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© Getty Images/iStockphoto
Economie officinale : les pharmacies confrontées à une situation plus tendue
Le retour à la normale de l’économie officinale devient réalité en 2023 avec la quasi-disparition des activités liées au Covid-19. La situation serait plutôt bonne en matière de chiffre d’affaires si la part, toujours en hausse, des médicaments chers et l’inflation ne changeaient pas la donne. L’année 2024 risque donc d’être difficile. Même si le futur avenant conventionnel est sensé donner une bouffée d’oxygène au réseau officinal.
En 2022, le chiffre d’affaires (CA) hors taxes (HT) du réseau officinal, activités « Covid-19 » comprises, s’est élevé à 43,222 milliards d’euros et, sur les huit premiers mois de 2023 en cumul mobile annuel, à 43,444 milliards d’euros (source : Iqvia à août 2023). Des chiffres qui laissent présager un bon cru en 2023, même si la situation doit être nuancée. « Globalement, la crise sanitaire a bénéficié à 9 pharmacies sur 10 mais à des degrés divers. Si, dans notre panel 2023, nous observons une activité “Covid-19” qui a fait progresser le niveau de + 6 % environ en 2022, des disparités fortes existent et il va sans dire que ceux qui ont été très impliqués en la matière en 2022 souffrent beaucoup plus en 2023 », remarque Philippe Becker, consultant externe de Fiducial.
Néanmoins, si la chute des activités liées au Covid-19 est factuelle en 2023, la part du CA due aux médicaments remboursables a augmenté, compensant en général la baisse des actes réalisés pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 (tests antigéniques et vaccination).
Chute de la marge
Oui, le CA est plutôt bon, mais ce n’est pas le cas de la marge. Selon Iqvia, en cumul mobile annuel à août 2023, elle représente 7 milliards d’euros, contre plus de 8 milliards en 2021 et 2022. La marge moyenne administrée par officine dégringole ainsi à un taux de 16 % sur les huit premiers mois de 2023 versus 20 % en 2021 et 2022 et 19 % en 2019 et 2020. Alors que le CA moyen par pharmacie progresse de façon continue entre 2019 et août 2023. « Le CA n’est plus prédictif du taux de marge de la pharmacie quel que soit le taux de TVA », commente d’ailleurs David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma. La raison de cette baisse du taux de marge global est simple : la part de plus en plus importante des médicaments chers pour lesquels la marge est nulle au-delà de 1 930 € HT. « Le rythme de progression des médicaments chers est régulier depuis quatre à cinq ans, de l’ordre de 1 milliard d’euros tous les ans pour le réseau officinal. En 2022, ces spécialités représentaient 4,9 milliards d’euros et, en 2023, 6 milliards, constate Joël Lecoeur, expert-comptable au cabinet LLA et président du groupement Conseil Gestion Pharmacie (CGP). Cette hausse est liée à deux phénomènes : le vieillissement de la population et le nombre de molécules qui sont commercialisées. Ainsi, tous les ans, 30 molécules en moyenne arrivent sur le marché. » Cette évolution risque donc de se poursuivre, même si elle dépend du nombre de médicaments chers commercialisés en 2024. Avec, pour corollaire, une marge qui va stagner voire encore se dégrader. « Les pharmaciens vont devoir être beaucoup plus analytiques en ce qui concerne les catégories de médicaments et de dispositifs médicaux », remarque David Syr.
Un effet ciseaux avec l’inflation
A cette situation s’ajoute un contexte inflationniste qui met en péril la rentabilité des entreprises car il entraîne une explosion des charges estimée à + 4 %. « Les titulaires doivent gérer une nouvelle donne économique avec des coûts d’exploitation en forte augmentation du fait de la pression sur les salaires et aussi de la majoration des frais généraux », note Philippe Becker. « Attention à l’effet ciseaux entre la baisse des marges hors activité “Covid-19” et l’inflation qui entraîne une hausse des charges, prévient Joël Lecoeur. Ce phénomène va fragiliser les pharmacies qui n’ont pas réalisé les missions “Covid-19” en 2021 et 2022 et n’ont pas pu engranger de trésorerie. » Un effet ciseaux qui « sera certainement encore plus marqué en 2024 », abonde Philippe Becker. En outre, les deux experts-comptables observent une baisse des volumes liés à la désertification médicale. « La pharmacie est toujours tributaire des volumes de médicaments qu’elle vend et du nombre de prescripteurs », souligne Joël Lecoeur. « Le pharmacien est en situation de dépendance binaire avec le médecin, abonde Philippe Becker. La seule façon de contrecarrer cette tendance à la désertification médicale serait que les pharmaciens se chargent de certains actes des médecins comme la vaccination et le renouvellement des ordonnances. »
Les nouvelles missions comme la prescription d’antibiotiques en cas de résultats positifs aux tests rapides d’orientation diagnostiques (Trod) pour les angines ou les cystites pourront-elles représenter une compensation, voire une manne, pour le réseau officinal ? Pour l’heure, c’est loin d’être le cas. « Il faut dire les choses comme elles sont, les nouvelles missions n’ont pas encore trouvé leur rythme de croisière », déclare Philippe Becker. De fait, elles ne représenteraient que 1 % du CA des officines. « En tout état de cause, les pharmacies doivent s’organiser autrement pour les réaliser », relève David Syr.
La baignoire va se vider
On l’aura compris, compte tenu de tous ces éléments, 2024 sera une année compliquée. D’autant que les économies sur le médicament sont toujours d’actualité avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Le texte prévoit en effet 1 milliard d’euros de baisses de prix sur les médicaments (850 millions d’euros) et les dispositifs médicaux (150 millions d’euros) et 300 millions d’euros de réductions de volumes des médicaments. Sans oublier un autre danger : la diminution des remises sur les génériques sur laquelle planche sûrement le gouvernement. « Il faut être très vigilant cette année et surtout les suivantes concernant la remise sur les génériques. On l’a un peu oublié mais ces produits sont toujours la clé de voûte de l’économie officinale. Certes, l’apogée a été atteint il y a trois ou quatre ans. Cependant, toute action visant à réduire la juste rétribution des pharmaciens pour promouvoir le médicament générique serait lourde de conséquences », alerte Philippe Becker.
D’où l’enjeu de la négociation avec l’Assurance maladie de l’avenant économique. Les syndicats pharmaceutiques réclament 1 milliard d’euros pour revaloriser les honoraires, notamment de délivrance, mais aussi en créer de nouveaux. Pourront-ils obtenir cette enveloppe financière afin de donner de l’oxygène au réseau ? Et même si c’est le cas, l’application de l’avenant n’interviendra pas avant le deuxième semestre de 2024. « Avec l’inflation, sans revalorisation des honoraires et de la marge dégressive lissée, la baignoire va se vider avant qu’elle ne se remplisse, c’est mécanique et cela peut être dramatique. La concentration du réseau va s’accélérer et nous aurons 10 000 officines de moins en 10 ans », estime Olivier Delétoille, expert-comptable au cabinet AdequA. Ce qui n’est guère optimiste. Mais, au fond, personne ne sait finalement ce qui va se passer l’année prochaine. Une certitude cependant : 2024 sera une année charnière pour les pharmaciens.
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