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La santé publique, c’est pas automatique

Publié le 5 juin 2004
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« Les antibiotiques c’est pas automatique », « La santé vient en mangeant », « Fumer tue »… Les messages de prévention, ressassés dans tous les médias, sont-ils réellement efficaces ? Réponses des organismes de santé publique et des agences de communication.

Avant d’être diffusée dans les médias, une campagne de prévention a déjà traversé un long processus d’élaboration. Le message n’est que la partie visible de l’iceberg. « On ne travaille pas comme ça, sur un coup de tête dans un bureau, explique Anne Ramon, directrice de la communication à l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé). Lorsque nous faisons intervenir les agences de communication chargées d’élaborer les messages, elles travaillent à partir d’une stratégie déjà très aboutie. »

Que ce soit à l’INPES, à la CNAMTS, au Cespharm (Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française) ou dans tout autre organisme initiateur de campagne de prévention dans le domaine de la santé, le choix des thèmes s’inscrit dans un plan d’action plus large. « Notre choix s’inscrit dans les priorités en termes de santé publique déterminées par le gouvernement. Nous intervenons là où l’éducation peut apporter quelque chose », confirme Anne Ramon.

La CNAMTS avoue, pour sa part, une vocation plus « régulatrice » : « L’objectif de la CNAMTS, dans ses actions de communication, est de promouvoir la bonne utilisation du système de soin. Le but est de faire de la pédagogie afin que le patient utilise au mieux le « bien de soin ». Le bénéfice doit être à la fois individuel et collectif. La campagne sur les antibiotiques illustre bien ce double aspect puisque c’est à la fois une lutte contre la résistance bactérienne (bénéfice individuel) et pour la baisse de leur consommation (bénéfice collectif et économique) », commente Geneviève Chapuis, responsable pour la CNAMTS de la campagne sur les antibiotiques.

Chaque organisme apporte donc sa pierre à l’édifice et traite le problème soulevé par le gouvernement ou pointé par l’OMS en fonction de sa vocation première. A l’INPES, le thème des maladies infectieuses va aboutir à une campagne sur le lavage des mains et sur l’amélioration de l’éducation à l’hygiène de base, tandis que la CNAMTS s’orientera vers une meilleure utilisation des antibiotiques.

Un an entre le choix d’une campagne et sa diffusion.

Une fois le thème défini, la stratégie va être élaborée. L’INPES bâtit son plan d’attaque à partir de l’analyse du contexte par le biais de données épidémiologiques fournies par L’INVS (Institut national de veille sanitaire), à partir d’études comportementales fournies par le « Baromètre santé », en s’appuyant sur des études ad hoc ou encore sur des revues de la littérature étrangère offrant un regard sur des expériences similaires menées en dehors de nos frontières. Cette stratégie est finalement soumise à un comité d’experts puis validée par le ministère.

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Dans une démarche équivalente, la Caisse nationale d’assurance maladie s’est appuyée sur l’expertise des institutions scientifiques (Afssaps, sociétés savantes, Institut Pasteur…) pour confirmer la nécessité d’agir sur la préoccupation alors émergente des résistances bactériennes et de la surconsommation des antibiotiques. Des concertations qui prennent du temps. Selon Anne Ramon, entre le choix d’un thème et le lancement d’une campagne il s’écoule un peu plus d’un an. « Il faut compter entre trois et cinq mois de travail pour la définition de la stratégie, six à sept mois de consultation [procédure administrative visant à vérifier la conformité du dossier, NdlR], et un à deux mois de production. »

Les délais s’allongent du côté de la CNAMTS, puisque Geneviève Chapuis confie « qu’il faut remonter à 1999 pour voir les premières actions menées localement (actions tests) avant le coup de feu de 2002, année de lancement de la campagne sur les antibiotiques ». Mais cette campagne est sans doute l’exception qui confirme la règle puisque, plus généralement, Geneviève Chapuis estime aussi que la mise en place d’une campagne d’opinion prend environ un an. Heureusement, pour gagner du temps, les agences de communications (une agence par thème), choisies par le système des appels d’offres, bénéficient de contrats valables trois ans afin de réduire les délais de réalisation. A elles d’élaborer la stratégie des moyens.

Casser les idées reçues.

