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Dominique Martin Directeur général de l’ANSM
Transparence. C’est le leitmotiv de Dominique Martin depuis son accession à la tête de l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) en septembre dernier. Une transparence qui s’applique aux liens d’intérêts des experts de l’agence. Et qu’il applique à lui-même lorsqu’il évoque les dossiers critiques : « nettoyage » des AMM, RTU pour Avastin, mainmise de l’Europe sur les décisions de l’ANSM…
LE MONITEUR DES PHARMACIES : Pourquoi avez-vous accepté de prendre la tête de l’ANSM ?
DOMINIQUE MARTIN : Je n’ai pas accepté ce poste, j’ai postulé pour l’occuper lorsque mon prédécesseur, Dominique Maraninchi, a annoncé son départ. Depuis 1997, j’évolue dans l’environnement sanitaire et social comme haut fonctionnaire au ministère de la Santé. J’ai été membre du cabinet ministériel, j’ai travaillé sur la loi qui a créé l’Afssaps*, j’ai participé à la création de l’ONIAM et dirigé la branche des accidents du travail à la Sécurité sociale. Aujourd’hui, je dirige l’ANSM. C’est un établissement emblématique du ministère de la Santé, passionnant par les missions qu’il porte et les enjeux qu’il représente. Il y a une sensibilité et une attente fortes de nos concitoyens sur le thème de la sécurité sanitaire.
Mediator, prothèses PIP, pilules : l’ANSM a traversé des périodes de scandale sanitaire. Sont-elles derrière nous ?
Ne parlons pas de scandale. Il y a eu des crises, comme celle du Mediator, et toutes ne sont pas de même nature. On ne peut pas mettre sur le même plan le Mediator, les prothèses PIP et les pilules de 3e et 4e générations. Ce sont des situations très différentes. La crise du Mediator a été un drame terrible. Elle a fait l’objet d’un débat public très important, débouchant sur les Assises du médicament puis sur la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire de 2011. Dominique Maraninchi a pris ses fonctions en pleine tempête. Avec son équipe de direction et en lien avec le ministère de la Santé, il a participé à la réorganisation de l’établissement. La réforme de l’agence est profonde dans l’ensemble de ses secteurs, et en particulier la déontologie. Aujourd’hui, l’établissement est entièrement organisé pour prévenir des situations où un produit dangereux serait en circulation, comme ce fut le cas pour le Médiator.
Qu’est-ce qui a changé depuis l’application de la loi de 2011 ?
L’agence est organisée de manière totalement différente de ce qui existait auparavant. L’expertise est désormais internalisée au maximum. Mais nous pouvons avoir recours à une expertise externe pour ce qui concerne certains secteurs très pointus, comme la cancérologie. Cela s’effectue dans des conditions extrêmement contrôlées et sur des questions très précises. Les experts externes qui interviennent dans des groupes de travail respectent un cadre de déontologie clair et totalement transparent. Si un expert a des liens d’intérêt, il doit les déclarer. S’il participe à une séance qui aboutit à un vote, il ne peut pas participer à ce vote. Tout cela fait l’objet d’une traçabilité publique, qui ne doit pas décourager les vocations. Nous cherchons à rendre l’agence plus attractive pour l’expertise externe dans le cadre déontologique qui a été fixé. Par ailleurs, il existe des relations avec les parties prenantes, les industriels du médicament et des dispositifs médicaux, les associations de patients et d’usagers. Elles sont formalisées et encadrées par le biais des comités d’interface.
Comment l’ANSM gère-t-elle en pratique le suivi des liens d’intérêt ?
Les intervenants sont soumis à des déclarations publiques d’intérêt ou DPI. Elles sont réactualisées régulièrement. Le dispositif est récent. En 2012, un service de déontologie est créé et rattaché au directeur général. En avril 2013, un comité de déontologie est créé, composé de membres extérieurs du conseil d’administration et membres de la direction. Ce service réalise un suivi constant des DPI, se prononce dans des situations particulières. Des audits peuvent être effectués pour vérifier que le processus est bien respecté, à la demande du service lui-même ou du directeur général. Il faut s’assurer que la mise à jour des informations est réalisée en temps et en heure, tenant compte de délais assez courts. Depuis mon arrivée, un rapport d’audit a été publié. Il n’a donné lieu à aucune alerte. L’objectif est que ce dispositif se pérennise. Le directeur général, auquel ce service est rattaché, engage la stratégie de l’établissement et même sa propre responsabilité.
