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CES FRANÇAIS QUI REGARDENT À LA DÉPENSE DE SANTÉ
Consultations, examens, interventions chirurgicales, achat de médicaments, le renoncement aux soins pour des raisons uniquement financières n’est pas un phénomène anecdotique. Et les différentes vagues de déremboursement ne font qu’accentuer le phénomène.
Franchises médicales, parcours de soins, augmentation du forfait hospitalier, déremboursements… La facture s’alourdit pour les assurés. Au point que certains d’entre eux renoncent purement et simplement à l’achat de médicaments, ou retardent le moment de passer à la pharmacie. Deux ans après le début d’une crise économique mondiale, entre 13 et 26 % des Français seraient concernés, selon les sondages. Exemple emblématique, les ventes de veinotoniques se sont effondrées après la diminution de leur taux de remboursement de 35 à 15 %, et avant leur déremboursement total. A Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, Arezki Saim, titulaire de la Pharmacie du Marché, se désole : « J’ai des stocks de magnésium qui ne partent plus, alors que j’en vendais plusieurs centaines de boîtes par mois avant. » Même phénomène avec les médicaments à vignette orange, remboursés à un taux de 15 % depuis avril 2010 : « Les ventes de Dexeryl ont bien chuté de 20 à 30 % chez moi… », ajoute cet officinal. Entre le second semestre 2009 et le second semestre 2010, les ventes de médicaments à vignette orange ont baissé de 12 % en volume et de 14,7 % en valeur, selon Celtipharm. Des propos et des chiffres à nuancer, selon Philippe Ulmann, directeur de l’offre de soins à l’Assurance maladie. Pour lui, la baisse de remboursement des vignettes orange est en partie amortie « du fait de la couverture du reste à charge par la plupart des mutuelles. Par ailleurs, les bénéficiaires de la CMU sont également couverts ».
L’Education nationale et les étudiants principales victimes
Certes, aujourd’hui, les médicaments à 15 % sont intégralement pris en charge par la complémentaire santé pour 76 % des assurés, selon les dernières données du cabinet Direct Research. Mais il reste donc 24 % d’assurés sur le carreau, dont, entre autres, les adhérents de la MGEN ou des mutuelles étudiantes… « Parmi les clients dont la mutuelle ne prend pas en charge les vignettes orange, les réactions sont partagées : la moitié accepte de payer, l’autre refuse », indique Bruno Eccel, cotitulaire à Montreuil, près de Paris. « J’en parle avec des confrères, ils sont d’accord avec moi : un patient sur deux renonce à payer les produits déremboursés ou à 15 %, s’inquiète Nicole Minetti, pharmacienne gérante d’une officine mutualiste à Montpellier (Hérault). C’est un mouvement massif. On voit de plus en plus de prescriptions mal remboursées. Hier, une dame est venue avec une ordonnance contenant trois médicaments, un déremboursé, les autres à 15 %: elle n’a rien pris… »
Moins alarmiste, Albert Stioui, titulaire dans le XVIIe arrondissement de Paris, estime que « le refus de prendre les médicaments n’est pas une tendance de fond, ça ne se ressent pas beaucoup dans mon quartier, qui est pourtant moyennement aisé ». Pour Jean-Michel Gluckmann, dont l’officine est implantée dans un quartier favorisé, dans le XIIe arrondissement de Paris, « il n’y a pas plus de refus de médicaments que d’habitude ». Pas de répercussions sur les porte-monnaie des clients riches ? Pas sûr. « Ce n’est pas la tranche de population la plus aisée qui paie le plus facilement ! », remarque Jean-Michel Gluckmann. « Ceux qui renoncent aux médicaments ne sont pas systématiquement les plus pauvres… », note Micaël Kalfon, titulaire de la Pharmacie George V, située dans un quartier dit « intermédiaire » de Nice. « Certains refusent de payer par principe, quels que soient leurs revenus, dans la mesure où ils estiment cotiser suffisamment à travers la Sécurité sociale et la mutuelle », avance Didier Hess, cotitulaire d’une autre officine niçoise. Autre écho, venu d’une titulaire installée dans un quartier populaire de Montreuil, en Seine-Saint-Denis : « Ça se passe mal depuis septembre 2010, et encore plus depuis début 2011. Les clients râlent et ne prennent pas les médicaments non remboursés. » La faute à la crise, selon elle. La fermeture d’un centre de santé municipal tout proche, dans le quartier Robespierre, en décembre 2010, n’a rien arrangé : « Depuis, j’ai perdu environ 30 % de mon chiffre d’affaires. » Cette pharmacienne est si souvent confrontée à des refus d’achat de médicaments que désormais elle annonce la couleur et le prix à payer, avant d’aller chercher les médicaments dans les tiroirs : « J’en ai assez de sortir les boîtes et de les ranger pour rien… », soupire-t-elle.
