Les hivers se suivent et se ressemblent… En 2023, on comptait 4 925 médicaments en tension ou en rupture, contre 3 761 l’année précédente. Ces pénuries affectent le moral des patients et des pharmaciens, qui passent des heures à chercher des solutions sans garantie de succès. Le nouveau plan hivernal du gouvernement changera-t-il la donne ?
Chaque jour, de nouvelles molécules en tension ou en rupture d’approvisionnement viennent grossir les rangs de celles recensées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). « Le nombre de médicaments en rupture signalé par le gendarme du médicament ne baisse pas. C’est alarmant », s’inquiète Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Alors qu’en 2008 seuls « 44 médicaments étaient concernés », fait remarquer Joël Ankri, professeur de santé publique à l’université Paris-Saclay, les signalements se sont multipliés de manière exponentielle ces dix dernières années. Depuis deux ans, la tendance s’aggrave même : « En 2023, le nombre de ruptures a augmenté de 30 % par rapport à 2022, ce qui représente six fois plus qu’en 2018 », s’alarme Alexandre de la Volpilière, directeur général par intérim de l’ANSM. 4 925 médicaments étaient en effet en tension ou en rupture, contre 3 761 un an plus tôt.
Alerte, patients en détresse
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Dans les officines, l’absence de certains produits désorganise l’offre et la continuité des soins, et fait perdre du temps aux pharmaciens. « Nous en pâtissons chaque jour. Nous passons chaque année des dizaines d’heures à chercher des médicaments de substitution, à appeler nos fournisseurs ou le médecin, à orienter le patient vers d’autres pharmacies. Cette situation nous empêche de répondre au mieux aux besoins des patients », regrette Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Feuille d’automne
Une feuille de route pour lutter contre les pénuries de médicaments a été dévoilée par le gouvernement en février 2024. Très attendu par l’ensemble des acteurs du soin, ce plan d’action, qui se déploie jusqu’en 2027, prône une sécurisation des chaînes d’approvisionnement pour un catalogue de 450 médicaments dits « essentiels ». Le texte, qui juge défaillants les systèmes d’information sur les flux et les stocks de spécialités, souhaite aussi « renforcer et diversifier les signaux de détection des situations de tension et de rupture via des canaux d’information complémentaires qui permettent de remonter les signaux faibles concernant les difficultés d’approvisionnement constatées. »
Les médecins sont mis à contribution, invités à moins prescrire les médicaments manquants et à se tourner vers des listes de molécules équivalentes élaborées par les agences de santé, auxquelles les pharmaciens auraient également accès. Ces derniers sont priés, eux, de se fournir auprès des grossistes-répartiteurs plutôt que directement auprès des laboratoires, pour éviter une répartition inéquitable entre les officines. Enfin, le plan antipénurie entend relocaliser la production, mais aussi « éviter les départs. Désormais, si un industriel veut arrêter un médicament important, il devra tout faire pour trouver un repreneur », a assuré Roland Lescure, ancien ministre chargé de l’Industrie, lors de la présentation de ce plan.
Sur les 450 médicaments surveillés de près par l’ANSM, 147 sont jugés prioritaires à la relocalisation par la direction générale des entreprises. Un chantier qui a commencé en juin 2023, lorsque le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé le lancement de huit projets de relocalisation ainsi que des investissements de 160 millions d’euros pour, entre autres, augmenter la production d’amoxicilline.
Ces mesures n’ont, pour l’heure, pas d’effet significatif sur les pénuries. En mars, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi durcissant les règles de stockage de certaines spécialités pour les laboratoires pharmaceutiques. Ce texte, aux mains désormais des sénateurs, suggère d’imposer l’équivalent de quatre mois de stocks pour l’ensemble des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). Cette obligation ne concerne actuellement que les MITM ayant fait l’objet de pénuries durant les deux dernières années.
La mission délicate de l’ANSM
C’est en vertu de cette obligation légale que l’ANSM a prononcé en septembre une sanction inédite de 8 millions d’euros à l’encontre de 11 laboratoires ayant contrevenu au respect des stocks. « Ce montant est proportionné à la gravité des manquements constatés », affirme le gendarme du médicament, qui juge indispensable « l’action collective de tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique » pour endiguer « les pénuries mondiales de médicaments ». Pour l’économiste Frédéric Bizard, cette sanction est contreproductive : « Contrairement aux laboratoires spécialisés dans les médicaments innovants, ceux qui produisent les molécules anciennes à large consommation ont un modèle économique à faible marge. Ce sont ces fabricants qui sont pénalisés par l’ANSM. Il faut au contraire les laisser faire un minimum de profit afin qu’ils ne quittent pas le marché. » Il y a quelques jours, les industriels des génériques ont d’ailleurs menacé de cesser la fabrication de centaines de médicaments peu rentables après avoir pris connaissance du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2025, qui maintient la clause de sauvegarde à un niveau trop élevé à leur goût.
