoirs publics l’arrêt des économies auprès d’une cible facile, la pharmacie. « Ces économies peuvent paraître suffisantes et nécessaires auprès du grand public, patient et consommateur en pharmacie mais ne sont en fait qu’une mascarade qu’il est important de dénoncer si ces derniers ne veulent pas être les premiers touchés par la désertification des pharmacies », décrit Evolupharm. « Alors qu’il suffirait d’augmenter la prescription dans le répertoire pour réaliser plus de 3 milliards d’euros d’économies, sans toucher ni la pharmacie ni les patients », précise son président, Jean-Pierre Chulot.

La fin d’année promet donc d’être mouvementée si les négociations n’aboutissent pas et si le gouvernement ne met pas rapidement du contenu derrière les intentions et les promesses…

L’ESSENTIEL

• Plusieurs mesures du PLFSS 2014 impactent directement l’officine : baisses de prix des médicaments, réforme des contrats de coopération commerciale, expérimentation de la dispensation à l’unité de certains antibiotiques…

• Plusieurs départements se sont lancés dans une grève des gardes contre la baisse de prix des médicaments.

• Les négociations sur la rémunération entre les trois syndicats et l’Assurance maladie patinent.

• L’opération « Voici les clés, Madame la Ministre » a été suivie par 3 000 officines.

• Pour la deuxième année consécutive, la ministre de la Santé est absente au Congrès national des pharmaciens.

Les Pigeons prêts à se battre en justice et à défiler ?

Attendant la fin des débats parlementaires pour décider de la conduite à tenir, les « Pigeons pharmaciens » réfléchissent à se structurer en association. « Nous envisageons d’intenter une action en justice contre l’État pour manquement envers notre profession et contre l’Assurance maladie qui nous fait supporter une charge de travail administratif croissante, bloque les paiements et impose de nouvelles procédures sans concertation », livre Jean Ducros, fondateur du blog. Leur mouvement de protestation pourrait en rallier d’autres. Réunissant les praticiens sous le slogan « les médecins ne sont pas des pigeons », l’Union française de la médecine libre (UMFL), représentée par deux syndicats – le Bloc et la Fédération des médecins de France –, appelle les représentants de la profession à battre le pavé parisien le 2 décembre prochain pour exiger plus de dignité et de reconnaissance. « Notre participation à cette manifestation est à l’étude », précise-t-il.