« Souvent les patients ne prennent qu’une boîte même si le médecin en a prescrit plusieurs », détaille Didier Hess. D’autres diffèrent, hésitent, puis reviennent chercher les médicaments au bout de quelques jours. Ou bien ils retournent voir leur médecin pour obtenir une ordonnance remboursée. Autre cas de figure : « On les revoit parfois après une discussion avec leur médecin, qui est parvenu à les raisonner ; ils acceptent alors de payer 15 euros par mois pour du Tanakan ou 19 euros pour du Chondrosulf », relate Nicole Minetti. D’autres encore jouent la pudeur et la dignité : « Lorsqu’ils apprennent que le médicament est payant, ils se souviennent soudain qu’ils en ont encore chez eux, pour ne pas dire qu’ils n’ont pas les moyens… », témoigne Gérard Tiberti, cotitulaire de la Pharmacie de la Madeleine, à Nice.
Un gros travail de pédagogie pour les équipes officinales
Quant aux pharmaciens, ils s’adaptent à la situation à travers l’avance de médicaments : « Un phénomène de plus en plus fréquent, dû d’une part à la difficulté à obtenir un rendez-vous chez le médecin, mais aussi à la crise économique », selon Didier Hess. Le recouvrement de chèques avec retard est aussi souvent demandé. « Une cliente qui attendait le versement de sa retraite m’a demandé d’attendre pour encaisser un chèque de 12 euros… », témoigne Nicole Minetti. Cette officinale n’hésite cependant pas à proposer des produits conseil : « La phytothérapie peut être un relais si on propose un choix de qualité et une politique de prix raisonnable. Dans ce cas, le coût pour le patient s’avère souvent inférieur à celui des médicaments à vignette orange majorés de la franchise… » Gérard Tiberti note une augmentation de ses ventes de bas de contention, pour compenser les chutes de parts de marché des veinotoniques.
Faire davantage payer les patients, pour certains ce n’est pas forcément un mal. « Au moins, les clients prennent conscience du coût des médicaments. Nombre d’entre eux n’en ont aucune idée parce qu’ils ont été habitués pendant plusieurs décennies à ne pas débourser un centime quand ils vont en pharmacie », commente Albert Stioui, qui doute cependant de l’efficacité à long terme de cette stratégie de déremboursement : « Cela va engendrer encore plus de maladies que de guérisons… Si des médicaments efficaces ne sont remboursés qu’à 15 %, qu’est-ce que cela signifie » Les clients sont les premiers désorientés par ce nouveau taux de 15 %. Ce qui nécessite un travail de pédagogie de la part des équipes officinales : « La logique économique du système leur échappe ; ils font une confusion entre Sécu et mutuelle… Je fais souvent des mises au point, et ce n’est pourtant pas à moi de faire ça ! », commente Gérard Tiberti. L’efficacité économique de ces mesures est aussi remise en doute : « Les gains réalisés ? A mon avis ils ne représentent pas grand-chose au regard du budget de l’assurance maladie », estime Jean-Michel Gluckmann. Pour la CNAMTS, au-delà des économies, il faut viser un objectif de santé publique, en limitant la consommation de médicaments : « Celle-ci a toujours été particulièrement élevée en France. Mais, depuis trois ans, elle ralentit, ce qui est une bonne nouvelle pour la santé publique, commente Philippe Ulmann. Un phénomène dû aux campagnes en faveur des génériques et de la limitation des antibiotiques. »
Les patients renoncent non seulement à des médicaments mais aussi à des soins : consultations, examens, interventions chirurgicales… Un des clients d’Arezki Saim, à Aubervilliers, a dû payer des dépassements d’honoraires élevés pour une opération de la cataracte à un œil. « Il a décidé de ne pas se faire opérer de l’autre œil », témoigne le pharmacien. « J’entends des clients au comptoir dire qu’ils renoncent à des examens parce qu’il n’y a pas de tiers payant, confie Bruno Eccel, à Montreuil. C’est dommageable à terme parce qu’on se prive d’actes qui peuvent révéler une pathologie. » Un pharmacien qui exerce dans le 5e arrondissement de Paris, un quartier à haut pouvoir d’achat, raconte : « J’ai parmi mes clientes une dame âgée qui souffre de phlébite. Son médecin du centre de santé, dans le XIIIe arrondissement, étant absent, elle attend car elle ne peut payer une consultation en cabinet libéral. Il faut dire qu’ici les généralistes font souvent payer 50 euros. Je m’inquiète. A force d’attendre, elle risque une embolie pulmonaire ou un ulcère variqueux…? » Le point de vue de l’Assurance maladie ? Pour Philippe Ulmann, « les renoncements ou reports de soins concernent surtout le dentaire et l’optique, et ce depuis plusieurs années. Et les chiffres des sondages réalisés en 2010 sont à manier avec précaution car ils recouvrent parfois différentes choses et ne recourent pas aux mêmes méthodologies ».
