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Construction européenne de la santé : les pierres d’achoppement

Publié le 8 octobre 2022
Par Magali Clausener
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La stratégie pharmaceutique pour l’Europe vise à mieux répondre aux enjeux d’accès aux médicaments, d’approvisionnements, d’innovation. La législation européenne va donc être revue en 2023. Les acteurs de la chaîne du médicament suivent de près cette révision, laquelle également soulève quelques interrogations pour l’officine.

Le 25 novembre 2020, la Commission européenne a adopté la stratégie pharmaceutique pour l’Europe. « Elle vise à créer un cadre réglementaire à l’épreuve du temps et à aider l’industrie à promouvoir une recherche et des technologies destinées aux patients afin de répondre à leurs besoins thérapeutiques tout en remédiant aux défaillances du marché. Elle tiendra également compte des faiblesses mises en évidence par la pandémie due au coronavirus et prendra les mesures appropriées pour renforcer le système », détaillent des sources de la Commission.

Une directive vieille de 20 ans

Cette stratégie reposera sur quatre piliers. Le premier est de garantir l’accès des patients à des médicaments abordables et de répondre aux besoins médicaux non satisfaits (par exemple, dans les domaines de la résistance aux antimicrobiens et des maladies rares). Ensuite, il s’agit de « soutenir la compétitivité, l’innovation et la durabilité de l’industrie pharmaceutique de l’Union européenne (UE) et le développement de médicaments de qualité, sûrs, efficaces et plus respectueux de l’environnement ». Troisième pilier : renforcer les mécanismes de préparation et de réaction aux crises (d’où la création le 16 septembre 2021 de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, l’Hera), disposer de chaînes d’approvisionnement « diversifiées et sûres » et remédier aux pénuries de médicaments. Enfin, la Commission européenne veut « faire entendre la voix de l’Union dans le monde, en promouvant des normes d’un niveau élevé de qualité, d’efficacité et de sécurité ». Afin d’atteindre ces objectifs, des actions législatives et non législatives vont être mises en œuvre. L’une d’elles consiste à réviser la législation pharmaceutique de l’UE. « On avance de plus en plus sur cette notion d’Europe de la santé, et la révision de la réglementation pharmaceutique en est l’une des briques », résume Laurent Gainza, directeur des affaires publiques du Leem (Les Entreprises du médicament). La proposition de révision, dont la présentation était prévue en fin d’année, ne devrait cependant être connue qu’en février ou en mars 2023.

La législation européenne comprend un texte majeur : la directive 2001/83/CE qui instaure un « code communautaire relatif au médicament à usage humain ». « Depuis 20 ans, ce texte n’avait fait l’objet que de mises à jour thématiques », observe l’Ordre des pharmaciens. La révision, qui peut offrir des opportunités, n’est d’ailleurs pas remise en cause par les différents acteurs de la chaîne du médicament. « Elle est l’occasion de doter l’Europe d’un système réglementaire amélioré et compétitif, notamment face aux autres grandes régions internationales (Etats-Unis, Asie dont la Chine), et qui tienne compte des dernières évolutions scientifiques afin de garantir un accès aux innovations plus rapide et équitable pour les patients au sein de l’Europe. Cette révision doit aussi permettre de créer un véritable environnement européen pour les données de santé, qui soit protecteur mais permette également leur exploitation de façon correcte et au bénéfice de tous », précise Fabrice Meillier, responsable des affaires publiques Europe-international du Leem. Dernière opportunité pour le Leem : la mise en place de véritables incitations pour les laboratoires afin de développer des antibiotiques visant à mieux lutter contre l’antibiorésistance.

« Dans la perspective de santé publique qui est la sienne, l’Ordre est particulièrement attentif au renforcement de la résilience de la chaîne et de la sécurité de l’approvisionnement. A travers les travaux préparatoires à la révision de la directive sur le médicament à usage humain, la Commission européenne a manifesté une forte volonté de parvenir à mieux gérer les ruptures et à assurer un approvisionnement approprié de médicaments, souligne de son côté l’Ordre. D’un point de vue de santé publique, nous espérons que la future révision permettra d’améliorer encore la sécurité de l’approvisionnement, la qualité, le contrôle de la chaîne et la prise en compte des enjeux environnementaux. »

Remises en causes potentielles

Ce sont justement les futures mesures sur les ruptures d’approvisionnement qui inquiètent quelque peu le Leem. « D’un point de vue industriel, elles pourraient s’avérer disproportionnées et ne pas être de nature à répondre aux enjeux des ruptures, voire en augmenter les risques, et finalement ne pas atteindre leur objectif », observe Fabrice Meillier. La Commission envisage, par exemple, des obligations d’approvisionnement par les laboratoires pharmaceutiques, une notification plus précoce des pénuries et des retraits, une transparence accrue des stocks.

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De fait, la révision suscite plusieurs interrogations. « Le modèle pharmaceutique français et ses particularités doivent être soutenus et préservés par la France dans le cadre de cette révision, tout spécialement la chaîne de responsabilité et de compétence pharmaceutiques : le pharmacien responsable, l’exploitant, les obligations de service public des grossistes-répartiteurs, etc. », explique l’Ordre. Une remise en question de cette chaîne est toujours malheureusement possible, notamment de la fonction de pharmacien responsable.

