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Colmatages

Publié le 27 septembre 2003
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Marge des grossistes diminuée, annonce de nouveaux TFR, baisses de remboursements et déremboursements, homéopathie attaquée… Le PLFSS 2004 devrait encore bouleverser l’économie officinale.

Le PLFSS 2004, qui s’annonçait « sanglant », tentera au mieux de maintenir le déficit de 2004 (- 11,2 MdEuro(s) pour le régime général, – 10,9 MdEuro(s) pour l’assurance maladie) au niveau de celui de 2003 (- 10,6 MdEuro(s) pour l’assurance maladie), en attendant la réforme de l’an prochain. L’objectif national des dépenses de santé (ONDAM) 2004 sera de + 4 % (comprenant toutes les mesures d’économies prévues). Pas de mesure directe pour l’officine, mais la baisse de marge des grossistes, notamment, et la maîtrise des soins de ville (800 MEuro(s) d’économie attendue) auront un impact indirect sur son économie, une baisse de 1,6 % des prescriptions étant même prévue. Et pas de miracle : les déremboursements des médicaments à SMR insuffisant se poursuivront et le nombre de groupes génériques sous TFR sera accru.

La profession est donc – en apparence – relativement épargnée. « Les pharmaciens ont des marges qui n’ont pas été revues depuis longtemps, expliquait récemment Jean-François Mattei. Ils sont souvent sollicités pour des actions de santé publique qui ne leur sont pas rémunérées. Il n’est pas sûr qu’on puisse gagner beaucoup. Mais on regarde tout ça de très près. »

Deux points sont particulièrement montrés du doigt dans ce PLFSS : l’explosion des indemnités journalières (deux tiers de la croissance des dépenses de ville depuis 2000) et des ALD (environ + 10 % par an depuis 1999), qui contribue largement à l’envolée du déficit. Dans les deux cas, le ministre parle d’abus et souhaite renforcer le rôle de contrôle de la CNAMTS.

Une chose est sûre, le coup de matraque général n’est que repoussé. La commission des comptes de la Sécurité sociale l’a clairement dit : « La croissance du déficit de l’assurance maladie n’est pas soutenable à moyen terme. » Et comme Jean-François Mattei a affirmé mardi qu’il n’est pas question de privatiser l’assurance maladie, il faudra donc sauver le système en le réformant. Si une hausse des prélèvements sociaux est politiquement peu acceptable pour l’instant, elle le sera peut-être un peu plus dans un an.

Les mesures qui vont toucher l’officine

– Réduction de la marge des grossistes-répartiteurs. Le gouvernement veut leur imposer, par arrêté, une troisième tranche de marge. Aujourd’hui, la marge des répartiteurs est dégressive et correspond à 10,74 % du prix fabricant hors taxes pour la partie du prix fabricant comprise entre 0 et 22,9 Euro(s) et 6 % pour la partie du prix au-delà de 22,9 Euro(s). Or le gouvernement voit d’un mauvais oeil la « croissance du segment des médicaments les plus coûteux » et anticipe « la sortie prochaine du décret organisant la rétrocession qui conduira vers les officines des molécules extrêmement coûteuses ». Pour le moment, le seuil de cette troisième tranche de marge et son taux de rémunération ne sont pas fixés, mais Jean-François Mattei estime que cette mesure devrait entraîner une économie de 100 MEuro(s). Selon nos informations, cette baisse de marge pourrait atteindre 1,3 point. Pour Patrick Martin, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, celle-ci pourrait représenter jusqu’à 75 % du résultat des répartiteurs. « Nous n’avons pas les moyens de nous priver d’une telle enveloppe », prévient-il, ce qui conduira inévitablement la répartition « à trouver des adaptations au niveau des services rendus à l’officine et de l’économie ». On peut toutefois se demander pourquoi cette baisse de marge ne touche que les répartiteurs alors que les mêmes tranches s’appliquent à l’officine.

