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Haro sur la surconsommation de médicaments
La pertinence des prescriptions est l’un des thèmes abordés par l’Assurance maladie auprès des médecins libéraux dans le cadre des négociations conventionnelles. Un sujet qui concerne aussi les pharmaciens. Le bon usage du médicament doit en effet figurer dans la lettre de cadrage pour l’avenant que la profession aura à négocier.
Ce n’est probablement ni un hasard ni seulement pour faire plaisir à la profession que le ministre de la Santé et de la Prévention a accepté d’accélérer le calendrier. Jeudi 23 novembre 2023, Aurélien Rousseau a indiqué devant les députés qu’il allait signer « dans les prochains jours » la lettre de cadrage pour un nouvel avenant à la convention pharmaceutique, afin que les discussions avec l’Assurance maladie puissent se tenir parallèlement à celle des médecins libéraux. Si cette lettre se fait attendre, il n’empêche qu’elle ne devrait pas faire l’impasse sur le bon usage du médicament. Car le gouvernement espère bien réaliser de nouvelles économies sur les volumes de médicaments. A priori, de 300 millions d’euros selon le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, considéré comme définitivement adopté le 4 décembre dernier.
En effet, dès la deuxième réunion thématique avec les syndicats de médecins libéraux, le 23 novembre, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) a présenté un PowerPoint sur le sujet sous l’angle « qualité et pertinence des soins ». Cinq classes thérapeutiques ont été examinées : les antibiotiques, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), les antidiabétiques, les analgésiques et les benzodiazépines.
Trop d’antibiotiques, d’analgésiques…
Le point commun entre ces différentes classes de médicaments ? Leur consommation trop élevée. Pour les antibiotiques, la France se classait toujours en 2021 au cinquième rang en Europe de la consommation avec 21,5 doses définies journalières, soit 31 % de plus que la moyenne de l’Union européenne. Depuis 2012, les prescriptions marquaient une tendance à la baisse, accentuée même par la crise du Covid-19, sauf chez les enfants de moins de 4 ans chez qui la consommation repart à la hausse depuis 2021. Ainsi, les petits Français ont consommé largement cinq fois plus d’antibiotiques que les petits Hollandais.
Une autre spécificité hexagonale reste le volume de ventes d’analgésiques (tous paliers et tous dosages) qui sont parmi les plus élevées d’Europe, derrière l’Espagne. Pour l’exposition au paracétamol et à l’aspirine, la France est à la première place en dose définie journalière. Autre sujet qui figure de longue date dans les objectifs de maîtrise médicalisée de l’Assurance maladie : les IPP consommés par 16 millions d’assurés en 2019, un usage qui serait injustifié dans la moitié des cas si on se réfère à la fiche de bon usage de la Haute Autorité de santé (HAS). « Les IPP sont prescrits inutilement dans 80 % des cas en prévention des lésions gastroduodénales dues aux AINS [anti-inflammatoires non stéroïdiens, NdlR] chez des patients non à risque de complications », a insisté la Cnam auprès des médecins de ville.
Si les antidiabétiques sont examinés à la loupe depuis plusieurs années, un médicament fait en outre l’objet de l’attention des autorités sanitaires : Ozempic, dont l’usage détourné à visée amaigrissante se déploie en France dans des proportions certes bien moindres qu’aux Etats-Unis mais tout de même en progression. Ainsi, l’Assurance maladie estime le mésusage à 1,4 % des prescriptions en août 2023, soit un doublement en 15 mois. Par ailleurs, « le nombre de prescripteurs libéraux à l’origine de ces ordonnances s’élève à près de 2 700 entre septembre 2022 et août 2023, ce nombre était de 1 260 un an auparavant, dont 75 % de médecins généralistes », précise-t-elle. Dans l’insuffisance cardiaque, un mésusage aurait également été mis en évidence pour Entresto (sacubiril/valsartan). Un tiers des patients l’utiliserait en l’absence de traitement préalable par inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou sartan, autrement dit en dehors de l’indication thérapeutique remboursable, plus réduite que l’autorisation de mise sur le marché.
