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LA SANTÉ EN CAMPAGNE

Publié le 10 mars 2012
Par Isabelle Guardiola
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Si la santé fait partie des préoccupations des Français, elle est apparue tardivement dans les programmes des principaux candidats à la présidence. Quelles sont aujourd’hui leurs propositions ? Quelle vision ont-ils du rôle des pharmaciens ? Le point à deux mois de l’élection présidentielle.

Déserts médicaux

Peur de heurter l’électorat médical ? Aucun des partis interrogés ne prône la coercition – jugée inefficace – mais des mesures incitatives. Pour le Parti socialiste (PS), il faut valoriser l’installation par la rémunération, créer des bourses et mettre en place un plan d’urgence pour l’installation des jeunes médecins et développer des modes coopératifs d’exercice. Le PS se montre cependant réservé quant à la défense de la liberté d’installation médicale et souhaite limiter les conventionnements dans les zones surdotées. « Le sens de l’histoire nous obligera peut-être à contraindre les médecins en fermant des zones à l’installation, mais nous souhaitons leur laisser une dernière chance », commente Catherine Lemorton, pharmacienne, en charge des relations avec les professionnels de santé dans l’équipe de François Hollande.

La solution des maisons de santé est unanimement louée mais doit être soutenue : Geneviève Darrieusecq, médecin allergologue, responsable santé au MoDem, défend une aide au montage de projets par les collectivités territoriales, et notamment par les agences régionales de santé (ARS) qui, « déconnectées des problèmes de coût, doivent disposer de plus de moyens ». Le MoDem défend en outre une rémunération au forfait et plus de souplesse dans le paiement des actes pour attirer les médecins dans les zones désertifiées, ainsi que le développement de consultations – notamment spécialisées – en télémédecine. « Il faut revenir à l’internat interrégional, estime la représentante de François Bayrou. On pourrait ainsi organiser un concours – par exemple Midi-Pyrénées/Aquitaine – où les postes seraient ouverts en fonction des besoins, avec l’engagement de l’étudiant à travailler dans une de ces deux Régions pendant cinq ou dix ans. » Les propositions du MoDem se veulent finalement un brin coercitives.

François Hollande souhaite un pôle santé (maison ou centre de santé, hôpital local) par territoire. Même idée de régionalisation des besoins chez Nicolas Sarkozy qui propose un numerus clausus régional, fixé après discussion entre les ARS et les facultés de médecine pour faire coïncider les besoins et le nombre de postes. L’Union pour un mouvement populaire (UMP) s’engage de plus à développer les stages dans les cabinets libéraux (généralistes et spécialistes) pendant les études pour casser l’« hospitalo-centrisme ». Elle défend son bilan : « 150 contrats d’engagements à l’installation ont déjà été signés, 400 le seront l’an prochain », assure Philippe Juvin, professeur d’anesthésie et de réanimation, responsable du programme santé de l’UMP. Philippe Juvin ne chiffre pas le coût de cette installation, mais précise que, depuis deux ans, dans les zones désertifiées, on note une hausse d’installation des médecins de 3 %.

Ces médecins, souvent d’origine étrangère, ont des « diplômes incertains et mal validés » et ils sont « honorés à moindre prix », déplore Joëlle Mélin, médecin rééducatrice et coordinatrice santé au Front national (FN). « Pour rendre vie aux déserts médicaux, il faut débloquer la filière française médicale en augmentant le numerus clausus du concours d’entrée, réinstaller la direction départementale de l’Equipement où il y a de la neige, réindustrialiser le pays et réinstaller les agents de l’Etat – disponibles territorialement et en interemploi – dans les écoles et les services publics. » Et les déserts médicaux urbains ? « Tolérance zéro sur les incivilités pour laisser les médecins travailler ! »

Europe Ecologie Les Verts (EELV) souhaite pour sa part une mission de service public des soins de premiers recours organisée autour d’une médecine générale renforcée et de paramédicaux. Sa proposition ? La création de « maisons de santé et de l’autonomie ». EELV en prévoit une pour 10 000 habitants. Pluridisciplinaires, elles s’adjoindraient la participation de travailleurs sociaux et organiseraient des actions de prévention et d’éducation à la santé, notamment en matière d’alimentation.