« Il y a le choix des médias et la façon dont on travaille avec, explique Anne Ramon. Il est inutile en effet d’aller au plus large de façon systématique. Nous déterminons toujours un public prioritaire. Si nous souhaitons informer la population gay sur l’usage du préservatif ou les conduites à risque, nous privilégierons une certaine presse et certains lieux. De même, il est inutile d’utiliser tous les médias en même temps. Chaque support permet d’amplifier l’effet recherché. Si l’on souhaite interpeller sur un thème, la télé ou la radio s’y prêtent bien. L’information passe plutôt par le support écrit tout comme l’éducation (presse, affiches, brochures). »

Le ton adopté dépendra lui aussi de la stratégie mise en place. « La communication sur le thème du tabac date de 1966, note Anne Ramon. Il fallait proposer un nouveau regard sur le tabac. Ne plus montrer les dégâts qu’il cause mais montrer ce qu’il est, c’est-à-dire un produit dangereux. Nous avons alors mis en place la campagne choc du numéro d’appel qui a provoqué plus d’un million de coups de téléphone en une soirée. En revanche, comme nous tentons de faire du préservatif un objet courant, nous n’utiliserons pas de message fort. » Mais quels que soient le ton ou la forme utilisés, l’objectif est unanimement le même, casser les idées reçues et donner des repères sans tomber dans le normatif.

Côté budget, les coûts se chiffrent en millions d’euros. La campagne sur les antibiotiques a ainsi coûté 8 millions d’euros (6 MEuro(s) pour tout ce qui tient de la communication et 2 MEuro(s) pour la mise à disposition des médecins des tests de dépistage rapide). Le budget consacré à la promotion de l’activité physique dans le cadre du programme national Nutrition-Santé avoisine les 4 millions d’euros. Des budgets importants qui se répartissent sur au moins deux ans, parfois trois, puisque c’est la durée moyenne de diffusion d’un message de prévention. Mais pour quels bénéfices ?

Succès pour la campagne sur les antibiotiques.

« Chacun sait que communiquer c’est répéter : la multiplicité des sources, des supports, des messages est un atout, sous réserve que la cohérence soit préservée. Il faut y veiller car le patient risquerait sinon de perdre tout le bénéfice de ces actions », concluait Agnès Denis, directrice de la communication de la CNAMTS, lors de son intervention consacrée à l’information des patients au forum Economie Santé 2003. Il y aurait donc un bénéfice mais toute la difficulté réside dans sa quantification.

Certains résultats de sondages pourraient laisser présager d’un impact minime. Ainsi, à la question « Avez-vous entendu parler du programme national nutrition santé ? » (1), sur les 658 professionnels de santé interrogés (généralistes, pédiatres, gynécologues, pharmaciens) seulement 37 % répondaient par l’affirmative. Pourtant, lors de la même vague de sondages, le questionnaire patient ouvre des perspectives plus réjouissantes. A la question « Une information santé a-t-elle déjà eu une incidence sur votre comportement ou vos habitudes de consommation (arrêt du tabac, régimes…) ? », 66 % des patients interrogés répondaient oui. Question de cible sans doute. Le message est destiné aux patients, pas aux soignants.

Les fruits de la campagne menée sur le thème des antibiotiques tendent à prêcher pour une efficacité réelle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Cette campagne a été entendue : huit personnes sur dix se souviennent avoir vu la campagne télévisée et déclarent qu’elle leur a plu. Un Français sur deux a entendu les chroniques radio et les deux tiers des auditeurs déclarent qu’elles répondent à des questions qu’ils se posent ou auraient pu se poser. Le site Antibiotiquespasautomatiques.com a enregistré près de 30 000 visites. La campagne semble avoir été écoutée. En effet, en six mois, les prescriptions inappropriées ont baissé de 10 % (- 4 millions) et l’économie générée est de 70 MEuro(s) dont 50 MEuro(s) pour l’assurance maladie.

Un bilan dont le bénéfice se perçoit aussi dans les faits puisque 80 % des médecins généralistes affirment que depuis la diffusion de la campagne les patients sont plus ouverts à leurs arguments. Impression confortée par un questionnaire (2) qui révèle la progression de l’attitude des Français face aux antibiotiques. En avril 2002, ils étaient 26 % a affirmer que les antibiotiques ne sont pas efficaces pour la grippe contre 40 % en janvier 2004, et 25 % affirmaient que les antibiotiques ne permettent pas d’être sur pied plus vite contre 52 % en 2004.