Une de vos missions est la réévaluation du rapport bénéfices/risques d’un médicament. Comment est-elle pratiquée ?
Sur la base d’une analyse critique de la situation, en s’appuyant sur la littérature scientifique et les éléments de pharmacovigilance. C’est ainsi que le tétrazépam, par exemple, a vu son AMM retirée, car cette molécule ne présentait plus un rapport bénéfices/risques positif. Cette évaluation est une charge de travail importante, entièrement réalisée en interne. En pratique, chaque direction de l’agence produit une liste des médicaments dont elle estime que la réévaluation est la plus urgente. L’objectif est de traiter le plus rapidement possible les produits qui présentent le risque potentiel le plus important. L’algorithme qui les désigne traduit le bon sens des cliniciens. En cas de réévaluation de médicaments détenant une AMM européenne, nous ne pouvons pas prendre de décision seuls, mais en concertation avec l’EMA, l’Agence européenne du médicament. La décision sera prise à ce niveau, parfois au terme d’une procédure d’arbitrage.
A quel rythme s’effectuent ces réévaluations ?
En 2012 et 2013, 87 substances ou associations ont été réévaluées. Cela a abouti à 10 suspensions d’AMM, 17 restrictions d’indications, 43 modifications de RCP (résumé des caractéristiques du produit) sur la sécurité d’emploi. L’arbitrage européen s’est produit dans 33 cas sur 87. Ces procédures se poursuivent en 2014 et resteront une priorité pour 2015. Nous allons arriver à des médicaments moins critiques. Le nombre de suspension d’AMM sera peut-être moins élevé dans les années à venir.
Quelle est votre intervention dans le « nettoyage » des AMM voulu par la ministre de la Santé Marisol Touraine pour proposer certains produits en dehors des pharmacies ?
Dans le cadre des réflexions ministérielles sur le champ des produits vendus en officine, le ministère de la Santé a initié des consultations, dont celle de l’ANSM, sur certains produits relevant aujourd’hui du monopole officinal en raison de leur qualification de médicament. A ce titre, une expertise est en cours sur certains produits et substances actives afin d’examiner leur mécanisme d’action, qui est un élément essentiel dans la qualification des produits de santé.
Comment procédez-vous ?
Nous avons pour mission de qualifier les produits, de leur attribuer un statut : médicament, dispositif médical, cosmétique, complément alimentaire… Cette qualification s’effectue au regard du droit. Elle est directement déterminée par la directive européenne de 2004 qui a institué une définition plus extensive du médicament. Il y a des médicaments par présentation et par fonction. Un médicament par fonction entraîne des modifications physiologiques à condition qu’il ait une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. Lorsque nous avons le moindre doute sur un produit, nous le qualifions comme médicament et il doit alors donner lieu à un dossier d’AMM. Le doute profite à l’usager en termes de sécurité. Par exemple, un complément alimentaire qui contiendrait un actif à action thérapeutique peut être requalifié en médicament. Notre rôle est de nous assurer que ce qui doit être un médicament le soit. Nous ne ferons pas un médicament de ce qui n’en est pas.
Et pour les dispositifs médicaux ?
Le travail est le même. Il y a des dispositifs médicaux qui ressemblent à des médicaments et qui répondent à une réglementation moins cadrée. Un règlement européen sur les dispositifs médicaux va sans doute poser un cadre plus strict dès l’année prochaine. Un sirop peut ainsi être reclassé comme un médicament s’il est évident que c’est le principe actif pharmacologique qui porte l’effet principal à dose efficace. Ceci même si l’industriel revendique un autre mode d’action, par exemple mécanique, sans l’avoir démontré.
Allez-vous améliorer le dispositif de déclaration des données de pharmacovigilance ?
