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La folie de l’éternelle jeunesse
Ils ont aimé la DHEA, ils adoreront le Botox. Les seniors, qui vivent de plus en plus vieux, veulent également paraître plus jeunes. Si la réglementation française finit par accepter avec réserve certains produits, il n’en va pas de même pour toutes les hormones prônées dans la lutte contre le vieillissement. Mais comment lutter quand il suffit de traverser les frontières ?
L’opération est relativement simple : quelques gouttes du produit dans le muscle qui sous-tend la ride du visage que l’on veut effacer et le muscle se paralyse. La ride traitée disparaît – ride intersourcilière dite « ride du lion », pattes-d’oie ou rides d’expression – pour une durée minimale de quatre à six mois. L’injection est moins douloureuse que son coût : 400 euros environ la piqûre.
Après la DHEA, la toxine botulique fait à son tour son entrée dans ce qu’il faut bien appeler une course à la jeunesse éternelle. D’ici quelques mois, le produit sera officiellement autorisé en France. Le laboratoire Allergan, fabricant du Botox, l’un des médicaments à base de toxine botulique, attend la réponse de l’Afssaps à sa demande d’AMM. Le responsable chargé des relations presse, optimiste, rappelle que la procédure a été entamée il y a déjà deux ans : « Il s’agit de rassurer les patients sur la fiabilité de ce traitement antirides. L’indication est précise et ne devrait concerner que la ride du lion, celle qui se dessine le plus fortement. » Autre restriction : le médicament devrait rester dans la réserve hospitalière, comme il l’était jusqu’ici dans ses indications premières (contraction anormale de la paupière, strabismes, spasmes faciaux…).
Secret de polichinelle.
Outre-Atlantique, la toxine botulique fait fureur dans les « Botox parties », des soirées entre femmes plutôt fortunées. La FDA n’a pourtant reconnu son indication dans le traitement de la ride de la gabelle que depuis avril 2002. En France, l’utilisation de la toxine botulique est également un secret de polichinelle pour les médecins esthéticiens et certains généralistes. « On connaît ses effets depuis dix ans, précise Jean Gadreau, président du Collège national de médecine esthétique et vice-président du syndicat des médecins esthétiques. Tout médecin a droit de l’utiliser hors AMM. Dans ce cas, il engage sa responsabilité civile et professionnelle. » Pour les chirurgiens esthétiques, ce produit est une petite révolution : plus besoin d’utiliser le bistouri pour faire des liftings faciaux.
Certains s’appliquent même à augmenter les effets de la toxine botulique : un dermatologue et un médecin ont récemment annoncé, avant même son officialisation, une association avec l’acide hyaluronique, connu comme produit de comblement des rides. Pourquoi attendre, alors que les médecins, pour l’avoir pratiqué, estiment qu’elle est sans danger ? « Tout au plus risque-t-on, si l’injection est mal faite, un glissement ou une paralysie temporaire. Ce n’est pas la toxine qui est en cause mais celui qui injecte le produit », poursuit Jean Gadreau. Alors que penser du discours de ce neurophysiologiste qui s’est inquiété, en novembre dernier, dans le British Medical Journal des risques de l’utilisation de cette neurotoxine dont on ne connaît pas les effets à très long terme ? « Un coup de publicité, estime Jean Gadreau. En Angleterre, en Belgique et en Suisse on peut l’obtenir dans n’importe quelle pharmacie de ville. En France, le problème est purement administratif et réglementaire. »
La quête du « bien-vieillir ».