La France en retard.

Cette efficacité semble d’autant plus difficile à jauger que le sujet touche plus aux comportements qu’à la consommation stricte. « On peut éventuellement se fier à des indicateurs transactionnels, explique Anne Ramon. L’impact du message sur le tabac peut se mesurer par les baisses des ventes de cigarettes mais aussi par la hausse des ventes de substituts nicotiniques, tout comme le nombre d’appels sur le numéro de Sida Info Service nous renseigne sur la réception des messages émis à ce sujet. »

Des indicateurs qui sont parfois troublés par un contexte politique fort (campagne antitabac). Qui de la hausse du prix du tabac ou de la campagne sur le tabagisme a fait évoluer les comportements ? Cependant, même si les indicateurs d’impact ne sont pas toujours aussi évidents que dans la campagne sur les antibiotiques, la prévention ne relève jamais de la technique de la bouteille à la mer. Toutes les campagnes s’accompagnent d’une batterie de sondages après lancement (posttests) permettant notamment de mesurer la compréhension du message afin de le modifier ou de l’ajuster si nécessaire.

Une technique largement utilisée par IDS France, société spécialisée dans la communication directe auprès des consommateurs dans les cabinets médicaux et les pharmacies, pour valider l’impact des brochures d’éducation et de prévention santé qu’elle distribue. Chaque semestre, des questionnaires sont glissés dans les brochures mises à la disposition des patients dans les présentoirs de salle d’attente ou d’officine. Ils sont entre 700 et 800 à répondre en retournant leur questionnaire grâce à une « carte T » et les résultats sont traités par Taylor Nelson/Sofres Santé. Selon Frédéric Faurennes, directeur général d’IDS France, les campagnes de prévention, ça marche. Son seul regret tient dans le retard français dans le domaine. « Notre société est aujourd’hui implantée dans dix pays européens, explique-t-il, et la France fait figure d’Asie du Sud-Est tant son retard est grand. Les associations de patients en pâtissent. Elles souffrent de ce manque de visibilité et ont du mal à se faire connaître. »

(1) « Posttest dépliants » IDS France (médecins et pharmaciens) réalisé par Taylor Nelson/Sofres Santé. Rapport d’étude de mars 2003.

(2) Evaluation menée par l’Assurance maladie du 11 au 15 décembre 2003 auprès de 1 005 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Pharmacie, le maillon fort de la prévention

847169 brochures diffusées sur demande, 130 000 brochures diffusées systématiquement dans toutes les officines, 4 091 affiches, 276 900 fiches techniques et 1 493 dossiers techniques diffusés. Ces quelques chiffres illustrent, en partie, l’activité du Cespharm (Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française) pour la seule année 2002. Cette année-là, la commission s’était portée relais de la campagne sur la contraception du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, et de la campagne « La santé vient en mangeant » lancée dans le cadre du programme national Nutrition-Santé, tout en s’impliquant dans la Journée mondiale antitabac, celles contre l’ostéoporose, contre l’herpès et contre le sida.

Mais le Cespharm, dont l’objectif est de développer le rôle du pharmacien en matière de prévention et d’éducation sanitaire, est aussi l’instigateur de programmes propres à l’officine comme le programme d’éducation des asthmatiques ou la lutte contre l’iatrogénie. Un effort qui doit se développer, à en croire les attentes des patients. En effet, à la question « La pharmacie est-elle pour vous un lieu d’information ? », 88 % répondent oui. Interrogés sur le fait d’apprécier ou non l’investissement de leur pharmacien en matière d’information et d’éducation santé, ils sont 98 % à saluer son engagement. Isabelle Adenot, de l’Ordre, ne soulignait-elle pas, lors du IXe Forum international de la gestion de la santé, que « le pharmacien est un interlocuteur privilégié en tant qu’éducateur de santé » ? « Proche (la distance moyenne entre le domicile des patients et l’officine est de cinq kilomètres), il est également disponible puisqu’il suffit de pousser sa porte sans rendez-vous. »