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Dépression, la nouvelle épidémie

Publié le 21 novembre 2020
Par Magali Clausener
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C’est l’un des constats du premier confinement : de nombreux Français ont déclaré des troubles psychiatriques. Avec les nouvelles restrictions et la crise économique, la dépression gagne la population. La France va-t-elle devoir faire face à une « vague » de troubles psychiatriques ? En plus du reste.

Depuis la rentrée, nous constatons que les gens vont de plus en plus mal, que les troubles anxieux ou les symptômes dépressifs ont augmenté. L’incertitude est source d’inquiétude », observe Thomas Gaon, psychologue clinicien à l’hôpital Marmottan à Paris. Un constat partagé par tous les acteurs du secteur de la santé mentale.

La situation a commencé à se dégrader avec le premier confinement. « Il est encore trop tôt pour disposer de chiffres, mais les remontées des adhérents pendant le premier confinement corroborent les résultats des premières études sur le confinement comme l’enquête Coclico ou de Santé publique France, explique Laurie Fradin, conseillère technique santé/ établissements sociaux et médicosociaux (ESMS) de l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss). Nous avons, en effet, constaté une aggravation des troubles anxieux et du stress en population générale et chez les personnes déjà fragiles. Il a été constaté la réapparition de troubles psychiques chez des personnes stabilisées, avec des situations dites de décompensation. Nous observons aussi une augmentation des troubles anxieux, des troubles du sommeil et des difficultés liées à des événements traumatiques vécus ravivés par l’isolement, les sentiments d’enfermement et d’abandon, notamment chez certaines personnes migrantes. » « De façon générale, le confinement a généré des troubles anxieux, des crises d’angoisse, des insomnies, des dépressions », abonde Isabelle Secret-Bobolakis, secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie, qui note aussi que, chez les patients stabilisés, les décompensations ont augmenté depuis septembre-octobre.

Et toutes les catégories de population sont concernées. Sarah Bydlowski est directrice du département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, à l’Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris (ASM 13), un centre de consultations et de traitements ambulatoires qui suit environ 2 000 enfants par an. « Pour beaucoup d’enfants et d’adolescents, le confinement a été vécu douloureusement, source de grandes souffrances. Nous savons que certains ont subi des maltraitances, certains jeunes de l’arrondissement ont mis fin à leurs jours, remarque Sarah Bydlowski. Dans ce contexte particulier, des enfants, même très jeunes, ont développé une peur de la mort, la crainte de contaminer leur famille. Ils interprètent à leur façon le fait de ne pas aller voir leurs grands-parents. Et on ne peut pas raisonner avec un enfant de façon scientifique. » « L’isolement a eu aussi des eff ets délétères sur les personnes âgées. Cela a été une source de très grande souff rance, voire d’une régression cognitive », souligne Isabelle Secret-Bobolakis.

Le confinement a également eu des impacts sur les personnes ayant des comportements à risque. « Cett e période a permis à certaines personnes de se séparer d’éléments toxiques de leur environnement. En revanche, elle a augmenté l’addiction aux jeux d’argent, notamment les jeux en ligne, un peu moins les paris sportifs et les jeux de gratt age », explique Thomas Gaon. Quant aux autres addictions (drogues, alcool), le psychologue note que « la conduite addictive est la seule solution pour réguler l’anxiété des patients, se stimuler ou apaiser leurs éprouvés douloureux. Et, dans le même temps, l’anxiété est majorée par l’addiction puisque la disponibilité de la conduite est modifiée par le confinement ».

Les limites du suivi à distance

Certes, les professionnels du secteur ont mis en place des dispositifs pour leurs patients. « Durant le premier confinement, nous avons vu une évolution de l’accompagnement et des prises en charge avec le suivi à distance, les appels téléphoniques proactifs, les visites à domicile. Ces adaptations ont été réalisées tant sur les soins que sur l’accompagnement social et médicosocial », observe Laurie Fradin. Ce qui a permis notamment la poursuite des traitements médicamenteux avec souvent l’envoi des ordonnances aux pharmacies par fax ou e-mails. Mais ces solutions ne sont pas la panacée. « Le suivi des patients a été altéré pendant le confinement. Nous étions en sous-effectifs, le personnel était moins disponible. Les liens se sont distendus et ce fut parfois plus difficile pour les patients de tenir le coup », relève Thomas Gaon. Le département psychiatrique de l’ASM 13 a aussi mis en place des téléconsultations régulières, par téléphone ou par Skype, ainsi qu’une permanence des soins au centre. « Ce suivi a permis de ne pas perdre le contact, mais les téléconsultations ont montré leurs limites par rapport aux consultations en présence. Par exemple, nous avons revu un enfant âgé de 8 ans après le confinement, qui avait pris une quinzaine de kilos. Or, bien qu’il ait été suivi chaque semaine pendant le confinement, ceci n’avait pas été abordé, pas plus que les angoisses et les cauchemars qui l’envahissaient, lors des appels téléphoniques ni par ses parents, ni par lui. Nous sommes ainsi sans doute passés à côté de l’essentiel pour nombre de nos patients, malgré nos efforts et des liens soutenus avec les familles », relate Sarah Bydlowski. La situation a été encore bien plus difficile pour ceux qui n’étaient pas déjà dans le système de soins. C’est le cas, par exemple, des étudiants. Dans les universités, les demandes d’aide psychologique ont, selon Isabelle Secret-Bobolakis, beaucoup augmenté, en particulier chez les étudiants étrangers. Les étudiants en santé, dont l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), ont aussi, dès le 2 avril, alerté les pouvoirs publics « sur les risques que la situation peut engendrer sur la santé mentale des étudiants et des professionnels de santé ».

