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La grande distribution grignote des milligrammes à l’officine

Publié le 17 novembre 2001
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Avec l’arrêt de la cour d’appel d’Angers, qui vient d’autoriser la vente en grande surface de vitamine C à un dosage inférieur à 1 g, le bras de fer entre l’officine et la grande distribution penche aujourd’hui en faveur de cette dernière. Ce qui encourage Michel-Edouard Leclerc dans son entreprise de démolition du monopole.

La décision est tombée comme un coup de massue pour la chambre syndicale des pharmaciens de Maine-et-Loire qui bataille depuis une dizaine d’années pour empêcher la vente de vitamine C en grande surface. Dans un arrêt du 30 octobre, la cour d’appel d’Angers a en effet débouté le syndicat qui reprochait à des hypermarchés Carrefour, Monoprix, Casino… de la région de vendre des produits à base de vitamine C 500 et C 180. L’arrêt autorise désormais ces enseignes à en vendre jusqu’à la dose de 999 milligrammes, « et non pas au dosage de 1 g, comme il a été annoncé dans la presse », précise Isabelle De Bodinat, avocate de la chambre syndicale des pharmaciens. « Sur ce point, la grande distribution n’a pas obtenu ce qu’elle souhaitait. »

La cour d’appel d’Angers s’est basée sur un rapport d’experts : « Ils ont exposé que le problème n’est pas de savoir si la vitamine C est un médicament, un aliment, un nutriment, un complément alimentaire, un alicament ou autre […] ; ils ont alors décidé, pour éviter toute contestation sur ce point, de ne pas discuter du problème et de toutes questions posées sur les relations de cette vitamine avec l’alimentation et de prendre en revanche position sur les conséquences de l’absorption du produit sur la santé […]. » Conclusion : « Jusqu’à une dose journalière de 1 gramme, les conséquences sur la santé d’une population normale sont pratiquement nulles. […] Il est impossible de définir le seuil à partir duquel un risque existe pour une population sensible . » Par « population sensible », les experts entendent les femmes enceintes, les personnes âgées, pour lesquelles ils préconisent des modalités de présentation et d’utilisation qui, selon eux, relèvent du devoir d’information des fabricants et distributeurs.

C’est pourtant sur le point de déterminer à partir de quel dosage la vitamine C est un médicament que se battent les pharmaciens. « En août 1997, le tribunal d’Angers avait jugé que la vitamine C 150 mg était un médicament. Quand la cour d’Appel a été saisie par les grandes surfaces, nous avons dit que l’on ne devait pas se baser uniquement sur la dangerosité du produit à partir du dosage mais montrer également quels étaient ses effets thérapeutiques, explique Christian Blanc, président de la chambre syndicale du Maine-et-Loire. Nous voulions nous battre sur les deux tableaux. Mais le juge n’a pas fait état des qualités thérapeutiques. Si cela avait été le cas, la vitamine C aurait été considérée comme un médicament. »

Deux mois pour se pourvoir en Cassation

Reste que le 22 juin 1999, « la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé qu’une des vitamines C 500 mg présentes sur le marché était un médicament », constate Jean-Luc Audhoui, de l’Ordre des pharmaciens, étonné qu’une cour d’appel ne prenne pas en compte cette décision. Décision qui aurait dû avoir valeur de référence…

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Que compte faire aujourd’hui la chambre syndicale du Maine-et-Loire ? « Nous avons deux mois pour nous pourvoir en cassation », explique Christian Blanc. Mais l’arrêt qui vient d’être rendu est aussi un coup au moral pour la chambre syndicale de Maine-et-Loire, fatiguée des procédures sans fin. « Depuis des années, nous nous rendons dans les grandes surfaces de la région pour faire des constats avec huissier. Nous avons déjà fait de nombreux procès sur la vitamine C 300, 800, 1000 mg… Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore sûrs de continuer car ces procédures coûtent très cher. Nous avons déjà dépensé 900 000 francs, dont 300 000 francs de la FSPF. Nous devons trouver des aides financières, peut-être demander l’aide de l’Ordre. »

A quand le médicament ?

Premier à s’être lancé à l’assaut du monopole des pharmacies, Michel-Edouard Leclerc s’est également le premier réjoui dans les médias de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers. « J’ai commencé à me battre pour commercialiser de la parapharmacie en 1982 : à l’époque, je n’avais le droit de vendre ni des préservatifs, ni de l’aspartam, ni du lait pour bébé », a déclaré le patron des centres Leclerc à Libération le 12 novembre. Aujourd’hui, l’enseigne réalise 1,5 milliard de francs de chiffre d’affaires dans ce secteur et compte bien encore grignoter du terrain. « Le gros marché qui nous intéresse maintenant est celui des compléments nutritionnels qui pèse en France plusieurs milliards de francs », a détaillé Michel-Edouard Leclerc, qui lorgne également… sur l’aspirine. « Ce produit doit rester un médicament, mais pourquoi m’empêcher de le vendre dans une officine sous licence Leclerc ? », s’est interrogé, narquois, le dirigeant d’un groupe qui compte quelque 538 hypermarchés et supermarchés sur la France. Soit le numéro un de la grande distribution.