L’hiver, saison charnière pour les stocks
Afin d’assurer l’approvisionnement, le plan hivernal a été activé pour la deuxième année consécutive le 9 octobre dernier. Il vise à surveiller étroitement les stocks de 13 molécules cruciales : antibiotiques, antipyrétiques, antiasthmatiques, etc. Face à l’épidémie de coqueluche en cours, deux antibiotiques ont été ajoutés à la liste : l’azithromycine buvable (40 mg/ml) et la clarithromycine buvable (25 mg/ml et 50 mg/ml). Particulièrement en tension, cette dernière molécule devra elle aussi être approvisionnée uniquement via les grossistes-répartiteurs, comme c’est le cas depuis juillet 2024 pour les formes pédiatriques d’amoxicilline et d’amoxicilline/acide clavulanique.
« Le plan hivernal est mieux conçu. Avant, notre fonctionnement reposait sur la situation des stocks en temps réel, explique Pierre-Olivier Variot. Avec ce dispositif, on tient aussi compte des tendances des années précédentes, ce qui aide à mieux anticiper les pics de pénuries. »
Moins rassurée, Lucie Bourdy-Dubois, présidente de la commission métier pharmacien à la FSPF, souhaite que l’ANSM s’engage à assurer un approvisionnement continu de ces médicaments essentiels, en particulier l’amoxicilline buvable. « Nous avons besoin de visibilité, car l’année dernière, beaucoup de pharmacies ont été échaudées et se sont retrouvées, en pleine garde, sans stock et incapables de faire face aux besoins des patients. »
Réactions en chaîne
À retenir
C’est en Asie, où les coûts de production et les salaires sont très compétitifs, que se concentrent les usines de fabrication de médicaments. Résultat de ces délocalisations : la filière pharmaceutique européenne est beaucoup moins résiliente. En France, la crise du Covid-19 a particulièrement mis en lumière cette forte dépendance aux importations étrangères. Malgré les efforts du gouvernement pour relocaliser la production de médicaments, faire revenir des industriels soucieux de conserver de faibles coûts de production reste difficile. Autre problème épineux : alors que les besoins en médicaments augmentent partout dans le monde, les capacités de production actuelles ne suffisent pas à les combler. De nouvelles lignes de production sont nécessaires, que de nombreux laboratoires rechignent à mettre en place, car cela requiert du temps et des investissements coûteux, surtout pour des spécialités arrivées à maturité et dont la rentabilité est plus faible que les molécules innovantes. « Les ruptures sont de plus en plus complexes et nécessitent pour l’ANSM de mettre en place des mesures au cas par cas car chaque rupture est différente. Cela nous prend un temps considérable, assure Pierre-Olivier Farenq, directeur du centre d’appui aux situations d’urgence de l’ANSM. Une simple ligne de production en panne peut, si le fabricant irrigue tout le continent européen, affecter tous les pays. Les ruptures résultent aussi parfois d’un arrêt de commercialisation. Des blocages se manifestent également dans la chaîne d’approvisionnement, parce qu’en situation de flux tendu, dès qu’il y a un problème, toute la chaîne en pâtit. Sans parler du fait que beaucoup d’acteurs sont impliqués à un niveau mondial, et que plus on multiplie le nombre d’acteurs, plus le sujet est complexe à traiter. »
– La pénurie de médicaments qui sévit depuis une dizaine d’années s’est aggravée ces deux dernières années.
– Elle est liée à un contexte de production mondiale où toutes les chaînes de production se trouvent concentrées en Chine et en Inde. En cas de défaillance, l’ensemble de la fabrication d’un médicament est arrêté pour plusieurs fabricants.
– Parallèlement, le prix des génériques baisse. De nombreux industriels menacent désormais de se désengager de leur production.
– Des relocalisations sont à l’œuvre. L’ANSM a aussi mis en place un plan hivernal visant à placer sous surveillance les traitements d’intérêt thérapeutique majeur. Ces mesures suffiront-elles à assurer l’approvisionnement pour cet hiver ? La question reste entière…