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Malheureusement, il y a peu de moyens et les délais de consultation sont très longs.

Dans ce contexte, le deuxième confinement, même plus souple, ne va pas améliorer la santé psychique des Français. « Les conséquences sont différentes, c’est un peu comme un malade fragile qui rechute, commente Catherine Tourette-Turgis, professeure à Sorbonne université et fondatrice de l’Université des patients. Il y a moins d’adhésion, la peur économique au ventre pour les petits commerçants, la perte d’illusions, l’incertitude, l’usure mentale, la perte de confiance. On observe une montée des appels vers les lignes d’écoute qui répondent à la détresse. »

Reconfinement et risques accrus

Pour Didier Meillerand, délégué général de l’association Psychodon, « il y a une sorte d’ »aménagement » dans ce nouveau confinement. Cependant, le risque de maladies psychiques est renforcé. La tension entre les fragilités individuelles et les exigences collectives – sanitaires, économiques – est plus forte. La rupture de cette tension est beaucoup plus à risque ». L’enquête CoviPrev de Santé Publique France révèle ainsi que la prévalence des états dépressifs a doublé entre fin septembre et début novembre (voir page 21). Certains psychiatres redoutent une « vague » de troubles psychiques. Ce qui est certain, c’est que la France est confrontée à une crise sanitaire, économique et sociale, et désormais psychique. Et pour répondre à celle-ci, des moyens devront être mobilisés. Didier Meillerand et d’autres acteurs (psychiatres, associations) prônent ainsi un remboursement des consultations de psychologues. Dans ce contexte, le rôle des pharmaciens est restreint, mis à part une vigilance et une écoute de la patientèle lorsqu’ils le peuvent, et une orientation vers le médecin traitant lorsqu’elle est nécessaire.

Pourtant, il va bien falloir s’emparer du problème. « L’urgence sanitaire, la pression de l’organisation du système de soins sur le gouvernement ont été prioritaires sur la santé mentale de la population générale à laquelle on accorde un capital de résilience qu’elle ne possède pas forcément. A force de dire : « Les gens finiront par s’y faire », on tire sur la corde ! », déclare Catherine Tourette-Turgis. Et c’est aussi valable pour les plus jeunes : « La grande adaptabilité des enfants est une idée reçue. Cette adaptabilité, voire plasticité, pourrait être une façon de nous déresponsabiliser. Car les enfants ne s’adaptent pas forcément mieux que les adultes. Ils ne disposent surtout pas des mêmes moyens pour exprimer leurs souffrances qui requièrent, de la part des adultes, qu’ils y portent attention pour les repérer », explique Sarah Bydlowski. D’autant que les conséquences vont peser sur l’avenir du pays. « Il faut dès maintenant prévenir et anticiper la survenue d’une crise des impacts humains qui sera plus longue à résorber que la crise sanitaire et la crise économique, préconise Catherine Tourette-Turgis. Dans l’histoire des catastrophes naturelles, par exemple, on évoque des périodes allant de 18 mois à trois ans pour les impacts humains à moyen terme. »

Ce que révèle l’enquête Coclico

Le projet Coclico (Coronavirus containment policies and impact on the population’s mental health) repose sur la sollicitation des personnes représentatives de la population pour répondre à l’Enquête santé européenne, qui est l’enquête de la statistique publique de référence sur la santé, la couverture santé et l’accès aux soins en France. Les premiers résultats seront diffusés fin 2020.

Lors de la première vague de l’enquête (du 3 au 14 avril 2020), la survenue d’une détresse psychologique est observée chez 33 % des répondants, parmi lesquels 12 % présentent une détresse d’intensité sévère. Il est noté en particulier une aggravation des problèmes de tension ou de stress, de sommeil ou de concentration, et du sentiment d’être malheureux ou déprimé.

À RETENIR

– Le premier confinement a dégradé la santé mentale des Français, tous âges et toutes classes confondus : apparition ou aggravation de troubles anxieux et de stress, décompensation de patients stabilisés, addictions, etc.

– La télémédecine et le télésoin, s’ils ont permis la poursuite des traitements médicamenteux pendant le confinement, n’ont pas pu toujours assurer un suivi psychologique identique à celui des consultations physiques.

– La France doit aujourd’hui faire face à une crise sanitaire, économique, sociale et psychique.