Il faut dire que ces produits répondent à une demande massive de « recettes », de remèdes pour faire reculer, ne serait-ce qu’un peu, les marques d’un inéluctable vieillissement. Une demande qui va croissant avec l’augmentation du nombre de seniors et de leur longévité (lire page 23). Pour eux, toutes les solutions sont bonnes à prendre. Une gynécologue se rappelle encore de l’engouement provoqué par la médiatisation de la DHEA auprès de ses patientes. « Aujourd’hui ça s’est calmé, mais il y a deux-trois ans, une patiente sur dix m’en demandait, se souvient-elle. Elles avaient toutes entre 40 et 45 ans, étaient au début de leur ménopause. Il était interdit d’en prescrire mais pour certaines j’ai fini par accepter. Elles insistaient tellement ! Pour en prendre, je leur ai dit qu’il fallait arrêter leur THS. Elles ont fini au bout de deux ou trois mois par revenir car la DHEA ne supprimait évidemment pas les bouffées de chaleur. Aujourd’hui, comme on n’en parle plus, on ne m’en demande plus. »
Françoise Forette, coresponsable de l’étude DHEage qui a lancé l’hormone avec le succès que l’on sait en avril 2000, n’est pas étonnée. « Il y a une quête du « bien-vieillir » dans la population, l’envie de rester jeune, voire de rajeunir. Il y a eu une trop grande attente alors que notre étude n’était que préliminaire, un « débrouillage », reconnaît la gérontologue. Dans cette étude, la DHEA n’a montré qu’un effet modéré mais significatif sur les femmes de plus de soixante-dix ans, limité à l’os, la peau et la libido. Je ne sais pas pourquoi elle est aujourd’hui dans la Pharmacopée européenne alors qu’il n’y a pas eu de nouveaux événements ni de dépôt d’AMM. » Françoise Forette dit comprendre que des industriels aient essayé de tirer parti de l’étude en lançant des crèmes à base de DHEA. « Vous savez, moi la première j’achète des produits antirides ! »
« Ce qui me gêne, c’est de marquer DHEA alors que ce n’en est pas, explique le Pr Marty, spécialiste de cosmétologie (Paris-XI). L’acétyloxo-DHEA, le diester de DHEA sont proches de la structure de la DHEA mais ils sont chimiquement différents. Aucune étude n’a démontré des effets sur la peau qui seraient pertinents. Ces crèmes contiennent en outre d’autres ingrédients comme la vitamine E. Il faudrait donc dans une étude isoler ces composés de DHEA seuls ou contre placebo pour vérifier leur efficacité. »
Une médecine « anti-âge ».
Aux Etats-Unis, la DHEA reste encore d’actualité. Comme la mélatonine, elle a le statut de complément alimentaire et se trouve en vente libre. A la différence des médicaments vendus sur ordonnance, qui sont soumis à 12 à 15 années d’études cliniques avant l’autorisation de mise sur le marché, ces produits sont donc vendus sans pratiquement aucun contrôle. Ils font partie de ces cocktails de produits que des millions d’Américains ont pris l’habitude d’ingérer, tels les cocktails de vitamines, les suppléments nutritionnels… On les achète notamment dans les « centres de nutrition », des magasins que l’on trouve à presque tous les coins de rue.
La « médecine anti-âge » a fait réellement son apparition outre-Atlantique dans les années 90 avec la création de l’Académie de médecine américaine antivieillissement. Elle compte aujourd’hui plus de 10 000 membres. Son credo, qui fait son succès comme le montre la multiplication des cliniques anti-âge : la vieillesse n’est pas un événement naturel contre lequel on ne peut rien. Sa théorie : « réalimenter » le corps en hormones dont la quantité décline à partir d’un certain âge.
Les hormones font naturellement partie de l’organisme (DHEA, mélatonine, prégnénolone, hormone de croissance…). En ramenant leur taux dans l’organisme équivalent à celui d’un jeune adulte, on pourrait donc remonter le temps, rendre au corps d’un homme ou d’une femme âgée son énergie passée, à sa peau son éclat de jeunesse. Ces hormones sont bien connues des gériatres. « On connaît la mélatonine par la chronobiologie. Elle aide à lutter contre le jet-lag, explique Françoise Forette. De son côté, la prégnénolone, que nous allons commencer à étudier, a démontré un effet important sur la mémoire. » L’hormone de croissance, elle, est utilisée principalement pour ses effets contre le nanisme. « On sait qu’elle joue une rôle sur l’augmentation de la masse musculaire et la réduction de la masse grasse. »
Bruno Mousseigne a décidé de prescrire des hormones à ses patientes. Mais, « pour plus de liberté », ce médecin du sport et nutritionniste a décidé de s’installer à Londres il y a trois ans, ce qui ne l’empêche pas de se rendre en France pour effectuer des consultations. « Le seul intérêt du « miracle DHEA », estime-t-il, est qu’elle a conduit les femmes à s’occuper de leur « moteur » alors qu’elles ne semblaient s’intéresser qu’à leur « carrosserie ». » Bruno Mousseigne travaille sur la testostérone, qu’il donne à ses patientes, des femmes de cinquante ans. « Ce sont en général des femmes ménopausées avec des traitements classiques. Je rajoute souvent un androgène et des extraits thyroïdiens. La testostérone donne des résultats sur la libido, la peau, le bien-être bien meilleurs que la DHEA. »
Bruno Mousseigne utilise également des produits qui ne sont plus commercialisés en France mais qu’il se procure en Belgique, comme par exemple le Proviron (mestérolone) pour les hommes et les femmes. Il utilise aussi le gel Andractim pour les hommes. Il vient de créer l’Association française de médecine anti-âge, destinée à promouvoir « toutes les techniques de prévention du vieillissement ». Des cours de formation sont dispensés aux praticiens qui souhaitent en connaître les bases et notamment la compréhension du système hormonal.
