Grève du 30 mai : pourquoi l’ordre des pharmaciens se mobilise aussi ?
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Grève du 30 mai : pourquoi l’ordre des pharmaciens se mobilise aussi ?

Publié le 28 mai 2024
Par Christelle Pangrazzi
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Interview. Bruno Maleine, Président du Conseil central des pharmaciens titulaires d’officine (section A), détaille les sujets de préoccupation de l’Ordre national des pharmaciens et donne les raisons qui rendent « légitime » la mobilisation des pharmacies le 30 mai 2024.

Depuis quelques mois, la menace d’ouverture de la vente en ligne des médicaments plane sur les officines. Quelle est la position de l’Ordre national des pharmaciens sur cette question ?

B.M. Si plusieurs sujets de santé publique nous inquiètent, l’annonce du Premier ministre Gabriel Attal dans son discours de politique générale d’un assouplissement de la vente en ligne est particulièrement préoccupante. Jusqu’ici nous avons travaillé en bonne intelligence avec les pouvoirs publics sur les conditions permettant de réglementer le commerce de médicaments en ligne. Nous avons été vigilants pour assurer un niveau de sécurité identique à celui de la dispensation dans une officine. Nous disposons de très peu d’éléments sur les mesures envisagées par l’exécutif. Mais défendre une dérégulation de l’officine en invoquant une difficulté d’accès aux soins serait inaudible par la profession. Selon un sondage du début de l’année 2024, 92 % des patients disent « avoir un accès facile aux médicaments ».

La vente en ligne de médicaments pourrait-elle remettre en cause le caractère vertueux du maillage à la française ?

B.M. En effet, le risque le plus important lié à cette pratique réside dans un affaiblissement du maillage territorial. La vente en ligne de médicaments pourrait déstabiliser davantage l’activité des officines au sein des territoires et pénaliser encore plus les patients. Or, la proximité répond à un fort besoin de la population locale : nous l’avons vu lors de l’épidémie du Covid-19. Qui mieux que les pharmaciens ont pu répondre aux besoins des tests et de la vaccination ?

Désormais, les pharmaciens doivent aussi faire face à une problématique de taille : la pénurie de médicaments.

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B.M. C’est un problème aux causes multiples, à la fois conjoncturelles – notamment lié à du prix des matières premières et des coûts de conditionnement – et structurelles : la fabrication d’un très grand nombre de substances a été délocalisée en Asie. Or, la demande en médicaments de ces pays a elle aussi fortement crû. Les relocalisations souhaitées par les pouvoirs publics vont prendre du temps. Si les médicaments comme l’amoxicilline ne sont plus sous tension du fait de la fin des épidémies hivernales, l’accès à 4 000 à 5 000 substances reste difficile. Toutes les familles de médicaments sont impactées. Sans faire de sensationnalisme, certains patients ont, par exemple, beaucoup de difficultés à s’approvisionner en insuline même en sollicitant une dizaine d’officines. À ce stade produire davantage est impossible. Nous travaillons donc avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour essayer de distribuer et réguler au mieux les stocks dont nous disposons. Mon homologue de la section représentant les pharmaciens industriels reste vigilant. À ce stade, la situation ne s’arrange pas. Elle est même plutôt en train de s’aggraver : la résolution du problème ne doit pas s’envisager en mois mais en années.

Vous semblez aussi inquiet de la lenteur de la réforme des études de santé ?

B.M. En effet, le sujet de la jeunesse est forcément en lien avec la démographie et les pénuries de personnel. Aujourd’hui, la pharmacie est noyée dans un magma de formations insuffisamment clair pour les lycéens et les étudiants en première année d’étude de santé. La réforme du troisième cycle tant attendue pourrait être aussi un facteur d’attractivité pour des jeunes qui se dirigeraient vers des études de pharmacies. L’avenir de notre maillage territorial dépend aussi des futurs professionnels formés capables de remplacer les départs à la retraite afin de maintenir un nombre de professionnels suffisant.

Les problèmes autour de la pharmacie semblent s’accumuler. Quel est, selon vous, le point de rupture ?

B.M. Toutes les problématiques fortes convergent au même moment. Si leurs origines sont différentes, certaines d’entre elles sont imbriquées. Il nous paraît nécessaire de prendre les problèmes les uns après les autres pour essayer d’y remédier. Pour autant, il ne faut pas se concentrer uniquement sur les points négatifs. La pandémie du Covid-19 a vraiment positionné le pharmacien d’officine comme un professionnel de santé incontournable. La vaccination et le dépistage sont des succès. Le déploiement des tests rapides d’orientation diagnostic (Trod) a renforcé l’identification du pharmacien comme un relais. Toutes ces données peuvent être des atouts d’attractivité pour des étudiants se dirigeant vers des études de santé. Des jeunes intéressés au départ par médecine peuvent se rendre compte de l’offre très complète inhérente au métier de pharmacien.

Pourquoi souhaitez-vous être aux côtés des pharmaciens lors de la mobilisation du 30 mai 2024 ?

B.M. Parce qu’il doit y avoir une prise de conscience de la situation actuelle de la pharmacie. L’officine a des forces, nous devons les conserver. Pour ces raisons en lien avec nos compétences, il nous paraît nécessaire de nous associer à cette mobilisation.