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Coordination et transfert des tâches

Un patient doit être soigné au bon moment, au bon endroit, par la bonne personne », énonce le PS, qui s’interroge sur la pertinence de consulter systématiquement un médecin. « L’officinal doit absolument être positionné en acteur de premier recours et de prévention, soutient Catherine Lemorton. Il doit être rémunéré pour les missions de santé publique que lui a attribuées la loi, il rend d’ailleurs nombre de services pour lesquels il n’est jamais rétribué : une livraison en dépannage, un conseil à un parent affolé le soir ou le dimanche… » Suivi des vaccinations, renouvellement des ordonnances, suivi des ALD, prévention, surveillance…, les pharmaciens et les autres professionnels de santé ont leur rôle à jouer, soutiennent en chœur PS, MoDem et UMP. Philippe Juvin rappelle l’esprit de la loi HPST (« une nouvelle philosophie de l’exercice médical pour une organisation de santé fluide ») et les vertus du dossier pharmaceutique (« pour monitorer une collaboration avec l’hôpital »). Le secrétaire national de l’UMP estime que « l’officinal fait à la fois partie des professions médicales et non paramédicales ; à ce titre, il doit devenir un praticien d’actes ».

Jean-Luc Veret, médecin de santé publique, président de la commission santé d’EELV, insiste sur la nécessité de mettre en œuvre la coordination des soins, et ce sous la férule du médecin, « le seul à pouvoir suivre le dossier médical et synthétiser des avis spécialisés ». De son côté, le pharmacien pourrait endosser de nouvelles missions : « Il doit contribuer aux tâches d’éducation dans nos maisons de santé, mais aussi contribuer à la santé en travaillant sur la veille environnementale, l’analyse des toxiques, la pharmacovigilance… On a trop fermé les yeux jusqu’ici sur tous les accidents vaccinaux et médicamenteux, au lieu de mener des études épidémiologiques. J’appelle les pharmaciens à négocier le virage de la consommation médicamenteuse, et ce pour la protection de la santé de la population. » Concernant la délégation de compétences, le FN affiche une position ambiguë. S’il n’a « rien contre une ouverture des missions des pharmaciens », il déclare, dans le même temps : « Si les pharmaciens font de la dispensation en EHPAD en lieu et place des infirmières, si celles-ci font les gestes des médecins, si les kinésithérapeutes font – mal – les soins de rééducation des médecins…, les professionnels perdent leurs repères. Que chacun retourne à son travail initial et les patients seront bien soignés. »

Déremboursement et prix des médicaments

Aucun ne reviendrait en arrière. La société n’a plus les moyens de tout rembourser et tout doit être mesuré à l’aune de l’efficacité. « Et pour cela les instances décisionnaires doivent être indépendantes et responsables », estime Geneviève Darrieussecq. Tout en confirmant qu’il faut « s’attendre à ce que les médicaments soient déremboursés en cas de SMR faible », Philippe Juvin redit l’attention qu’il faut porter à « la hausse du coût par transfert sur d’autres médicaments ». Une méthode d’évaluation sur laquelle reviendrait le FN : « Le SMRI est une ineptie validée par rien ni personne. La guerre des laboratoires a eu pour effet de faire disparaître des petits produits pas chers, remarquables pour les pathologies quotidiennes, que l’on devrait remettre en circuit. » Le FN s’engage donc à rembourser à nouveau certains médicaments qui ne le sont plus mais qui ont fait la preuve de leur efficacité.