Enfin, l’Assurance maladie a insisté, comme à l’accoutumée, sur l’emploi mesuré des benzodiazépines. Alors que la consommation était en diminution constante, la crise sanitaire a renversé la tendance. Entre mars 2020 et avril 2021, 3,4 millions de délivrances d’anxiolytiques et 1,4 million de délivrances d’hypnotiques avaient été constatées en plus de ce qui était attendu.
Une polymédication très importante
Lors de la même séance de négociation avec les médecins libéraux, la Cnam a réalisé un focus sur la polymédication des personnes âgées de 65 ans et plus. Selon les données de l’Assurance maladie, 6,7 millions de patients de 65 ans et plus sont aujourd’hui polymédiqués, c’est-à-dire consomment cinq molécules ou plus, et 1,6 million de patients sont hyperpolymédiqués (plus de 10 molécules délivrées trois fois par an). « En moyenne, les médecins traitants ont 45 % de leur patientèle en polymédication avec 81 boîtes de médicaments par an (au minimum : 11, au maximum : 177) pour 773 € de montants remboursés (au minimum : 29 €, au maximum : 1 311 €) », détaille la Cnam. En comparaison, en Belgique, la polymédication des plus de 65 ans s’élève à 34,2 % et l’hyperpolymédication des plus de 75 ans à 7,9 %. Or, d’après les données d’Epi-Phare de 2021, on observe en France, chez les patients âgés de 75 ans et plus, une progression de la prévalence de la polymédication de + 3 % entre 2011 et 2019 (de 44,9 % en 2011 à 47,8 % en 2019) et une baisse de l’hyperpolymédication de cinq points (de 30,5 % en 2011 à 25,9 % en 2019). Alors que, comme le souligne l’organisme de santé, « la polymédication chez la personne âgée est associée à un risque accru d’interactions médicamenteuses et d’effets néfastes sur la santé (chutes, troubles rénaux…) ».
Vérifier la pertinence des prescriptions
Autant de données à avoir en tête aujourd’hui pour les syndicats officinaux. « Dans les deux négociations qui vont se tenir en parallèle, les médecins et les pharmaciens auront comme pont l’observance et la qualité de la prise en charge médicamenteuse », a résumé Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), lors du dernier point hebdomadaire de son syndicat le 24 novembre. De son côté, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), milite depuis longtemps pour le bon usage des médicaments, notamment des antibiotiques. Reste que cette volonté du gouvernement de réduire la consommation de certaines classes de médicaments aura forcément un impact sur l’économie officinale. Un double impact même, car elle entraînera non seulement une baisse de la marge due à la diminution des ventes de médicaments remboursables mais également une réduction du montant des honoraires de dispensation. D’où la nécessité de négocier au plus vite un avenant pour revaloriser certains honoraires. D’autant que le rôle du pharmacien est essentiel en matière de bon usage des médicaments. D’ailleurs, dans son rapport « Charges et produits pour 2024 » (juillet 2023), l’une des propositions de l’Assurance maladie est de « renforcer le positionnement du pharmacien comme acteur de santé de proximité et expert du médicament, responsable de la pertinence des délivrances, et [de] poursuivre en conséquence l’évolution du modèle économique des officines ». L’Assurance maladie compte aussi sur les pharmaciens pour lutter contre la polymédication des personnes âgées, en particulier grâce aux bilans partagés de médication. Il est fort à parier que ces préconisations figureront dans la lettre de cadrage du ministre de la Santé.
À retenir
– La pertinence des prescriptions est au menu des négociations entre médecins libéraux et Assurance maladie.
– Cinq classes de médicaments sont visées : les antibiotiques, les inhibiteurs de la pompe à protons, les antidiabétiques, les analgésiques et les benzodiazépines.
– La polymédication des personnes de 65 ans et plus est également dans le collimateur de l’Assurance maladie.
– L’Assurance maladie compte aussi sur les pharmaciens pour vérifier la pertinence des prescriptions.
– La réduction des volumes de médicaments prescrits aura toutefois un impact économique sur les pharmacies que les syndicats devront prendre en compte dans leurs négociations sur l’avenant économique.
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