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C’est pas gagné…
Une procédure d’infraction a bien été décidée le 21 mars contre la France, une lettre de mise en demeure ayant suivi. Les pharmacies françaises y sont sommées de se mettre en conformité avec le droit communautaire en ouvrant leur capital. Ce sujet a évidemment été omniprésent dans les travées et différents débats de Pharmagora. Responsables professionnels et politiques accusent le coup.
Les arguments de santé publique justifiant que l’on réserve le capital des officines aux seuls pharmaciens diplômés sont disproportionnés, estime la Commission de Bruxelles. Deuxième point : elle conteste le fait qu’un pharmacien ne puisse gérer plus d’une pharmacie. Enfin, il n’y aurait pas vraiment de conflit d’intérêt à être pharmacien tout en exerçant une autre activité… comme grossiste-répartiteur par exemple.
Lors de l’ouverture de Pharmagora, samedi 24 mars, c’est en évoquant ce contexte qu’Isabelle Adenot, présidente de la section A, parlait de « changements brutaux » à venir. « Des adaptations s’imposent car l’immobilisme serait la pire des erreurs », a-t-elle conseillé. Faudra-t-il des concentrations et, si oui, de quel type ?, se demande la présidente de la section A. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le ton général n’est pas à l’optimisme à la veille de cette nouvelle bataille. « L’attente d’une future directive santé rend prématurée l’urgence dont fait preuve la Commission », analyse Isabelle Adenot. Certes, mais nul ne sait précisément quand cette directive verra le jour : en 2009, 2010 ?
Politiques solidaires
Dans l’immédiat, la France a deux mois pour répondre à l’injonction de Bruxelles, qui devrait rendre un avis motivé courant 2007. « Nous irons au bout de la procédure », ont assuré lundi soir des émissaires de l’Avenue de Ségur, du Quai d’Orsay et de Matignon aux représentants de la profession. Entendez : « il y aura certainement contentieux, nous irons jusqu’à la Cour européenne de justice s’il le faut ». Cour qui s’illustre cependant davantage dans la défense de la libre concurrence que dans celle des monopoles. Et après, donc ? Le Premier Ministre a bien fait comprendre que la France ne voulait pas s’exposer à des sanctions européennes. « La directive santé en préparation sera une arme pour gagner du temps, a néanmoins lancé Xavier Bertrand dimanche sur le plateau TV du Moniteur à Pharmagora. Et elle pourra nous permettre de revenir par la fenêtre sur la question des pharmacies. Cela nous permettra aussi de voir exactement comment les choses se passent sur le contentieux italien, qui est plus avancé que le nôtre. On sait où ça commence, on ne sait pas où ça finit… Tout cela est de nature à casser complètement l’édifice de notre système de santé en s’attaquant à la question des pharmacies. »
Lors des différents plateaux politiques du Moniteur, Claude Pigement, pour le Parti socialiste, et Jean-Luc Préel, pour l’UDF, ont affiché la même détermination à défendre l’officine. Mais derrière la volonté affichée depuis dix jours perle également, chez les politiques de tous bords, un scepticisme certain quant à une issue favorable dans ce bras de fer engagé par Bruxelles.
Divisions syndicales
Les partis politiques affichent davantage d’optimisme sur le quorum, dont le lien avec la santé publique sera il est vrai plus facile à démontrer, puisque c’est cela que demande Bruxelles à la France. Mais, là non plus, la partie n’est peut-être pas gagnée : on pensait que la Commission avait retiré le quorum de son injonction du fait des pressions exercées en début de semaine dernière à Bruxelles par la France ainsi que par d’autre pays (l’Italie, l’Autriche et l’Espagne sont aussi concernées, et bientôt l’Allemagne) et par notre (seul) commissaire européen, Jacques Barrot. Mais la Commission attend aussi (surtout ?) une étude sur le sujet pour savoir si elle doit également attaquer la France sur ce point.
