« Le pharmacien est un relais quotidien entre les générations »

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« Le pharmacien est un relais quotidien entre les générations »

Publié le 2 janvier 2025
Par Muriel Pulicani
Premier groupe de protection sociale des pharmaciens avec 80 % des officines françaises couvertes, le groupe Klésia les accompagne également dans leur métier de professionnel de santé de proximité, notamment auprès des personnes âgées. Quel regard porte son directeur général, Christian Schmidt de la Brélie, sur la profession et, plus généralement, sur le système de santé ? Réponses.

Le système de santé français reste axé sur les soins, au détriment de la prévention. Quelles priorités devraient être définies pour renforcer son efficacité, en particulier en matière de maladies chroniques et de risques environnementaux ?

Christian Schmidt de la Brélie : En tant que partenaire de longue date de la branche des pharmacies d’officine, nous connaissons bien le métier de pharmacien. Or le pharmacien de 2025 n’est plus le même qu’en 1970. Compte tenu de la désertification médicale et de la saturation des carnets de rendez-vous des médecins en activité, sa transformation en professionnel de santé de proximité est indispensable, eu égard notamment au vieillissement de la population. Le pharmacien a désormais vocation à occuper une place de plus en plus centrale dans le virage domiciliaire du système de soins, notamment en matière d’accès aux soins de proximité et de prévention.

Cette transformation nous a d’ailleurs conduit à promouvoir, dès 2019, des actions innovantes en ce sens. Nous avons ainsi lancé une expérimentation visant à prendre en charge à titre dérogatoire la vaccination antigrippale des salariés des officines, sans prescription médicale préalable. Ce fut un franc succès qui a ouvert la voie à une simplification du processus de vaccination au moment de la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, la vaccination fait partie intégrante des nouvelles missions du pharmacien. Nous avons aussi expérimenté l’organisation d’entretiens de dépistage du risque cardiovasculaire et réfléchi à des parcours de soins en officine.

Quel est le bilan sanitaire des pharmaciens eux-mêmes ? Quelles sont les pathologies les plus fréquentes au sein de la profession ?

Grâce aux remontées des partenaires sociaux des branches et à l’analyse de la sinistralité de leurs régimes, nous connaissons les problématiques de santé des populations que nous couvrons et sommes capables de leur proposer des programmes de prévention spécifiques. Cependant, nous n’avons pas accès à leurs données de santé. Concernant les pharmaciens, nous savons qu’ils sont naturellement exposés aux transmissions bactériennes ou virales bénignes du fait des contacts avec leur clientèle. La station debout prolongée peut également entraîner des troubles musculosquelettiques (TMS). Les pharmaciens expriment aussi des attentes en termes de dépistage, d’hygiène de vie ou encore de prévention des addictions et du risque cardiovasculaire.

Les pharmaciens ont élargi leur rôle pour répondre aux nouveaux défis sanitaires et sociétaux. Selon vous, quels autres services ou fonctions devraient-ils développer ?

En tant qu’assurance complémentaire, nous finançons déjà, aux côtés de l’Assurance maladie, certaines des nouvelles missions des pharmaciens. Il en est ainsi des vaccinations. Nous prenons aussi en charge 30 % du coût des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) de l’angine et de la cystite. Il en est de même pour les nouveaux entretiens d’accompagnement, sachant qu’ils concernent pour la plupart des catégories exemptées de ticket modérateur, comme les malades du cancer ou les femmes enceintes. De notre côté, nous sommes prêts à favoriser ces missions de conseil car nous pensons que les pharmaciens ont un vrai rôle à jouer, notamment en matière de lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse des personnes âgées.

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L’interprofessionnalité dans le secteur de la santé est-elle un objectif réalisable ou un vœu pieux ?

Dans les échanges au quotidien, il n’y a pas d’opposition entre les différentes professions de santé, et sur le terrain, des logiques de coopération existent déjà. Nous sommes prêts à favoriser ces indispensables passerelles comme le montrent par exemple nos initiatives en matière de dépistage, qui nécessitent une coopération entre le médecin traitant et le pharmacien. Au niveau national, les coopérations entre les pouvoirs publics, l’assurance maladie obligatoire, les professionnels de santé et les complémentaires sont plus longues à construire.