Un nouveau motif d’inquiétude est apparu récemment pour les usagers, mais aussi pour les pharmaciens, avec la baisse annoncée et attendue du taux de remboursement des vignettes bleues de 35 à 30 % et des dispositifs médicaux de 65 à 60 %. De nouveaux renoncements en perspective pour les patients ?
TROIS QUESTIONS À MAGALI LEO, CHARGÉE DE MISSION ASSURANCE MALADIE AU COLLECTIF INTERASSOCIATIF SUR LA SANTE*« Freiner l’accès aux soins n’est pas un bon calcul »
Vous avez réalisé un sondage sur le renoncement aux soins en octobre 2010. Quels sont ses principaux enseignements ?
Il en ressort que plus d’un quart des Français (26 %) ont renoncé à des soins ou les ont reportés ces dernières années. Ce chiffre n’est pas anecdotique. Nous notons aussi que les renoncements aux soins s’aggravent en fonction de la situation sociale des patients : les bénéficiaires de la CMU, les personnes au revenu inférieur à 1 500 euros sont davantage touchés, de même que celles qui sont en ALD.
Que penser des récentes baisses de remboursement affectant les médicaments ?
A chaque fois qu’une baisse de remboursement est décrétée, la notion de service médical rendu est invoquée. Or, de notre point de vue, cette notion, floue et malléable, permet d’abaisser le taux de remboursement de nombreux médicaments pourtant utiles. Une personne transplantée du foie nous a signalé que Voltarène Emulgel (vignette bleue dont la prise en charge devrait donc baisser de 35 % à 30 %) lui était indispensable car, souffrant de problèmes gastriques, il ne peut pas lui être administré d’anti-inflammatoires par voie orale. Par ailleurs, le taux de remboursement des dispositifs médicaux (fauteuils roulants, prothèses…) devrait lui aussi être abaissé de 65 % à 60 %. Il est pourtant difficile de contester leur utilité essentielle. Cet alourdissement du reste à charge des patients n’est pas un bon calcul car il pousse aux renoncements aux soins et entretient donc le risque d’une aggravation des pathologies, dont la prise en charge sera ensuite plus coûteuse. Enfin, l’argument selon lequel les organismes complémentaires compensent les déremboursements n’est en rien recevable : cinq millions de Français n’ont pas de mutuelles, et il est de plus en plus fréquent que celles-ci ne couvrent pas ou mal ce qui est déremboursé par l’assurance obligatoire.
Les malades chroniques restent-ils à l’abri de ces mesures ?
Tout d’abord, les malades chroniques ne sont pas tous en ALD : on compte 15 millions de personnes vivant avec une pathologie chronique et 8 millions de patients en ALD. Ensuite, les personnes doivent parfois prendre des médicaments pour atténuer les effets secondaires de leur maladie ou de leur traitement (comme les diarrhées provoquées par les trithérapies) et toutes les prescriptions ne passent pas dans la partie haute de l’ordonnancier bi-zone.
* Le CISS regroupe une trentaine d’associations de malades et d’usagers de la santé.
« Médecins des bois »
Accessible sur Internet depuis décembre 2010, le « manifeste des médecins solidaires », qui s’insurge contre les différentes restrictions de l’accès aux soins, a recueilli plus de 120 signatures de praticiens, libéraux, hospitaliers, généralistes ou spécialistes. « Médecins chargés de soigner, dépister, prévenir les maladies de nos patients, nous ne pouvons pas rester indifférents devant l’accroissement des mesures qui tendent à restreindre l’accès aux soins remboursés, et à privatiser la Sécurité sociale », lit-on dans le manifeste. A l’origine de ce texte : Didier Poupardin, médecin généraliste à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), qui a été traduit en justice par sa caisse primaire d’assurance maladie pour non-respect de l’ordonnance bi-zone.
Chiffres clés
• Selon l’enquête « Conditions de vie et aspirations » du Crédoc publiée en juillet 2010, 13 % des Français se sont imposé des restrictions de soins en 2010 ; ils n’étaient que 3 % au début des années 1980. La proportion monte à 18 % chez les ménages les plus modestes ; elle est encore de 5 % chez les personnes qui gagnent plus de 3 100 euros par mois. Le sentiment que l’on est mieux soigné lorsqu’on a des relations et de l’argent se diffuse : 66 % des personnes vivant en milieu rural y croient et 77 % des Franciliens.
• Le médicament demeure le 3e poste de dépenses des Français après les soins hospitaliers et les soins ambulatoires.
• Les dépenses pour les médicaments à SMR insuffisant se sont effondrées de 2006 (969 millions d’euros) à 2009 (384 millions), soit environ – 60 % environ (source : Mutualité française).
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