Exercice quotidien au comptoir : ces pharmaciens qui en ont plein le dos

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Exercice quotidien au comptoir : ces pharmaciens qui en ont plein le dos

Publié le 3 novembre 2023
Par Magali Clausener et Laurent Lefort
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N’en jetez plus ! Les pharmaciens sont confrontés à des pénuries de médicaments et de personnel. Dans le même temps, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 acte des économies drastiques, contexte budgétaire oblige. Tout cela laisse augurer des négociations difficiles avec l’Assurance maladie sur l’avenant économique de la convention pharmaceutique. A un point tel que les syndicats appellent les pharmaciens à se mobiliser pour faire entendre leur voix. Récit.

Un pharmacien qui propose que « tous les acteurs de la santé (médecins, pharmaciens, préparateurs, infirmiers) s’unissent pour décider d’une voire de deux journées de grève pour dire “stop” aux pénuries des médicaments ». D’autres qui seraient partants pour une grève des gardes avec une fermeture des pharmacies sur tout le territoire le samedi à partir de midi… La grogne monte car, depuis la fin de la pandémie, les officinaux tirent la langue. L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) et la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) espéraient remettre d’aplomb l’équilibre économique de l’officine avec les négociations conventionnelles prévues cet automne. Mais le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 douche leurs espoirs.

Des pénuries de médicaments qui perdurent

« Les pénuries de médicaments et le manque de bras sont les premiers éléments qui inquiètent les pharmaciens, ainsi que la charge de travail que la gestion des tensions d’approvisionnement implique », explique Philippe Besset, président de la FSPF. Selon Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, cette gestion représente 12 heures de travail par semaine, soit une charge salariale de 25 000 € par an que les pharmaciens doivent supporter en plus afin de trouver des solutions – ou pas ! – pour les patients. « Le gouvernement et l’Assurance maladie n’entendent pas ces difficultés, pour eux tout va bien », s’agace le président de l’USPO, qui voit là une façon de banaliser ces pénuries. Et la situation n’est pas près de s’arranger, même si l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a activé, le 3 octobre, le « plan hivernal » pour anticiper et limiter les tensions sur certains médicaments, en particulier les antibiotiques, les corticoïdes et le paracétamol. Et pour arranger les choses, le PLFSS prévoit une obligation de dispensation à l’unité (DAU) des médicaments concernés par une rupture d’approvisionnement (ce qui pourrait concerner d’autres molécules que les antibiotiques). Or, la DAU est loin d’enthousiasmer la profession : non seulement elle ne permet pas de garantir la sécurité de la délivrance et la traçabilité des médicaments, mais elle prend beaucoup de temps pour une rémunération grotesque (1 € à concurrence de 500 € par an).

Chacun cherche son personnel

Deuxième pénurie que doivent gérer les pharmaciens : celle du personnel. En ville ou à la campagne, nombreux sont les officinaux qui n’arrivent pas à recruter des pharmaciens adjoints et des préparateurs, y compris en apprentissage. De surcroît, les places vacantes en 2e année de pharmacie en 2022 et 2023, environ 1 400 au total, commencent à donner des sueurs froides à la profession, ainsi qu’aux étudiants et doyens des facultés de pharmacie. Et le fait que la réforme du 3e cycle des études de pharmacie ne soit toujours pas actée, alarme les pharmaciens. « Cela empêche les étudiants de choisir la filière officine et les pharmaciens à avoir des bras et des cerveaux pour les aider », n’hésite pas à déclarer Pierre-Olivier Variot. En clair, les perspectives pourraient être sombres dans l’avenir.