Le secteur fait face à plusieurs difficultés : accélération des fermetures d’officine, financiarisation… Ces phénomènes pourraient-ils avoir un impact sur les missions des pharmaciens ? Et sur l’accès de la population aux soins ?

La financiarisation du secteur peut conduire à fermer des pharmacies au nom d’une rentabilité insuffisante alors que leur multiplicité sur le territoire et leur proximité avec les patients constituent la force du modèle français. Alors que les provhees travaillent de plus en plus souvent loin de leurs parents âgés, le pharmacien constitue un relais au quotidien entre générations grâce à ses nouvelles missions de conseil, d’orientation, de dépistage. Sur le médicament en particulier, il est le premier lanceur d’alerte individuelle et peut ainsi devenir un interlocuteur de confiance pour les enfants de la personne âgée. C’est dans cette perspective que nous avons expérimenté un dispositif de suivi de l’ordonnancier des patients âgés. En revanche, ces nouvelles missions doivent être rémunérées au juste prix pour conforter le modèle économique des officines.

Le modèle économique des pharmacies repose aujourd’hui essentiellement sur la vente de produits de santé. Dans quelle mesure les complémentaires santé pourraient-elles être impliquées dans le financement des nouvelles missions ou des « parcours coordonnés renforcés » ?

Dans l’esprit des pouvoirs publics, les complémentaires ont précisément vocation à participer au remboursement des « parcours coordonnés renforcés ». Nous disposons de moyens et d’agilité pour aider à mettre en place ces nouvelles organisations. Et nous souhaitons être des interlocuteurs des pouvoirs publics pour initier et industrialiser ces parcours dans le cadre des politiques de santé publique. Face aux déremboursements de médicaments, les mutuelles privées disposent-elles des moyens nécessaires pour garantir une prise en charge adéquate et limiter le reste à charge pour les patients, notamment pour les traitements onéreux ou complexes ? Les déremboursements de l’Assurance maladie ont plus d’impact sur le coût des contrats proposés aux personnes âgées que sur ceux des jeunes actifs. Augmenter ce coût peut inciter une frange importante de la population percevant de petites retraites et ne bénéficiant d’aucune aide, à ne plus se couvrir du tout et à sortir du système de soins. Cela risque d’engendrer une aggravation de leurs pathologies chroniques et des hospitalisations supplémentaires, dont le coût sera supporté par le régime général. Il faut veiller à ne pas être pris dans une spirale « perdant-perdant » ! Sur ces sujets de transfert de dépenses, il manque un vrai dialogue tripartite entre le régime général, les assurances complémentaires et les professionnels de santé.

La Sécurité sociale affiche un déficit croissant (- 18,5 milliards d’euros estimés pour 2024). Quelles sont, selon vous, les forces et les limites du système de santé français ? Quelles réformes pourraient permettre de le réinventer et de résoudre la crise à laquelle il fait face ?

Non, on ne peut pas parler de crise. Car ces déficits résultent de choix de société déterminant la part de revenu national censée revenir à l’armée, à la justice, à l’aide sociale, à la branche maladie, à la branche vieillesse, etc. La question à se poser est donc plutôt de savoir si la part allouée à l’Assurance maladie et au système de santé est adéquate ou non. Notre système de santé reste l’un des meilleurs au monde, et lorsque l’on interroge des Américains, des Britanniques et des Français, ce sont ces derniers qui sont les moins mécontents. On est encore globalement bien soigné à l’hôpital. Le pire serait d’abandonner ce système qui allie une logique publique et une logique libérale, permettant de la réactivité et de l’efficience. Nos professionnels de santé ne sont ni des salariés de l’Assurance maladie (le NHS britannique n’a pas fait ses preuves en matière d’efficacité), ni financiarisés à outrance.

En revanche, il y a des réformes à mettre en place pour rendre le système plus efficient. Nous avons surtout besoin d’outils pour inciter à la coordination entre public et privé et prendre des décisions communes, au-delà de la concertation – quand elle existe. Cela va prendre du temps.