- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- « La responsabilisation ne fait pas partie de notre culture »
« La responsabilisation ne fait pas partie de notre culture »
Depuis le 3 septembre, Santé publique France qualifie d’exponentielle la progression de l’épidémie de Covid-19. Qu’en est-il exactement ? Faut-il tester davantage ? Le port du masque est-il la bonne solution ? L’analyse que propose Martin Blachier, médecin de santé publique, est pour le moins éloignée du brouhaha qui règne actuellement.
Dans ses points de situation sur le Covid-19, Santé publique France se réfère au taux national d’incidence et au taux national de positivité. Ces deux taux sont-ils de bons indicateurs ?
Non, le taux d’incidence n’est pas un très bon indicateur, car il dépend du nombre de tests réalisés et du périmètre des personnes testées. Le taux de positivité est plus pertinent, mais si l’on change le spectre des personnes testées, il évolue dans le temps. Pour l’instant, le taux de positivité est fiable et il augmente effectivement de façon continue de 0,5 à 1 %.
Faut-il s’alarmer de cette augmentation ?
Non. Depuis mi-août, l’épidémie est dans une phase de redémarrage bien avancée alors qu’auparavant [en sortie de confinement, NdlR] la circulation du virus était faible. Nous assistons à une augmentation des hospitalisations et des réanimations depuis le milieu de la semaine du 31 juillet. Il ne s’agit pas d’une hausse extrêmement violente comme en mars, mais il y a bien une augmentation. Nous avons cependant des raisons de croire que ces courbes vont s’infléchir dans quelques semaines, même si nous allons avoir en septembre une légère remontée du nombre de personnes en réanimation et du nombre de décès.
Pour quelles raisons ?
Il faut attendre quelques semaines avant que l’« effet » masques joue. Le port du masque est obligatoire seulement depuis le 20 juillet dans les commerces et depuis le 1er septembre dans les entreprises et les écoles. Or, dans les lieux clos, il divise par 4 ou 5 le risque de transmission du virus.
Le port du masque suscite de nombreuses controverses. Des mouvements antimasques émergent également en Europe. Cela ne risque-t-il pas d’être « contreproductif » ?
Le masque a créé une controverse dans tous les pays du monde, sauf en Asie. Les pays occidentaux n’ont pas cette culture et ils ne voulaient pas, au début, admettre qu’il était efficace pour réduire les contaminations. Aujourd’hui, nous avons des raisons de croire que le masque est une arme très puissante contre le Covid. Le seul problème est que nous avons maintenant des personnes qui affirment que le masque ne sert à rien, que c’est la fin de l’épidémie, qu’il faut prendre exemple sur la Suède, qu’il y a un lobbying de l’industrie pharmaceutique. Ils mélangent tous les sujets et adoptent la thèse du complot, sachant que celui-ci ne ferait gagner personne. Dans le même temps, la majorité des gens portent le masque et c’est important.
Dans de nombreuses interventions, vous vous êtes montré défavorable au port du masque à l’extérieur. N’est-ce pas un peu contradictoire ?
Le virus se « dilue » à l’air libre. Même si vous êtes, dans une rue, serré contre beaucoup de personnes, le risque de contamination est faible. Le port du masque à l’extérieur n’est pas très utile.
Dans ce cas, pourquoi de nombreux maires ont-ils imposé le masque dans les rues ?
Je pense que la gestion de la crise a commencé à dérailler quand le gouvernement a délégué des décisions aux maires. Au niveau local, ils ne peuvent pas prendre des décisions fondées sur la science et cela donne ces mesures qui ne sont pas justifiées et souvent décidées au gré de l’opinion.
Cette délégation est pourtant censée répondre aux critiques faites au gouvernement portant sur la « verticalité » des décisions et leur inadaptation dans certains cas aux situations locales.
La gestion de crise requiert une bonne dose de verticalité pour qu’il y ait une cohérence dans les décisions. Je ne crois pas que cela soit le moment, en pleine crise, de changer le fonctionnement et de déléguer au terrain.
Qu’est-ce qui pêche également sur la gestion de la crise sanitaire ?
Le confinement a permis de casser le pic de l’épidémie et il a été mis en place au bon moment. La création d’un conseil scientifique, qui a émis des avis et pu parler avec l’exécutif, a été une excellente chose, même si on peut améliorer le processus. En revanche, on a cru dur comme fer qu’on allait gérer le déconfinement grâce aux enquêtes de tracing. Or, le tracing est trop long et, avec cette épidémie, les asymptomatiques sont très nombreux. On a voulu faire du benchmarking en effectuant des comparaisons entre les pays. Mais cela ne marche pas comme ça. Les cultures sont différentes. Aujourd’hui, la reprise épidémique est la résultante de la stratégie de contact tracing insuffisante par nature.
Ne faut-il pas laisser aux citoyens un certain libre arbitre pour savoir quand il faut porter le masque ou non en comptant sur leur responsabilité ?
La France est un pays extrêmement vertical, la responsabilisation ne fait pas partie de notre culture. Nous sommes très administrés, nous avons beaucoup de règles et de lois. Les personnes n’ont pas de deuxième lecture pour prendre leurs propres décisions. Elles ont besoin de règles. Nous devons, en fait, caler notre modèle. Lorsque les courbes vont rediminuer en septembre, le cadre va s’assouplir, notamment par rapport au port du masque à l’extérieur. Le discours est encore confus, mais il devrait se clarifier.