Ce système de déclaration en ligne pourrait en effet être considérablement amélioré. Nous en sommes conscients et nous nous engageons à rendre cet outil plus pratique. Les pharmaciens sont en contact avec la population, ils ont une charge de travail importante et si l’on veut que cela fonctionne, il faut leur faciliter la vie. Cela dit, depuis deux ans, il y a eu des améliorations. A ce jour, environ 20 % des signaux de pharmacovigilance proviennent des pharmaciens. On pourrait s’attendre à ce que cela soit davantage le cas avec les médecins, car ils sont en contact plus durable avec les patients. Ces derniers nous font de plus en plus remonter des informations. Près de 1 500 des 40 000 déclarations annuelles proviennent des patients. Ce n’est pas majoritaire, mais c’est qualitatif puisque le patient peut parler précisément de ce qui le concerne. De manière générale, nous sommes très proactifs sur la pharmacoépidémiologie et le suivi des médicaments en vie réelle. C’est un changement radical de l’approche de l’ANSM. Aujourd’hui, il y a autant d’attention portée en pré et en post-AMM. A l’agence, une douzaine de personnes se consacrent à la pharmacoépidémiologie. Des études sont par exemple menées sur les anticoagulants oraux, les contraceptifs oraux combinés ou encore les prothèses de hanche. Nous allons encore augmenter nos capacités avec des plateformes de pharmaco-épidémiologie.
Vu de l’ANSM, comment percevez-vous le métier de pharmacien d’officine ?
Nous avons une grande proximité avec les pharmaciens et nous en employons beaucoup en interne ! Nos relations avec les pharmaciens et leurs instances, notamment le Conseil national de l’ordre, sont bonnes et méritent d’être encore plus développées. Le pharmacien d’officine est un acteur de santé publique. Cela ne date pas d’aujourd’hui. C’était déjà ce qui se disait lorsque j’étais conseiller au ministère de la Santé au début des années 2000. Les pharmaciens sont une profession très bien organisée, qui a développé des outils informatiques performants comme le dossier pharmaceutique. Pour nous, c’est un relais important. Nous avons besoin d’eux, notamment pour faire passer des informations. Et ils ont besoin de nous pour en recevoir. L’accès aux professionnels de santé n’est pas toujours aussi aisé. Nous avons sûrement des efforts à faire du côté des médecins, avec lesquels l’accès est moins direct.
Allez-vous accorder une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) au médicament Avastin dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ?
La loi de financement de la Sécurité sociale rectificative pour 2014 rend possible la délivrance d’une RTU lorsqu’un médicament est déjà disponible sur le marché dans l’indication visée. Mais à ce jour le décret d’application n’a pas paru. Il a été soumis par le Conseil d’Etat à la Commission européenne pour avis. Le texte est revenu avec le feu vert de l’Europe. La publication du décret pourrait intervenir avant la fin de l’année. Par ailleurs, l’ANSM vient de lancer le processus d’instruction de la RTU d’Avastin dans la DMLA. L’agence a sollicité le laboratoire Roche pour que lui soient communiquées les informations dont ce laboratoire dispose sur l’utilisation d’Avastin en dehors de son AMM. Cette première étape dans l’instruction de la RTU vise à collecter l’ensemble des données scientifiques disponibles sur cette spécialité dans le cadre de son utilisation hors AMM, sur le plan notamment de la sécurité, de l’efficacité et des recherches en cours. Il s’agit également d’estimer le nombre de patients potentiellement concernés en France par cette utilisation et de proposer un projet de protocole de suivi. La réponse du laboratoire interviendra dans les trois mois au plus tard. Les résultats de l’instruction de la RTU seront présentés pour avis lors d’une commission d’évaluation initiale du rapport bénéfices/risques des produits de santé au premier trimestre 2015.
Et pour la trithérapie de l’hépatite C ?
La réponse globale est en train d’être traitée, elle est contenue dans le PLFSS 2015. La question économique n’est pas de notre responsabilité, mais l’accessibilité au traitement tient aussi aux questions économiques. L’accès à l’innovation à travers une ATU (autorisation temporaire d’utilisation NdlR) ou une RTU est un axe stratégique de l’établissement. Il faut développer les ATU de cohorte pour être moins confrontés à des ATU nominatives. Car dans le cas que vous citez, il y a eu une première ATU. C’est plus compliqué pour celles qui viennent ensuite car aujourd’hui on ne peut pas dire que les patients ne sont pas couverts par un traitement contre l’hépatite C. Actuellement, nous réfléchissons au sein de l’agence sur la manière dont nous allons traiter une série d’ATU sur ces produits. Des médicaments nouveaux disposant de la même indication arrivent à peu près en même temps.