Le Leem a aussi identifié d’autres risques. « La Commission européenne pourrait, dans le cadre de cette révision, remettre en cause des incitations au développement médical qui sont incluses dans la législation actuelle et concernent les médicaments orphelins et les médicaments pédiatriques. Ces incitations portent sur la propriété intellectuelle et donc la durée d’exclusivité sur le marché, la protection des données garantie pour ces médicaments, détaille Fabrice Meillier. La Commission envisagerait de revoir la définition de ces médicaments orphelins et pédiatriques, ainsi que celle des besoins médicaux non couverts en ayant une vision plus restreinte. Le nombre de maladies rares et, par conséquent, celui de médicaments orphelins pourraient être réduits. Cela figurerait dans le projet de la Commission, mais nous n’avons pas confirmation de ces modifications. »

De nouvelles dispositions visant à la transparence des modèles de tarification des produits de santé et de paiement aux laboratoires par les Etats membres seraient aussi étudiées. « Cette transparence peut potentiellement apporter des avantages aux patients, aux médecins et à la communauté scientifique au sens large. De plus, l’industrie pharmaceutique reste favorable au développement d’une infrastructure de collecte de données dans les pays afin de permettre l’utilisation de nouveaux modèles de tarification et de paiement pour améliorer l’accès des patients, commente Fabrice Meillier. L’objectif de la Commission est de limiter les distorsions d’accès aux médicaments, mais cette transparence ne respectant pas certains principes fondamentaux [comme le secret des affaires, NdlR] pourrait au contraire les accentuer au sein de l’Union européenne, voire créer des difficultés d’accès, notamment dans les pays de l’Europe de l’Est dont la soutenabilité financière est moins importante. »

Un précédent qui ne rassure pas

L’Ordre sera également attentif « à tout autre sujet qui pourrait émerger à l’occasion de la révision, tel que la notice électronique en ville qui toucherait tant les pharmaciens de l’industrie que les pharmaciens d’officine, les systèmes de suivi des pénuries, l’authentification ou encore les notions majeures définies dans l’actuelle directive (médicament, publicité, prescription médicale obligatoire, etc.) ».

Dernier point qui préoccupe : les véhicules législatifs que la Commission européenne va utiliser pour la révision. En effet, la récente révision de la directive sur le médicament vétérinaire a abouti à la transformation de cette directive en règlement (applicable dans son intégralité et intégré dans le droit national alors qu’une directive est transposable dans le droit national et respecte les spécificités du pays) avec, relève l’Ordre, « pour conséquence la disparition des dispositifs d’exploitant et de pharmacien responsable dans le domaine du médicament vétérinaire ». Or, pour l’instance ordinale, « la France dispose d’un modèle précieux avec les établissements pharmaceutiques et les pharmaciens responsables de l’industrie et de la distribution en gros ». Un modèle français qui pourrait inspirer l’Union européenne. Celle-ci a d’ailleurs récemment créé un réseau de points de contact uniques chez les titulaires d’autorisation de mise sur le marché (AMM), chargés d’informer l’Agence européenne des médicaments (EMA) sur les pénuries liées aux crises. « Cet outil pourrait être pérennisé et renforcé grâce à l’instauration d’une fonction permanente d’interlocuteur des autorités chez le titulaire d’AMM, qui leur offrirait des avantages comparables à ceux du pharmacien responsable français : la simplicité, la vision d’ensemble, la fiabilité et l’efficacité », espère l’Ordre. Sera-t-il entendu ? Réponse début 2023.

LE RÔLE DU PHARMACIEN RESPONSABLE

Le pharmacien responsable est le codirigeant de l’entreprise pharmaceutique. Il assume personnellement la responsabilité civile et pénale de l’ensemble des activités pharmaceutiques : fabrication, publicité, information médicale, pharmacovigilance, suivi et retrait des lots, distribution et stockage, importation et exportation. Il a aussi la responsabilité de l’exigence européenne d’approvisionnement approprié et continu du territoire. Il est également le point de contact unique des autorités pour la qualité et la sécurité.

Source : Ordre des pharmaciens.

Et les grossistes-répartiteurs ?

La Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) n’a pas de position officielle par rapport à la révision de la législation pharmaceutique européenne. Pour autant, « le Groupement international de la répartition pharmaceutique (Girp), dont la CSRP est membre, a fait deux propositions concernant la réforme de la législation pharmaceutique européenne qui font d’ores et déjà partie du cadre législatif et réglementaire français. La première porte sur la création d’un statut de grossiste-répartiteur au niveau européen qui serait assorti d’obligations de service public et la seconde sur le droit des grossistes à l’approvisionnement par les laboratoires, explique Emmanuel Déchin, délégué général de la CSRP. Elles ne vont pas l’une sans l’autre. Si nous avons des obligations de service public, il est logique d’avoir en contrepartie le droit d’être approvisionnés par les laboratoires. » En filigrane, il s’agit d’éviter le développement des pratiques de contingentement et de vente 100 % directe (ventes directes exclusives) des laboratoires, phénomène qui s’accélère en France. Le Girp a néanmoins relevé un risque : « Nous sommes opposés à ce que les données de sérialisation recueillies par la National Medicines Verification Organisation (NMVO) de chaque pays de l’Union européenne, soient utilisées dans le cadre d’un dispositif d’information sur les ruptures d’approvisionnement, détaille Emmanuel Déchin. Ce qui est une proposition émise par les industriels. Les grossistes-répartiteurs souhaitent un dispositif uniquement dévolu aux ruptures d’approvisionnement ».

« Les futures mesures sur les ruptures d’approvisionnement pourraient s’avérer disproportionnées »

Fabrice Meillier (Leem)

À RETENIR

La Commission européenne veut revoir la réglementation pharmaceutique dans les Etats membres.

La stratégie vise à améliorer l’accès aux médicaments et aux innovations médicamenteuses pour les Européens, et à assurer l’approvisionnement.

Cette stratégie aura une influence sur la chaîne du médicament, avec notamment le risque de faire disparaître le pharmacien responsable dans l’industrie.

« La France dispose d’un modèle précieux avec les établissements pharmaceutiques et les pharmaciens responsables »

Ordre des pharmaciens