Loin de souder la profession, cette attaque de Bruxelles relance la zizanie syndicale, l’UNPF ayant dénoncé dans un communiqué « l’attitude de la FSPF, qui a refusé toute ouverture, et la tient pour responsable de la situation actuelle », faisant référence au retard pris par le décret sur les SEL. Reproche relayé par l’USPO. Une accusation qualifiée de « mauvais procès » par le vice-président de la FSPF Jean-Pierre Lamothe, mardi, à l’occasion d’une convention organisée à Paris pour « auditionner » sur la pharmacie les représentants des candidats à la présidentielle. La profession semble en tout cas totalement prise de cours, malgré les signaux d’alerte lancés dernièrement par le ministère de la Santé. « On peut s’appuyer sur la loi MURCEF, faciliter les fusions économiques tout en sauvegardant la spécificité de notre modèle », assure Isabelle Adenot. Il y a un an, cela aurait peut-être suffi, mais maintenant ?…
Sur un autre plan, un représentant professionnel, présent le 19 mars dernier à Bruxelles, a laissé planer auprès de la Commission la menace d’un message eurosceptique qui ne manquerait pas d’émaner des 4 millions de visiteurs quotidiens des officines françaises. La réaction de la Commission aurait été : « Vous ne ferez pas ça… » Voire.
Vers un prix européen unique ?
« Je sais qu’il s’agit d’une question taboue, mais si l’on arrivait à avoir un prix européen unique pour les médicaments, on résoudrait pas mal de problèmes de sécurité. » Un remède aux contrefaçons et aux exportations ou importations parallèles ? Grand témoin des premières Rencontres des pharmaciens de la distribution organisées par l’ordre des pharmaciens, la députée européenne Françoise Grossetête a défendu ce point de vue. « Je suis tout à fait d’accord pour un prix européen unique, y compris sur le médicament non remboursable », a acquiescé Pierre Leportier, président de la FSPF. Pour Christian Lajoux, président du Leem, ce n’est pas si simple tant les pouvoirs d’achat sont hétérogènes d’un pays à l’autre. Mais l’idée est lancée.
ce que vous en pensez
Rodica Barthe, pharmacienne à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie)
L’ouverture du capital à des non-pharmaciens est inéluctable car telle est la volonté politique. Mais elle ne me fait pas peur. L’important, c’est de savoir ce que l’on attend des pharmaciens pour qu’ils puissent s’organiser. La profession a encore des atouts à faire valoir mais elle ne pourra compter que sur elle-même pour s’en sortir. De même, le monopole ne pourra plus tenir très longtemps en l’état mais il ne volera pas pour autant en éclats. Pour lutter contre les offensives des grandes et moyennes surfaces, la qualité de notre conseil et de notre accueil sera déterminante.
Christophe Wilcke, pharmacien à Spincourt (Meuse)
L’Autriche et l’Espagne ont déjà été « titillées » par Bruxelles sur le quorum et le capital, il est donc logique que la France le soit à son tour. Je ne suis évidemment pas favorable à ce que notre capital s’ouvre à des grossistes, des laboratoires ou des groupements. Je suis en zone rurale et la profession étudie avec la DDASS et la préfecture un plan de sauvegarde du service pharmaceutique de proximité en campagne. La suppression du quorum et la liberté d’installation aboutiraient au contraire à des concentrations d’officines dans des zones fortement peuplées ou à fort pouvoir d’achat, donc à la fin du maillage territorial.
Jimmy Burband, pharmacien à Saint-Nicolas-de-Redon (Loire-Atlantique)
Si le quorum tombe, si le monopole s’ouvre, si le capital n’est plus réservé aux pharmaciens, la profession est appelée à disparaître. Certains s’adapteront mais il y aura des laissés-pour-compte. Je suis très inquiet car l’exercice ne correspondra plus à ce pour quoi je me suis engagé en faisant pharmacie. J’ai envie de dire aux étudiants de première année de s’orienter vers la filière médecine car je ne vois pas où est l’attrait d’être le sous-fifre d’un groupe financier. Dans un schéma capitalistique, le pharmacien sera tenu par des objectifs de vente. Il perdra son indépendance et le code de déontologie disparaîtra. La profession va devoir avancer des arguments de santé publique pour se défendre et faire jouer la subsidiarité !
Propos recueillis par François Pouzaud
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