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La clé est-elle anglaise ?
Et si la pénurie médicale était partiellement compensée par une prescription pharmaceutique. Science-fiction ? Pas chez nos voisins anglais en tout cas.
Entendons-nous : la France ne manque pas encore de médecins. Les météorologues de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) ont vu l’orage poindre à l’horizon des cinq ou dix ans, et les parapluies sont déjà sortis : le numerus clausus, après des années sous la barre des 4 000, vient de passer à 6 200. Et avec 330 praticiens pour 100 000 habitants, notre pays se situe même dans la bonne moyenne européenne. Loin devant l’Angleterre, qui compte une densité médicale deux fois moindre que chez nous… sans pour autant laisser mourir ses malades.
Face à la pénurie, le ministère anglais de la Santé a d’ailleurs suivi un raisonnement simple : aux médecins le diagnostic, aux pharmaciens la prescription. Plusieurs centaines sont déjà « supplementary prescribers » et, bien que strictement encadrée, la prescription pharmaceutique est une réalité outre-Manche. Avec quelques difficultés que la France ne connaîtrait pas. Nigel Simmons, coordinateur pour le Cambridgeshire du Programme pour la prescription pharmaceutique, peut en témoigner : « Un des principaux freins au programme de « supplementary prescribing » est que le dossier médical peut difficilement suivre le patient en dehors de l’hôpital. » Or nous avons en France un des seuls systèmes au monde individualisé et unique pour chaque patient. « Nous oublions nos atouts. Aucun autre pays n’a l’équivalent de notre carte Vitale. On va forcer le médecin à tenir le dossier à jour alors que ce rôle pourrait être tenu par le pharmacien. Notre système est très centralisé, profitons-en, rappelle Marc Brodin, chercheur en santé publique à l’université Paris-VII. L’Allemagne compte, à titre de comparaison, 300 caisses d’assurance maladie et les Anglais n’ont même pas de carte d’identité. » Voilà de quoi donner du grain à moudre aux « créatifs » des ministères. Si la désertion des médecins laisse certaines cases de santé publique vacantes, pourquoi les pharmaciens ne les combleraient-ils pas ? L’année 2005 sera intéressante : le prochain rapport de l’ONDPS ciblera particulièrement la profession pharmaceutique. Et sachant qu’à part la démographie des professionnels de santé, l’autre dada du professeur Berland est le transfert de compétences, on peut toujours s’attendre à quelques bonnes surprises dans ce domaine !
« Les médecins sont, de fait, des salariés de la Sécurité sociale »
Le professeur Yvon Berland, doyen de la faculté de Marseille, est président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), dont le rapport de novembre 2004 dresse un constat en demi-teinte : peu de problèmes pour l’instant, mais beaucoup à venir. Il répond aux questions du Moniteur.
« Le Moniteur » : Le rapport Choussat, en 1996, faisait état de 30 000 médecins de trop. Quatre ans après, on parle déjà de désertification, que s’est-il passé ?
Yvon Berland : Il n’y avait pas à l’époque de données fiables sur les besoins en professionnels de santé. Environ 10 000 médecins ont eu recours au MICA (1). C’est le résultat d’une vision comptable et à court terme de la situation. L’ONDPS propose – et c’est nouveau – une analyse complète et fouillée de cette population. Même s’il est vrai que des projections à l’horizon 2025 ont leur limite.
La récente augmentation du numerus clausus pour les facs de médecine va-t-elle dans le bon sens ?
Nous préconisions un numerus clausus à 7 000, on s’en approche. Reste à savoir si les facs vont pouvoir suivre. Il va falloir s’adapter progressivement, le nombre d’inscriptions en première année a beaucoup augmenté et ça risque de coincer un peu. Un effort doit également être fait sur la répartition des élèves dans les stages hospitaliers de troisième cycle.
Quatre-vingt-six cantons dépourvus en offre de soin, ce n’est pas beaucoup ! Est-ce qu’il y a le feu ?
Un canton, ce n’est pas la même chose à la ville et à la campagne ! Il est difficile de prendre un équivalent valable pour tout le territoire. D’autant que ce n’est pas une notion figée, les gens se déplacent, peuvent passer d’un canton à l’autre…
Pour conserver un bon maillage de l’offre de soins, peut-on envisager une loi de répartition pour les médecins ?
Les plus jeunes sont franchement réticents à toute restriction de la liberté d’installation. Que ce soient les associations d’étudiants, d’internes ou de médecins généralistes. En période de diminution des effectifs, imposer des restrictions à l’installation reviendrait à créer des postes de « remplaçants permanents » qui ne seraient jamais pourvus car personne n’en voudrait. Mais les médecins ne se rendent pas compte que la population est en droit d’avoir des soins. La répartition doit être égalitaire, tout le monde cotise. Il ne faut tout de même pas oublier que les médecins sont, de fait, salariés de la Sécurité sociale !
Le transfert de compétences est-il une solution ?
Il est important que les médecins puissent se recentrer sur le coeur de leur métier. Et donc transférer une partie de leurs tâches à d’autres professionnels de santé. L’année 2005 mettra le rôle des pharmaciens en valeur à l’ONDPS. La réflexion est déjà amorcée. L’idée de « pharmacien gatekeeper » (2) peut faire partie des pistes de réflexion. Il va nous falloir inventer de nouvelles solutions.
La médecine libérale est-elle encore un modèle pérenne ?
Joker ! [rires] Si on ne développe pas des réseaux de soins efficaces entre la médecine publique et la médecine libérale, on s’achemine vers de nombreux problèmes ! Le paradoxe est que les jeunes médecins favorisent le salariat sur l’exercice purement libéral. Parce que les mentalités changent et que la profession se féminise… Un poste salarié sera toujours exercé là où il est pourvu. Mais en même temps ils refusent toute idée de restriction à leur liberté d’installation !
(1) MICA ou mécanisme d’incitation à la cessation d’activité. Entre 1988 et 2003, selon les chiffres de la Caisse autonome de retraite des médecins de France, 10 469 médecins ont profité de cette « préretraite » accessible à partir de 57 ans.
(2) Terme anglais que l’on pourrait traduire par « pharmacien de famille ».
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