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La pharmacie en état d’alerte

Publié le 28 août 2010
Par Francois Pouzaud
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En 2009, les pharmaciens ont continué de souffrir, avec une croissance du chiffre d’affaires qui marque nettement le pas et un taux de marge qui reste trop bas. La situation pourrait devenir très critique cette année, en particulier pour les pharmacies les plus endettées. La toute dernière enquête de Fiducial Expertise tire la sonnette d’alarme.

Les statistiques économiques des officines sont sans surprise. « Les officines sont en petite santé », glisse Philippe Becker, le directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise. C’est en tout cas le constat que vient de dresser le cabinet d’expertise comptable dans son étude menée sur un échantillon de 468 officines. Au vu des chiffres de l’an dernier, le secteur est donc fatigué. Il le restera tant que l’activité sera corrélée aux mesures gouvernementales de réduction des dépenses de santé, et que les pharmaciens ne trouveront pas de nouveaux relais de croissance. « L’annonce de nouvelles missions confiées aux pharmaciens dans le cadre de la loi HPST ne trouve encore aujourd’hui aucune matérialité économique pour la profession », relève l’expert.

1 Le chiffre d’affaires diminue

En attendant ces nouveaux relais, les résultats des officines ne sont pas réjouissants. L’activité est de plus en plus ralentie : la progression du chiffre d’affaires moyen (HT) continue de diminuer (1,39 % en 2009 contre 1,58 % en 2008). C’est la croissance la plus faible depuis une quinzaine d’années. Autre fait accablant, le nombre de pharmacies dont l’activité régresse est en hausse. « 40 % des officines ont vu leur chiffre d’affaires diminuer, relate Philippe Becker. Cette situation s’explique sans doute par la crise du pouvoir d’achat et la baisse de la prescription des médicaments. La vague des déremboursements a également amplifié la tendance. » Mais le problème est plus profond que la crise : depuis 2005, les plans visant à réduire la consommation de médicaments se succèdent, plombant chaque année un peu plus les comptes de la pharmacie. En cinq ans, cette consommation a diminué de 200 millions d’unités.

2 L’attractivité, un atout majeur

Comme d’habitude, toutes les officines ne sont pas logées à la même enseigne. Celles qui sont exploitées en association tirent mieux leur épingle du jeu.

La croissance du chiffre d’affaires (HT) passe de 1,85 % à 2,10 % pour les pharmaciens en association. En revanche, elle diminue de 0,35 point (de 1,38 % à 1,03 %) pour les officines en individuel.

Les différences sont également marquées entre les officines en fonction de la zone de chalandise. En 2009, les officines de centre commercial ont repris leur position de leader, affichant une belle croissance de 2,47 % de leur chiffre d’affaires. A l’autre extrémité, les officines rurales enregistrent une évolution au plus bas (+ 0,71 % seulement). Faut-il y voir les premières souffrances d’un handicap annoncé, la désertification médicale ?

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Autre constat : une nouvelle fois, les pharmacies dont le CA HT est supérieur à la moyenne (1,428 M€ en 2009) tirent la croissance, en particulier celles en association et situées en centre commercial (+ 4,81 %), ce qui tend à démontrer que l’attractivité commerciale est un atout majeur, même en période de crise.

3 Le taux de marge reste stable

Fiducial note une légère amélioration sur le front de la marge commerciale après remises. « L’année 2009 confirme la stabilisation, et même une légère hausse de ce ratio qui passe de 27,69 % à 27,75 %. » Toutes les typologies de pharmacies sont concernées par cette sensible amélioration du taux de marge, mais une fois encore, ce sont les officines de centre commercial exploitées en association qui enregistrent la hausse la plus forte (+ 0,86 point), renouant avec un taux de marge supérieur à 29 % (29,02 %).

En valeur absolue, la variation de la marge de l’officine moyenne est relativement faible (+ 1,5 %), avec un montant de 392 000 € en 2009 (contre 386 000 € en 2008). « Cette tendance doit être interprétée avec recul, car les frais d’exploitation ont progressé plus fortement ces trois dernières années ». Or, ces charges restent toujours trop lourdes dans un contexte où le marché du médicament est moins dynamique qu’auparavant.

4 Des frais en hausse

Autre conséquence du ralentissement de l’économie, le poids des frais de personnel s’alourdit de façon inquiétante. Ce poste, représentant 9,75 % du chiffre d’affaires en 2009, a augmenté plus vite (+ 3 %) que le chiffre d’affaires et la marge. « Ces frais n’ont jamais été aussi élevés depuis une dizaine d’années », remarque Philippe Becker. L’an dernier, les pharmacies de centre commercial ont supporté, en moyenne, un taux de frais de personnel de 11,38 %. Du fait de la faiblesse de l’activité et de la hausse des charges, les officines voient leur rentabilité s’éroder : – 0,54 point pour l’EBE (excédent brut d’exploitation), en moyenne à 10,89 %. « Cette régression de la rentabilité est, en particulier, une mauvaise nouvelle pour toutes les pharmacies endettées. En 2009, leur part est passée de 75,44 % à 80,5 %. » Ce nouvel affaiblissement de l’EBE entraîne un déséquilibre de la trésorerie, qui souffre de nouvelles contraintes en matière de délais de paiement. Conséquence : le pharmacien doit utiliser des financements coûteux et payer des agios.

Philippe Becker a donc toutes les raisons de tirer la sonnette d’alarme. « Près d’une pharmacie sur deux est dans le rouge. Parmi celles qui sont à découvert, 24 % ont un découvert inférieur à 7 500 € et 8 % un découvert supérieur à 30 500 €. De plus, la part des officines ayant recours au découvert ne cesse d’augmenter. » Et il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour deviner que le millésime 2010 sur le plan financier sera encore plus mauvais.

En attendant que le gouvernement apporte une véritable réponse économique aux difficultés criantes qui fragilisent un nombre croissant d’officines, leurs titulaires sont condamnés à une politique de gestion de leurs charges très rigoureuse accompagnée de gains significatifs de productivité. Une fois les premières mesures de limitation des investissements mises en œuvre, il ne restera que la réduction des effectifs dans les prochains mois pour surmonter cette passe difficile.

Des charges d’exploitation en hausse

Les charges de l’officine (exprimées en pourcentage du chiffre d’affaires) n’ont cessé, en 2009, de flamber.

→ Loyers

Le montant moyen par officine est de 16 733 € en 2009 (+ 8,34 % versus 2008). A la campagne, il s’élève à 14 331 € et, en milieu urbain, à 18 258 €.

→ Primes d’assurance

Les dépenses moyennes d’assurances sont de 2562 € (0,18 % du CA HT)

→ Frais postaux et de téléphone

Ils sont de 2 609 € (0,18 %).

→ Les services bancaires

Ils coûtent 1 781 € par officine (+ 10,62 %).

→ Impôts et taxes

Ils sont passés de 0,94 % à 0,98 % du chiffre d’affaires en 2009.

→ La taxe professionnelle

Le montant moyen est de 4 064 € en 2009 (+ 10 %).

→ Autres achats et charges externes

Elles sont aussi en hausse de 0,18 point sur 2009.