EELV propose de baisser le prix des médicaments, de supprimer la visite médicale et, avec l’argent dégagé, de créer un « service public d’information médicale ». « C’est par la sortie de la confusion entre l’expertise technique et les intérêts industriels du médicament, par la transparence, que la France diminuera sa surconsommation de médicaments et fera baisser les prix », avance Eva Joly. La position du PS va dans le même sens d’« un prix plus flexible qui valorise les stratégies thérapeutiques réellement efficaces ». Consciente de l’intérêt grandissant des Français pour l’automédication, Catherine Lemorton défend la pratique, « mais seulement en officine et à condition que le pharmacien soit à la hauteur ». Elle se prononce en faveur d’« un corridor de prix pour les OTC », produits qu’elle n’est par ailleurs pas favorable à laisser en libre accès : « Cela banalise les médicaments, il est toujours plus difficile alors d’intervenir auprès du client pour le conseiller. »

Autre sujet pointé par les partis, l’opacité du système de fixation des prix. Le MoDem appelle à une régulation et à un alignement sur les prix les moins chers de nos voisins européens. Opacité également dénoncée par Catherine Lemorton, qui appelle à ce que le Conseil stratégique des industries de santé se réunisse une fois par an, en septembre : « pour plus de transparence et pour voter le PLFSS en toute connaissance de cause ». Ce serait selon elle la première condition pour garder une industrie pharmaceutique française indépendante et soutenir la recherche. Philippe Juvin ne conteste pas la différence de prix par rapport à nos voisins européens : « Historiquement, nous avons ainsi accepté que le générique soit cher pour qu’il puisse entrer sur le marché. Ne faut-il pas réfléchir à une possibilité ouverte au pharmacien de mieux négocier avec son fournisseur le prix des médicaments ? Je pense que ce serait une manière de faire baisser le prix des génériques. »

Conditionnement et ALD

Plébiscitée comme piste d’économie par le FN et le MoDem, le conditionnement à l’unité n’est au contraire pas envisagé par l’UMP ou le PS. « Le bon sens voudrait que ce soit une solution, estime Philippe Juvin, mais je crains que le système soit pire en créant un surcoût lié à des conditionnements individualisés et à des questions de stockage. » « Sur le plan de la sécurité sanitaire, plus on manipule, plus il y a de risques, prévient Catherine Lemorton. Les pays qui s’y sont engagés reviennent en arrière pour des raisons de traçabilité du produit, ou de coût, parce qu’il faut bien payer les pharmaciens… Cela n’exclut pas de repenser certains conditionnements, mal adaptés, à la durée du traitement, et, pour nous pharmaciens, d’adopter une attitude vigilante, dans nos délivrances pour les ALD par exemple. Il faut reprendre notre vrai métier. »

Pour réformer le circuit du médicament, le FN propose plusieurs pistes ?: la mise en place d’une industrie française (« et non plus asiatique ») fournissant le matériel des préparations de doses à administrer et l’encouragement des pharmacies à s’équiper de ces machines. « Nous nous prononçons également pour la suppression du conditionnement trimestriel – puisque, comme l’a révélé une enquête de l’USPO, 23,1 % des patients chroniques changent de traitement au cours de l’année – et pour la suppression de la franchise de 0,50 € par boîte », indique Joëlle Mélin Concernant la prise en charge des ALD, la représentante du FN suggère de « regarder avec bienveillance quelles sont les personnes bénéficiant du ticket modérateur ». Joëlle Mélin estime que 20 % de la population bénéficiant d’une prise en charge à 100 % n’en relèvent pas ou plus. Des « abus » que le FN se fait fort de redresser, au même titre que ceux relatifs aux bénéficiaires de la CMU, CMU-C et de l’AME : « Sur le terrain, c’est net, le comportement de ces personnes est consumériste. »

