Co-présidente de la mission « Information et médicament », Magali Leo fait le point sur le rapport et les mesures annoncées par le ministère de la Santé en matière d’information sur le médicament à la lueur du plan « Ma Santé 2022 ».
Vous avez remis votre rapport à Agnès Buzyn sur l’amélioration de l’information des usagers et des professionnels de santé sur le médicament et la ministre a retenu « seulement » six grandes mesures. N’est-ce pas décevant ?
M. L. : Le rapport a été bien reçu par le ministère, qui n’a pas contesté les observations sur la gestion de l’affaire du Levothyrox et la pertinence de nos recommandations. Nous avons fait beaucoup de propositions qui peuvent être mises en œuvre à plus ou moins long terme, certaines étant plus faciles à réaliser que d’autres plus coûteuses… Les mesures annoncées par Agnès Buzyn sont intéressantes. La ministre s’est inspirée du rapport, mais ces annonces sont effectivement un peu en deçà de ce ce que nous proposons. Il faudra voir si, dans la mise en œuvre, une possibilité d’évolution se dessinera pour ces mesures, se rapprochant davantage de ce que nous avons proposé.
Pourquoi proposer que l’ANSM soit responsable de l’information auprès du grand public et des professionnels de santé ?
Nous proposons que l’ANSM soit l’autorité compétente pour informer les professionnels de santé et le public sur le médicament. Ce qui implique une modification législative pour lui reconnaître expressément cette mission. Il nous paraît essentiel de relégitimer l’ANSM, lui donner les compétences et les moyens pour renforcer la communication hors crise, la communication « à froid » sur le médicament, c’est-à-dire l’information sur tous les processus, les synthèses d’évaluation et la mise à disposition de tous les outils et de tous les documents qui lui permettent d’évaluer un médicament. L’ANSM met déjà en ligne des documents, mais son site internet n’est ni ergonomique ni facile d’accès. Notre idée est que la plateforme de communication, que nous avons appelée « Médicaments Info Service », soit sous la responsabilité de l’ANSM. Elle aurait vocation à rassembler des documents qu’elle produit elle-même ainsi que ceux de la Haute Autorité de santé (HAS) et des sociétés savantes sur l’évaluation d’un médicament. Ce qui signifie qu’il pourrait y avoir des informations contradictoires ou divergentes sur un médicament. C’est normal et ces disparités doivent être assumées car la science et les connaissances sur les médicaments évoluent, et il faut l’expliquer au plus grand nombre. Actuellement, l’information sur les médicaments est éclatée et il n’y a pas un site public de référence. De mon point de vue, cela relève de la responsabilité de l’ANSM de coordonner un tel site. La plateforme pourrait avoir un volet « usagers » et un volet « professionnels de santé » avec, pour ces derniers, une ligne téléphonique pour répondre à leurs besoins d’informations sur un médicament en temps réel. Elle pourrait aussi permettre à tous de poser une question par mail avec la garantie d’une réponse rapide. L’idée est de renforcer la portée et la rapidité de l’information publique sur le médicament pour qu’elle gagne en crédibilité et en audience et que l’on sache à qui s’adresser.
Le rapport recommande de créer une cellule spécifique pour la communication de crise. Ce n’est pourtant pas le choix du ministère…
Publicité
Il y a une divergence avec la ministre, puisqu’elle propose que l’ANSM soit aussi responsable de la communication en temps de crise via le Centre d’appui aux situations d’urgences, aux alertes sanitaires et à la gestion des risques (Casar), créé il y a une dizaine de mois. Or, le Casar s’appuie sur une équipe très restreinte, salariée de l’ANSM. Selon nous, il conviendrait de créer une véritable cellule de crise comprenant des représentants des professionnels de santé et des représentants d’usagers. Cette coopération permettrait de faire remonter des informations du terrain avec rapidité, agilité et souplesse. Certaines parties prenantes sont assez organisées pour cela. Je pense notamment aux pharmaciens ainsi qu’aux associations de patients qui font un effort important de veille sanitaire avec les usagers. A partir de ces échanges, la cellule déciderait ou non d’informer les professionnels de santé et les usagers.
Mais aujourd’hui, il y a de nombreuses sources d’information, publiques et privées. Comment les usagers peuvent-ils « faire le tri » ?