Une situation économique qui se dégrade…

« On ne peut plus définir la santé économique de l’officine au travers de son chiffre d’affaires (CA). Avec l’explosion de la délivrance des médicaments onéreux, c’est-à-dire de 1 930 € et plus, la marge diminue alors que le CA augmente de + 6 à + 8 % », expliquait, dès septembre, Philippe Besset. En effet, si le CA des médicaments remboursés dont le prix est supérieur à 1 930 € s’élève à 6 milliards d’euros, leur délivrance n’est pas suffisamment rémunératrice. Leur part en volume dans le total des médicaments remboursés est très faible, selon la FSPF et Iqvia : 0,06 % (contre 21,23 % en valeur). De fait, leur contribution à la marge administrée est d’environ 10 %. Dans le même temps, l’inflation fait exploser les charges des pharmacies alors que l’excédent brut d’exploitation (EBE) a chuté de – 10 % par rapport à l’année dernière. D’après une enquête de l’USPO lancée en septembre, 78 % des officines ont vu leur trésorerie se dégrader depuis le début de 2023. 35 % des pharmaciens déclarent avoir été à découvert depuis début 2023 et 75 % ont demandé un découpage ou un échelonnement à leur grossiste ou leur groupement.

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… tandis que de nouvelles économies se profilent

Comme si cela ne suffisait pas, des économies sur les médicaments et dispositifs médicaux (DM) sont de nouveau au menu du PLFSS pour 2024. Celles-ci doivent s’élever à 850 millions d’euros de baisses de prix des médicaments et à 150 M€ pour les DM. Le texte prévoit, en outre, une diminution des volumes de médicaments. En 2024, le gain ainsi réalisé devrait atteindre 300 M€, mais d’après l’USPO, en 2025, il pourrait encore s’établir à 200 M€, soit 500 M€ au total.

Autre crainte et pas des moindres des syndicats et des pharmaciens sur le terrain : la baisse des remises génériques. Dans son rapport remis le 29 août au gouvernement, la mission interministérielle sur le financement et la régulation des produits de santé (dite mission « Borne ») propose de réduire les remises commerciales de 40 à 20 %, ce qui représenterait 650 M€. La mesure ne figure pas au PLFSS. Ce qui ne signifie rien puisqu’il suffit d’un arrêté pour abaisser le plafond des remises génériques. Et le gouvernement a déjà annoncé qu’il allait plancher sur le rapport de la mission Borne dans les mois à venir.

« A force d’utiliser la pharmacie d’officine comme une variable d’ajustement des comptes publics, les fermetures risquent de s’accélérer, notamment en milieu rural », n’hésite pas à déclarer l’USPO.

Une mobilisation qui se dessine

Et d’ajouter : « Pour éviter la création de désert pharmaceutique et maintenir un système de soins de qualité pour les patients, nous appelons l’Assurance maladie à une réforme économique ambitieuse de l’officine ». Ce que réclame également la FSPF. Or, cette réforme économique est loin d’être gagnée. Les deux syndicats, qui ont travaillé de concert, souhaitent en effet, dans le cadre des négociations de l’avenant économique avec l’Assurance maladie, obtenir de nouveaux honoraires, par exemple pour l’intervention pharmaceutique et la prescription d’antibiotiques pour les angines et cystites, une revalorisation des honoraires existants et une enveloppe pour faire face à l’inflation. Au total, l’USPO et la FSPF demandent 1 milliard d’euros. Ce qui fait tousser le directeur général de l’Assurance maladie. D’autant qu’aucune enveloppe financière n’a été a priori déterminée par le gouvernement. « Il n’y a pas de budget prévu pour la négociation avec les pharmaciens dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) du PLFSS 2024. Je ne vois pas apparaître d’argent alors que c’est le cas pour la négociation conventionnelle avec les médecins [qui doit rouvrir prochainement, NdlR] », souligne Philippe Besset. Pour le président de la FSPF, dans ce cadre très contraint, les négociations risquent de s’avérer très difficiles.

Voilà pourquoi, l’USPO, la FSPF), l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), Federgy et l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), réunies le 25 octobre, ont décidé de s’unir pour une mobilisation de la profession en donnant au gouvernement une date butoir au 11 novembre .