La pratique est loin de faire l’unanimité. François Piette, gériatre et membre de la Fondation nationale de gérontologie, reste sceptique : « Avec les années l’organisme se modifie, mais ce n’est pas parce que, par exemple, la DHEA diminue avec l’âge qu’elle joue un rôle dans le vieillissement. La DHEA est très faible au moment de la puberté. Il n’existe pas de démonstration que cette baisse soit en soi délétère, souligne-t-il. On a aussi démontré que la mélatonine baisse avec l’âge dans l’organisme, mais pas que cela était nocif. Les hormones peuvent être utilisées dans certains cas. Faire de la substitution hormonale par des oestrogènes et de la progestérone est relativement simple pour les femmes car elles connaissent toutes la ménopause à peu près avec la même intensité à la même époque. Mais pour les hommes, la baisse d’hormones dans l’organisme est variable selon les individus. »
Les voyages forment la jeunesse…
Hors des indications reconnues, la prescription d’hormones, excepté en préparations pour la DHEA, est formellement interdite en France. Reste qu’elles sont facilement accessibles à l’étranger ou sur Internet. Interdite aux Etats-Unis, l’hormone de croissance est disponible en Belgique. Leur interdiction ne suffit donc pas, loin de là, à empêcher leur consommation ou leur utilisation…
« Vous ne pouvez pas empêcher les gens de s’approvisionner, souligne Christophe de Jaeger, gériatre et fondateur de l’Institut européen sur le vieillissement. Je vois des gens de 50 ans, qui voyagent et qui se procurent toutes sortes de produits dans le monde et surtout aux Etats-Unis. Ce n’est qu’au terme d’un bilan scientifique que des conseils peuvent être donnés : nutrition, vitamines, exercice physique, et bien sûr les hormones. » Ce médecin a entrepris de travailler avec des laboratoires pour mettre en place un protocole d’essai clinique sur l’hormone de croissance destiné à démontrer son intérêt dans les carences de l’adulte.
Selon les détracteurs, il n’existe pas d’étude scientifique avérée sur la réalité de l’efficacité de l’utilisation des hormones. Que faire alors ? « Certaines choses sont démontrées : ne pas fumer, faire du sport dans une certaine mesure, précise François Piette. Ensuite, cela devient moins clair : si on a des facteurs de risque cardiaque, il vaut mieux manger des plats de type méditerranéen… » La réalité n’a vraiment rien d’un rêve…
Chiffres
400 millions de dollars : c’est le montant estimé des ventes de toxine botulique sur le marché américain en 2002.
Selon Nick Teti, président d’Inamed, ce chiffre pourrait atteindre 800 millions en 2005. Inamed a signé un accord avec Beaufour Ipsen pour des essais de phase 2 sur sa propre toxine botulique (Dysport en France).
Réaction
Et le marketing dans tout ça ?« Pour se démarquer de la concurrence, on raconte par exemple une histoire de femmes des hauts plateaux d’une région d’Afrique qui utilisent une plante exotique et qui n’ont pas de rides. En réalité, on n’en met qu’une pincée et on ajoute de l’acide lactique salicylique ou de la vitamine A ou du rétinol dont on connaît bien les effets. Mais on ne le dit pas car ce n’est pas vendeur », décode le professeur Marty, spécialiste de cosmétologie à la faculté de Châtenay-Malabry.
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