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– Génériques : nouveaux TFR. Jean-François Mattei a été très clair : « Nous accroîtrons le nombre de groupes génériques sous tarif forfaitaire de responsabilité. » Même si, comme le souhaite la profession, la prochaine vague de TFR prévue en novembre est repoussée, le cap est maintenu pour 2004. Le gouvernement entend néanmoins adopter deux mesures favorisant le développement des génériques. L’inscription dans un groupe générique comme au Répertoire se fera désormais au moment de l’obtention de l’AMM par le générique et non lors de sa commercialisation. En 2003, le retard pour inscrire des génériques au Répertoire a déjà coûté 20 MEuro(s) à l’assurance maladie. L’Etat souhaite également lutter contre la politique de contournement du générique par les laboratoires. Il lèvera certains obstacles juridiques qui entravent l’émergence de nouveaux génériques en France, commercialisés ailleurs en Europe.

– Baisses de remboursement et déremboursements.

« 519 nouveaux produits ont été mis sur le marché depuis janvier 2002 », s’est félicité Jean-François Mattei. En contrepartie, il entend, « lutter contre les abus injustifiables, les gaspillages injustifiés et les exubérances irrationnelles ». La politique des déremboursements est maintenue avec une deuxième vague prévue en 2004. Il demande également au CEPS de réexaminer « les conditions de vente et de remboursement des médicaments ou dispositifs médicaux dont le service médical rendu paraît moindre aujourd’hui qu’au moment où ils ont été mis sur le marché ». Le gouvernement ambitionne une économie de 100 MEuro(s) en révisant ainsi la liste des produits remboursables.

– L’homéopathie touchée. Les petites granules blanches vont voir leur taux de remboursement s’aligner « sur celui des médicaments à SMR faible ou modéré », c’est-à-dire baisser de 65 à 35 %. Elle coûte 150 MEuro(s) par an à la sécurité sociale. Le gouvernement en attend une économie de 70 MEuro(s) (lire les réactions ci-contre).

Les recettes nouvelles pour l’assurance maladie

Tout en écartant une hausse de la CSG, le gouvernement a prévu trois principales recettes dans le PLFSS 2004, pour un montant un peu supérieur à 1 milliard d’euros.

– Réforme de la taxe sur la promotion pharmaceutique. La modification de la base de calcul de cette taxe devrait rapporter 150 MEuro(s). « Les visiteurs médicaux ont un rôle souvent utile pour diffuser de l’information aux médecins. Mais l’excès de visites médicales est aussi un facteur inflationniste reconnu internationalement, a expliqué Jean-François Mattei. Or nous sommes le pays recordman du monde de consommation de médicaments par habitant. 400 000 de nos concitoyens environ consomment plus d’une boîte par jour. » Jusqu’à présent, le montant à payer est essentiellement défini sur la base d’un ratio entre les dépenses de promotion réalisées par un laboratoire et son chiffre d’affaires. Désormais, il le serait en fonction du seul montant des dépenses de promotion.

– Hausse du tabac. L’augmentation des prix du tabac en 2004, votée par le Parlement en juillet dernier, sera intégralement reversée à l’assurance maladie. Elle devrait lui rapporter 800 MEuro(s).

– Recours au tiers. Les caisses d’assurance maladie se retourneront davantage contre la ou les personnes responsables d’un accident (route, domestique…) et son (leur) assureur pour récupérer les prestations servies à la victime. Le gouvernement attend de cette mesure 100 MEuro(s).

Mais encore…

– Contrôle des arrêts maladie. Leur nombre explose (en 2002 un salarié sur quatre en a eu au moins un) et, selon le ministre, près de 6 % des indemnités journalières versées ne seraient pas justifiées. Il souhaite donc un contrôle accru. Ce poste représente plus de 5 MDEuro(s) de dépenses par an. Les économies potentielles (non chiffrées) seraient donc conséquentes.

– Contrôler les ALD et multiplier les accords de bon usage des soins. Le gouvernement souhaite mieux gérer les admissions en affection longue durée prises en charge à 100 % et assurer le suivi des malades. Il veut multiplier les accords de bon usage des soins (prescription de génériques, antibiotiques…), les contrats de bonnes pratiques et les contrats de santé publique. Cette meilleure « maîtrise médicalisée » permettrait 650 MEuro(s) d’économie.

– Exonération du ticket modérateur. Alors que les actes exonérés « croissent très rapidement » (11,2 % en 2002), Jean-François Mattei veut revoir les règles de la prise en charge à 100 % des actes liés à une opération chirurgicale : les soins en ville et certains médicaments ne seront plus remboursés qu’à 65 %. Economie attendue : 500 MEuro(s).

