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Jean-Christophe Grall « Les officinaux risquent d’être davantage sanctionnés »
« Le Moniteur » : Pensez-vous que les pharmaciens aient été récemment davantage dans le collimateur de la DGCCRF que d’autres circuits de distribution ?
Jean-Christophe Grall (cabinet Meffre et Grall) : Il n’est pas du tout évident que le secteur pharmaceutique soit plus visé aujourd’hui que d’autres secteurs d’activités. Mais il faut reconnaître que depuis quelques années, l’administration semble faire preuve d’une plus grande rigueur, en dénonçant les pratiques rencontrées dans le secteur de la pharmacie. Les officinaux doivent prendre conscience que leur activité relève aussi des règles du droit de la concurrence. Les contrôles de la DGCCRF s’inscrivent dans une logique plus globale de lutte contre la fausse coopération commerciale, d’où la recherche d’infractions à l’encontre de certains officinaux qui étaient allés au-delà de ce que les textes permettent en matière de coopération commerciale.
Les premières amendes infligées aux pharmaciens restaient modestes par rapport au risque encouru. Risquent-elles d’être plus sévères à l’avenir ?
Cela ressemblait effectivement à un avertissement à la fois de l’administration, des parquets et des juges, même si le jugement rendu par le tribunal de police de Nantes le 26 février dernier a fait grand bruit. Ont été mis en cause des pharmaciens ayant accepté de recevoir une rémunération au titre de services dont la réalité a été contestée par l’administration. Une telle rémunération a été requalifiée en réductions de prix et les officines ont été condamnées pour non-respect de l’article L. 138-9 du Code de la Sécurité sociale ; les réductions auraient dues être portées sur les factures de vente des spécialités pharmaceutiques qu’ils avaient reçues (1)… Sachant que nous nous situons ici dans le domaine contraventionnel (une possible amende de 5e classe de 1 500 Euro(s) ou plus pouvant être portée au double en cas de récidive) et que le principe de non-cumul des peines n’est pas applicable aux contraventions, cela signifie que des condamnations cumulatives peuvent être prononcées pour chaque faute relevée. De plus, il faut savoir que le parquet de Nantes n’a pas poursuivi ces pharmaciens sur le fondement du non-respect des dispositions du Code de commerce régissant les mentions sur factures, ce qui aurait pu faire plus mal ! Car ce dernier texte édicte un principe de coresponsabilité de l’émetteur et du destinataire d’une facture, ce qui aurait pu induire tout à la fois une poursuite, cette fois non plus devant le tribunal de police mais devant le tribunal correctionnel, pour infraction aux règles de facturation, et ce tant à l’encontre des pharmaciens poursuivis que de leurs fournisseurs. On peut donc raisonnablement penser que si des jugements devaient avoir lieu à la suite d’autres contrôles, la décision de février ne pourrait qu’être amplifiée avec des sanctions beaucoup plus importantes [NdlR, même si la sanction de février est entrée dans le champ de l’amnistie présidentielle selon la DGCCRF]. Il convient donc d’être extrêmement vigilant.
Partant de la volonté des pouvoirs publics de développer le générique, pensez-vous que la DGCCRF pourrait fermer les yeux sur de faux contrats de coopération commerciale ?
La volonté du gouvernement de développer les génériques a été clairement affichée. Cependant on peut douter que les pouvoirs publics entendent qu’une telle volonté vienne motiver l’octroi de budgets de coopération commerciale aux officinaux en marge des règles aujourd’hui applicables. De plus, la DGCCRF avait dès le mois d’août 2000 attiré l’attention des professionnels du secteur sur la marge de liberté dont ils disposaient, notamment « en matière de médicaments génériques » (2). En novembre 1999, elle dénonçait déjà un certain nombre de travers en matière de coopération commerciale, notamment à propos de prestations facturées, à la suite d’études d’opinions sur le développement du marché des génériques, qui semblaient de prime abord de pure complaisance. Il est évident que l’administration devrait en conséquence se montrer encore moins tolérante qu’elle a pu l’être dans le passé, en exigeant que lui soient démontrées la réalité des prestations de services rendues par les officinaux ainsi que la proportionnalité de la rémunération versée à la valeur du service rendu, conformément à la loi « Nouvelles régulations économiques » (NRE) de mai 2001.
Dans sa note d’août 2000, la DGCCRF n’a fait que donner son interprétation. Peut-elle être contestée ?
Les différentes notes de service interprétatives que peut établir l’administration ne constituent pas une source de droit au sens strict. Cependant, on ne peut ignorer que les tribunaux ont une certaine propension à suivre l’interprétation qu’a pu donner l’administration de certains textes de loi qui ne sont pas toujours d’une limpidité évidente, mais l’inverse existe aussi. En tout état de cause, ne s’agissant pas de textes constitutifs d’une source de droit tels qu’une loi par exemple ou un règlement, nous ne pouvons pas envisager de recours au sens judiciaire ou administratif de ce terme. Difficile, en l’absence de jurisprudence, de définir ce que recouvrent de faux services rendus dans les contrats de coopération des officinaux…
De manière plus générale, on doit élargir cette question en se référant à la jurisprudence, considérable cette fois, issue des très nombreuses décisions qui concernent la grande distribution. C’est ainsi qu’une rémunération anormalement élevée entraînera une forte suspicion sur la réalité de la prestation et, de manière quasi systématique, une requalification en réductions de prix déguisées. En outre, il convient de ne pas oublier que les services de coopération commerciale se définissent comme étant des services spécifiques, détachables des contrats d’achat/vente.
(1) Les pharmaciens concernés ont été condamnés au total à 800 euros d’amende pour un dépassement équivalant à 2 200 francs dans un cas et 4 200 dans l’autre…
(2) Pour les génériques, « peut être admise une certaine forme de coopération commerciale » pour autant – ajoutait la DGCCRF – que « le service soit vérifiable et effectivement rendu et que la rémunération y soit proportionnée, le service ne pouvant être rémunéré en pourcentage du CA » réalisé avec un fournisseur partenaire.
A retenir
– avertissement : les premières condamnations de pharmaciens étaient modestes compte tenu du risque encouru.
– seul en cause : le pharmacien est considéré comme l’auteur d’un contrat de coopération dont il bénéficie. Au titre du non-respect du Code de la Sécurité sociale, il est donc seul mis en cause en cas de pépin.
– interprétation : les notes de la DGCCRF n’ont pas force législative ou réglementaire mais sont cependant souvent suivies par les tribunaux. Les jurisprudences d’autres secteurs vont ainsi dans le sens de la requalification d’une « rémunération disproportionnée » de certains services, en « remises déguisées ».
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