Cet été, un nombre très élevé de contaminations a été enregistré chez les 15-30 ans. Les jeunes adultes ont été stigmatisés. Sont-ils vraiment une des causes de ce « rebond » de l’épidémie ?
Toutes les épidémies commencent chez les jeunes. En outre, nous ne pouvons pas comparer avec la situation avant le confinement, puisque les jeunes et les asymptomatiques n’étaient pas testés.
Justement, actuellement un million de tests par polymerase chain reaction (PCR) sont réalisés. Que faut-il penser de cette stratégie ?
La question des tests est complexe en raison de leurs caractéristiques. L’interprétation d’un résultat positif dépend de la prévalence de la maladie dans la population. Pour simplifier, si vous avez 100 personnes qui ne sont pas malades, vous aurez 1 à 2 % de personnes positives rien que par la performance du test. Nous avons beaucoup de faux positifs et 30 à 40 % de faux négatifs. Dans le premier cas, vous mettez des gens en quatorzaine pour rien. Dans le second, le contact tracing ne fonctionne pas, puisque 30 à 40 % des personnes passent au travers des mailles du filet.
Pourtant, on incite les gens à se faire tester, puisque les tests sont maintenant disponibles sans ordonnance. Ce n’est donc pas une bonne solution ?
Cela n’a aucun sens de se faire tester si on n’a pas eu de contact réellement à risque. Il vaut mieux faire attention à ses comportements, en prendre l’habitude plutôt que de tenter de se rassurer par des tests à répétition. Il existe des exceptions comme les personnes qui travaillent en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cette stratégie de testing coûte une fortune et paralyse les laboratoires d’analyse. Il faudrait mieux cibler la population à tester.
Certains craignent un nouveau confinement généralisé ou des confinements locaux…
Je pense que nous arriverons à gérer l’épidémie grâce à un port du masque drastique dans les lieux clos et à une protection renforcée des personnes âgées et fragiles.
BIO EXPRESS
2009-2013
Médecin de santé publique, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines)
2010-2011
Recherche en épidémiologie cardiovasculaire et recherche en neuroépidémiologie, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
2011-2012
Master 2 méthodologie et statistiques en recherche biomédicale, université Paris XI
2012
Cofondateur et associé de Public Health Expertise (médico-économie et modélisation des maladies)
2012-2013
Conseiller médical, ministère des Solidarités et de la Santé
De l’importance des définitions
Le taux d’incidence est le nombre de nouveaux cas rapportés à la population. Il est estimé sur la base du nombre de tests par reverse transcription-polymerase chain reaction (RT-PCR) positifs pour 100 000 habitants, par semaine. La semaine du 24 août, le taux national d’incidence était de 54,8 cas/100 000 habitants et avait augmenté par rapport à la semaine précédente (41,5 cas/100 000 habitants, soit + 32 %).
Le taux de positivité est le nombre de personnes testées positives en RT-PCR Sars-CoV-2 divisé par le nombre de personnes testées, sur les 7 derniers jours consolidés. Au 7 septembre, il est de 5,1 %.
LA STRATÉGIE DU TESTING EN FRANCE
La semaine du 24 août, 809 540 personnes avaient été testées (pour 34 750 personnes, le résultat était positif pour le Sars-CoV-2). Le 6 septembre, Olivier Véran, ministre de la Santé, annonçait que le cap du million de tests réalisés par semaine était franchi. Ce chiffre comprend toutes les personnes qui se font tester, quelle que soit la raison : sujets symptomatiques, personnes contacts, personnes désirant voyager ou revenant de voyage, pour convenance personnelle. De plus, depuis le 30 juillet, les tests RT-PCR peuvent être réalisés sans ordonnance.
Cette politique de testing sans restriction a créé un afflux de patients qui sature les capacités des laboratoires de biologie médicale, qui ralentit les délais d’obtention des résultats et qui provoque une pénurie de réactifs dans certains laboratoires, selon le Syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM). Le 30 août, le délai moyen entre la date de début des symptômes et celle de prélèvement était de 3,8 jours chez les nouveaux cas confirmés, selon Santé publique France.
Cette politique de testing coûte également cher à la France. Selon le Syndicat des biologistes (SDB), l’Assurance maladie débourse 73,59 € pour chaque test RT-PCR effectués. Soit jusqu’à 73 millions d’euros par semaine, ou 318 millions d’euros par mois.
- Economie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Explosion des défaillances en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie
- La carte Vitale numérique, ce n’est pas pour tout suite
- [VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »
- [VIDÉO] Arielle Bonnefoy : « Le DPC est encore trop méconnu chez les préparateurs »
- [VIDÉO] Le service de livraison en ligne : « Ma pharmacie en France » disponible dès juin
- [VIDÉO] Négociations, augmentations, ancienneté… Tout savoir sur les salaires à l’officine
- [VIDÉO] 3 questions à Patrice Marteil, responsable des partenariats Interfimo
- [VIDÉO] Quand vas-tu mettre des paillettes dans ma trésorerie, toi le comptable ?