– Responsabilisation des assurés sociaux. Le ministre veut exclure du remboursement les actes effectués en dehors de toute justification médicale comme ceux afin d’obtenir un certificat médical pour avoir une licence sportive, un brevet de pilote, le droit de conduire au-delà d’un certain âge… Economie non chiffrée.

Fin du prix libre du médicament à l’hôpital

– C’est une petite révolution contre laquelle tente de se battre l’industrie depuis des mois : la fin du prix libre à l’hôpital. Le prix de cession des médicaments rétrocédés (aux pharmacies centrales ou officines) est administré, le prix de vente des laboratoires aux hôpitaux doit donc logiquement l’être aussi, analyse le ministère. Le PLFSS le prévoit donc.

– Une des mesures les plus emblématiques de ce projet de loi, reprise par tous les médias, est la hausse du forfait hospitalier de 10,67 à 13 Euro(s). Mais parallèlement, le forfait en hôpital psychiatrique diminue de 10,67 à 9 Euro(s).

– En attendant de mener à bien sa réforme structurelle (passage notamment à la tarification à l’activité en 2004), l’hôpital recevra une première bouée d’oxygène : 2,4 milliards d’euros supplémentaires en 2004, plus de 8 MdEuro(s) sur trois ans (2002-2004), notamment pour absorber le coût des 35 heures (coût de 3,5 MdEuro(s) par an d’ici 2005 selon le ministère). Le public et le privé sont désormais dotés d’une enveloppe commune, toujours avec deux échelles tarifaires mais qui devront se rapprocher pour finir par se confondre en quelques années.

– Côté investissements, 6 MdEuro(s) de subventions (dont 1 MdEuro(s) en 2003) sont prévus d’ici 2007 pour financer les plans d’investissement des agences régionales de l’hospitalisation (portant sur 10,2 MdEuro(s) au total).

Réactions

Le Syndicat des médecins homéopathes français en appelle aux patients pour se mobiliser et annonce « un plan d’actions » prochain. Le syndicat de la pharmacie homéopathique prophétise « des transferts de consommation vers des prescriptions allopathiques plus coûteuses et souvent iatrogènes ». Christian Boiron assure aussi que « l’homéopathie est une source d’économie pour la Sécurité sociale. […] Les homéopathes coûtent deux fois moins cher que la moyenne des autres médecins ». La conclusion revient à Pierre Fabre, qui rappelle que les deux premiers laboratoires sont français…

« Aider les meilleurs plutôt qu’accompagner les tocards »

« Ce soir, on va nous donner le nouvel ONDAM. Mais quel que soit ce chiffre, on peut prendre un pari presque certain : il ne sera pas respecté », prophétisait, mardi aux « Amphis de la santé »*, Alain Coulomb, directeur de l’ANAES, avant l’annonce de l’ONDAM 2004 par Jean-François Mattei. Coauteur d’un rapport sur la médicalisation de l’ONDAM, Alain Coulomb a laissé poindre son scepticisme sur un chiffre « sorti d’un chapeau » par une quinzaine de personnes. Selon lui, « la qualité est le seul dénominateur commun entre l’exigence de nos concitoyens et l’acceptation par les professionnels » pouvant être utilisé par les payeurs pour fixer des objectifs tenables. Et leur responsabilisation ne pourra se faire que par une discrimination positive : « Aider les meilleurs plutôt qu’accompagner socialement les tocards. » Pour les assurés, le respect d’une certaine éducation pour la santé pourrait se voir au travers de leurs remboursements… Pour les professionnels de santé, cela signifierait d’abord beaucoup de pédagogie (expliquer les objectifs), et ensuite des « sanctions positives » pour ceux qui respectent les recommandations de bonnes pratiques, par exemple. Cela supposerait aussi que les syndicats admettent que tous les professionnels n’ont pas forcément la même qualité de travail. Manifestement, une telle approche de l’ONDAM, ce sera pour plus tard… Peut-être. Pourtant, il y a urgence : « Nous avons dix ans de retard, estime Alain Coulomb. Le risque n’est pas seulement financier. Il y aussi un risque de dérive non citoyenne des professionnels de santé. C’est surtout ça l’urgence. Et on a raté une occasion avec un ministre qui, pour la première fois depuis des années, faisait il y a un an l’objet d’une standing ovation de la part des médecins… » – F.S.

* Organisées par l’Association des cadres de l’industrie pharmaceutique et l’ESSEC.