La sortie amorcée de certaines ALD, revendiquée par Philippe Juvin comme « une mesure nécessaire et normale », est critiquée par François Hollande : « Nous ne sommes pas contre le respect des ordonnances bizone, souligne Catherine Lemorton. Il faut des règles strictes. Mais nous réintégrerions l’hypertension au rang des ALD. De même qu’il nous paraît grave de sortir du remboursement à 100 % une personne ayant eu un cancer au bout de 5 ans de “guérison”. Dans son esprit, la personne est toujours en alerte et le suivi est inhérent à la pathologie. »

Geneviève Darrieussecq prône une prise en charge des maladies chroniques « au forfait et en réseau », et EELV, face à « l’explosion des maladies chroniques », réclame une vraie politique de prévention et d’éducation à la santé – où « tout est à créer » : veille sanitaire, recherche sur les produits dangereux pour la santé, modes de vie revus (alimentation équilibrée pour tous par exemple) et environnement commercial encadré, avec notamment, une réglementation des publicités pour les produits alimentaires. Sous quelle forme ? « 1 % du budget de la santé, soit 1,7 milliard d’euros, sera consacré à la politique de prévention, et un institut national de recherche en santé environnementale sera créé. »

Lutte contre les déficits

Où faire des économies ? « Assurément sur l’hôpital », répond sans hésiter Philippe Juvin, qui dénonce pêle-mêle « des services sous-dotés et d’autres très confortables, une occupation des blocs opératoires mal répartie, des examens redondants, des transports médicaux et des nuitées injustifiés, un retard de la chirurgie ambulatoire, 22 % de salariés non-soignants… ». Bref, un système coûteux et trop sollicité : « C’est ce que nous avons voulu casser avec la loi HPST », assure Philippe Juvin. « Au moins 4 milliards et demi d’euros peuvent être récupérés en appliquant juste le bon droit et en accordant les 100 % à qui en relève », martèle Joëlle Mélin, dont le parti veut aussi réformer les niches fiscales et revoir les contrôles sur l’inaptitude et l’invalidité.

EELV estime que les franchises, les forfaits, les dépassements d’honoraires et les déremboursements ne sont pas des réponses au déficit, mais qu’il s’agit de « freiner la surconsommation, notamment médicamenteuse, et de rétablir un remboursement à 80 % par le régime obligatoire ». Comment ? En cessant, notamment, le paiement à l’acte pour la rémunération à la fonction et en développant prévention et coordination des soins, « mesure efficace à long terme ».

François Hollande s’est contenté pour l’instant d’assurer que les comptes de la Sécurité sociale seraient « équilibrés ». Par quels moyens ? « Il nous faudra chercher des ressources nouvelles en mettant à contribution l’ensemble des revenus », projette-t-il, promettant aussi que « la part de rémunération forfaitaire des généralistes sera augmentée ». Le candidat socialiste souhaite par ailleurs ouvrir un débat sur la place et le rôle des organismes complémentaires qui endosseraient des « responsabilités renforcées » mais recevraient aussi « des contreparties », notamment une levée de la taxe s’ils encouragent qualité et proximité des soins : « Il faut réguler et définir un cahier des charges pour les assurances complémentaires. Nous renforcerons le régime obligatoire de l’assurance maladie pour ne pas que s’installe un dispositif à plusieurs vitesses. »

Côté MoDem, François Bayrou explique que « les régimes de Sécurité sociale doivent être équilibrés », sans préciser de quelle façon il s’y prendrait pour réduire le déficit.

Sondage

Sondage réalisé par téléphone du 17 au 22 février 2012 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Les résultats de ce sondage doivent être interprétés comme une indication de l’état des rapports de force actuels dans la perspective du prochain scrutin. Ils ne constituent pas un élément prédictif des résultats du 1er tour de l’élection présidentielle. Il n’a pas été effectué de redressement statistique.

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Bayrou/Sarkozy

Hollande/Bayrou

Hollande/Le Pen

Sarkozy/Le Pen

Quel(s) sujet(s) estimez-vous suffisamment abordé(s) par les candidats ?