L’information est plurielle et il ne s’agit pas de l’uniformiser. L’enjeu est de restaurer la confiance dans la parole publique, mais le débat sur le médicament doit toujours rester ouvert, car il permet souvent de faire avancer les connaissances sur les produits de santé. Il n’est pas sain que les autorités publiques se fassent distancer et « ringardiser » par l’information privée. L’information publique doit se réformer pour être accessible, crédible et transparente. La population est tout à fait capable d’entendre qu’un doute existe sur un médicament, et que cela suscite des contradictions et un débat. On aurait tort de lui faire croire que l’AMM est un certificat d’innocuité. Il faut développer la culture générale autour du médicament. Dans ce cadre, la notion de bénéfices/risques est cruciale pour les professionnels de santé et les usagers. Chacun doit comprendre que tous les médicaments, y compris ceux achetés en automédication, présentent des risques dont les effets peuvent parfois se révéler des années après.
Justement, quel rôle joue à vos yeux le pharmacien ?
De toute évidence, le professionnel du médicament, c’est le pharmacien. Mais le médecin est le prescripteur. La difficulté pour les pharmaciens est, lorsqu’ils repèrent une anomalie sur l’ordonnance, d’appeler le prescripteur. La démarche n’est pas aisée, car cela signifie qu’il faut expliquer au médecin, douter de la pertinence de sa prescription, parfois réorienter le patient vers un autre traitement. Nous demandons que les médecins soient mieux formés sur le médicament. Mais cette formation ne doit pas être uniquement transmise par les industriels de santé. D’autre part, les professionnels de santé et notamment les médecins généralistes doivent pouvoir recourir plus systématiquement à des outils d’aide à la prescription. C’est déjà le cas, mais il faut aller plus loin, rendre les logiciels d’aide à la prescription incontournables. Même si on rajoute des heures de formation, cela ne sera jamais assez pour disposer d’une science parfaite et actualisée sur le médicament.
Le gouvernement travaille d’ailleurs sur la réforme des études de santé. Il vient aussi d’annoncer son plan « Ma Santé 2022 ». Qu’en pensez-vous ?
L’association Renaloo est plutôt satisfaite du plan annoncé. Globalement, cela va dans le bon sens. Et pour nous, la grande avancée, c’est le forfait pour la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique. Cela représente cinq années de combat pour une réforme du financement de cette pathologie. C’est un signal très fort.
Un autre point est de redonner du temps médical aux médecins pour informer le patient sur son traitement médicamenteux. a rémunération équivalente ?
Pour moi, on ne pourra véritablement transformer la relation entre le patient et le médecin que si l’on réforme les modes de rémunération. Le paiement à l’acte des médecins libéraux a pour conséquence de multiplier les actes et donc de diminuer le temps médical. On peut toujours imaginer des correctifs, mais tant que les médecins libéraux seront financés à l’acte, nous aurons cette difficulté. Si nous voulons tendre vers plus d’écoute, plus de temps pour l’entretien clinique, plus d’information, et vers une décision médicale partagée qui sera favorable à l’adhésion au traitement, c’est tout le système de rémunération qu’il faut réformer. Cela ne peut pas se faire rapidement. Il y a des avancées avec la ROSP par exemple, mais il faut aller plus loin. Ce qui ne signifie pas moins payer les médecins, au contraire, mais les payer autrement pour que les droits des patients soient respectés, qu’ils soient mieux accompagnés dans leur adhésion au traitement et que le temps de l’information réciproque puisse avoir lieu. Le vrai levier pour transformer les pratiques, c’est la rémunération.
BIO EXPRESS
• 2007 : Diplôme de juriste.
• 2008-2017 : Chargée de mission au Ciss (Collectif interassociatif sur la santé), puis à France Assos Santé.
• Octobre 2017 : Magali Leo rejoint l’équipe de Renaloo (association membre de France Assos Santé) en tant que responsable du pôle plaidoyer de l’association. Elle représente aussi France Assos Santé au conseil de la Cnam.
• 2017-2018 : Co-présidence avec le Dr Gérald Kierzek de la mission « pour améliorer l’information des patients et des professionnels de santé sur les médicaments » initiée par la ministre des Solidarités et de la Santé.