J’ajoute, concernant le baclofène, que si nous voulons déboucher sur une AMM, il est indispensable qu’un suivi soit réalisé, même si les médecins se plaignent de la lourdeur de la procédure de la RTU.
Allez-vous décider de l’introduction du paracétamol au Répertoire des génériques ?
Ce sujet n’a pas évolué depuis mon arrivée. Il donne lieu à une réflexion au niveau de l’Etat. Le sujet a été relancé par l’Autorité de la concurrence. Le fait qu’une molécule devienne ou pas un générique, ce n’est pas le souci de l’agence. Outre la sécurité, ce sur quoi nous nous interrogeons, c’est le fonctionnement du Répertoire. Sa présentation, telle qu’elle est aujourd’hui, est obsolète et inutilisable en pratique. Elle rend difficile les mises à jour, lesquelles s’effectuent tous les 3 à 4 mois. Mais le principe du Répertoire doit être conservé. Il faut l’intégrer à la base de données de médicaments, dont la mise à jour est permanente.
L’EMA et l’ANSM adoptent parfois des décisions contradictoires. Comment s’articulent entre elles les deux agences ?
Il y a des décisions européennes qui s’imposent à tous les pays. L’EMA émet un avis. Puis la commission prend la décision. Ce n’est pas une technostructure à laquelle nous serions étrangers. Nous ne sommes pas absents des instances de l’EMA. Je suis membre de son conseil d’administration. Un de nos objectifs est de renforcer cette présence sur les décisions d’AMM. Si on veut remettre en cause une AMM européenne, il faut solliciter un arbitrage. Et la France en demande beaucoup. Nous y participons, notamment par le biais du CHMP (Comité européen des médicaments à usage humain) ou du PRAC (Comité d’évaluation des risques en pharmacovigilance). Nous faisons valoir notre point de vue. C’est à nous d’être convaincants. C’est le même type de débat que nous avons au sein de l’agence. Au final, une décision est prise et le droit européen s’applique à la totalité du territoire des Etats membres.
L’an dernier, la décision de l’ANSM de suspendre la disponibilité de Diane 35 et ses génériques a été levée quelques mois plus tard par l’EMA. Cela fait un peu désordre, non ?
L’Europe ne prend pas de décision aberrante. Elle engage sa responsabilité. On peut avoir des conditions de prescription aménagées au sein d’un pays. C’est ce qui se passe dans un autre cas pour lequel l’ANSM a demandé un arbitrage, celui des pilules contraceptives. La décision qui a consisté à ne pas interdire certains contraceptifs mais à considérer qu’ils devaient être prescrits en seconde intention est une décision à laquelle on peut adhérer et qui a été prise au niveau européen. En France, l’agence a informé les médecins des risques des pilules de 3e et 4e générations. La communication de l’agence a eu un impact en amont des décisions réglementaires. En l’espace de quelques mois, les médecins ont complètement modifié leur prescription. Le ratio des ventes de contraceptifs oraux combinés de 1re et 2e générations est de 79 %, contre 21 % pour ceux de 3e et 4e générations, alors qu’ils étaient à un niveau équivalent en janvier 2013. On peut agir sans interdire, simplement par le biais de la diffusion d’informations.
Comment analysez-vous l’ambivalence des Français vis-à-vis de la vaccination ?
En France, les vaccins sont des produits de santé particulièrement surveillés. Et plus encore que d’autres produits par la mécanique de la libération de lots, surveillée par nos laboratoires ou des laboratoires agréés. Les Français sont souvent méfiants sur les effets que peuvent avoir les produits de santé. Ils ont une relation ambivalente avec les médicaments et avec les vaccins en particulier. Il y a une défiance et en même temps une obligation vaccinale que l’on ne retrouve pas dans tous les pays. In fine, le risque est que les gens ne se fassent pas vacciner. Sur le risque qui serait lié aux sels d’aluminium, le sujet n’est pas clos. Sur cette question, nous finançons une étude épidémiologique réalisée par l’INSERM qui doit donner ses résultats en 2016.
* Agence française de sécurité sanitaire des aliments et produits de santé.
1999 à 2002 : conseiller technique au ministère de la Santé
2002 à 2011 : directeur de l’ONIAM (office national d’indemnisation des accidents médicaux)
2011 à 2014 : directeur des risques professionnels à la CNAMTS
depuis septembre 2014 : directeur général de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé)
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