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CE QUE LE GOUVERNEMENT VOUS PRÉPARE

Publié le 12 juillet 2014
Par Loan Tranthimy et Francois Pouzaud
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Baisses des dépenses sur le médicament, négociation avec les laboratoires sur le paracétamol, sortie du monopole des produits frontières… Autant de dossiers chauds qui risquent de fragiliser la réforme de la rémunération et le réseau officinal.

La trêve estivale à peine entamée, les grandes manœuvres ont déjà commencé. Pour respecter le plan d’économies de 3 milliards d’euros sur le médicament, le gouvernement doit rendre ses derniers arbitrages sur des mesures qui touchent l’économie officinale. Le premier concerne le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2015. Conformément au programme de stabilité 2014-2017, l’objectif national des dépenses de l’assurance-maladie (ONDAM) affichera un taux de progression historiquement bas, limité à 2,1 %. Pour y parvenir, Marisol Touraine, ministre de la Santé, a déjà esquissé quelques pistes comme la baisse de prix des médicaments, l’optimisation des prescriptions des médecins ou encore le développement des génériques. Des pistes également évoquées dans le rapport intitulé « charges et produits », préparatoire au PLFSS remis en juin par la CNAMTS. Pas moins de vingt-cinq propositions ont été énumérées pour économiser 2,86 milliards d’euros sur les dépenses de santé en 2015. Afin d’optimiser par exemple les prescriptions des médecins, le rapport évoque plusieurs actions telles que la convocation par l’Assurance maladie de 6 000 médecins traitants de patients de plus de 75 ans qui prennent plus de dix médicaments, la mise en place de listes préférentielles de médicaments validées, d’objectifs de prescription sur les médicaments biosimilaires, de contrôles accrus des médecins mentionnant « non substituables » sur leur ordonnance ou encore d’actions de régulation des prescriptions de sortie d’hôpital. Ces différentes mesures tendant à faire baisser les prescriptions risquent de fragiliser la réforme des honoraires.

Conséquences sur la nouvelle rémunération

Celle-ci prévoit en effet de garantir aux pharmaciens un minimum de rémunération par boîte de médicaments remboursables (0,80 € en 2015 puis 1 € en 2016) et par ordonnance de cinq lignes et plus (0,50 €). « La CNAMTS cherche à réduire la consommation des médicaments chez les personnes âgées, donc le nombre de lignes sur les ordonnances. Cette mesure compensatoire pour le pharmacien risque de ne pas être au rendez-vous », assène Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Même crainte du côté de l’UNPF. « Ce rapport s’inspire des mesures préconisées par la Cour des comptes et si le gouvernement l’accepte, il enterrera la réforme des honoraires signée par la FSPF », commente Michel Caillaud, président de l’UNPF. Philippe Gaertner, président de la FSPF, lui, ne se montre pas inquiet outre mesure mais il reste très vigilant : « Ce rapport va plutôt chercher cette année les économies ailleurs que sur le médicament. En particulier, l’hôpital est assez visé ».

Grands conditionnements du paracétamol à l’étude

Un autre danger guette la réforme des honoraires : les grands conditionnements sur le paracétamol. Plusieurs réunions en cours sur le médicament entre les laboratoires et le gouvernement ne rassurent en rien la profession. « Le cabinet du ministre de la Santé s’intéresse à cette question mais pour l’instant nous n’avons pas été associés à la réflexion », confirme Benoît Gallet, vice-président de BMS France. Il rappelle que l’autorisation de grands conditionnements nécessitera un changement de loi et des investissements de la part des laboratoires concernés (Sanofi, BMS…). Donc un coût supplémentaire pour ces derniers. « Ce n’est pas notre volonté. De plus, les économies liées à la création d’un groupe génériques sur le paracétamol sont purement dogmatiques et risquent de mettre à mal tous les producteurs, laboratoires de princeps comme génériqueurs, car aujourd’hui, l’ensemble des médicaments génériques à une exception près, sont au prix industriel du Dafalgan », ajoute-t-il. Michel Caillaud avance une autre raison expliquant les réticences de BMS : « En lançant des grands conditionnements du paracétamol, ce laboratoire compromettrait son retour sur le marché de l’automédication au niveau du conseil de Fervex et Mucomyst, après les difficultés liées aux problèmes de rupture. Néanmoins, s’il doit y en avoir, la réforme de la rémunération sera un jeu de dupes ». Pour sa part, Gilles Bonnefond est formel. « Le ministère nous a informés qu’il va y avoir des changements de conditionnement pour les patients chroniques », affirme-t-il lors d’une conférence de presse. Rappelant que la réforme est fondée principalement sur la vente des produits peu chers (le paracétamol), le président de l’USPO demande la suspension de la réforme de la rémunération dans la mesure où « toutes les mesures compensatrices ne sont pas au rendez-vous ».

Fin du monopole pour les produits frontières

Alors que les arrêtés modifiant la marge et le plafond des remises des génériques pour compléter la réforme de la rémunération doivent encore être publiés, un autre nuage noir pointe à l’horizon : le projet de loi Montebourg sur la croissance et le pouvoir d’achat dont les grandes lignes ont été annoncées le 10 juillet. Le ministre de l’Economie devait rappeler les dispositions évoquées dans le programme de stabilité 2014-2017 présenté en avril 2014, qui vise à renforcer la concurrence dans les services notamment en matière de santé touchant par exemple certains produits dits « frontières » (autotests de glycémie…). Gilles Bonnefond est vent debout contre ce texte. Il a précisé que les mesures concerneraient « les antiseptiques, les bains de bouche, les autotests de glycémie, l’homéopathie ou les médicaments à base de plantes », voire les médicaments à prescription médicale facultative, notamment tout ce qui est en libre accès. « Le ministère de la Santé nous a dit de ne pas nous en inquiéter, comme pour les tests de grossesse. Quand on passe dans le pacte de stabilité les produits de frontière, cela veut dire que l’arbitrage ne s’est pas fait dans le sens demandé par Marisol Touraine », dit-il. Philippe Gaertner confirme avoir deux rendez-vous avec le ministère de la Santé et Bercy pour en savoir plus. « Aucun membre du gouvernement ne s’est exprimé sur ce sujet. Cela étant, il faut rester très vigilant car la profession a été échaudée avec la sortie des tests de grossesse », prévient-il. « Arnaud Montebourg est attaché à défendre l’économie française, or, en cas d’ouverture du monopole, les premiers laboratoires à s’engouffrer dans la brèche seront étrangers. De plus, il est attentif à ne pas fragiliser le réseau », ajoute Michel Caillaud. Sans attendre la rentrée, l’USPO demande à la profession de se mobiliser dès septembre.

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Une méconnaissance des patients sur les génériques

Alors que la CNAMTS prévoit des contrôles accrus envers les médecins présentant un fort taux d’utilisation de la mention « non substituable » (592 praticiens ont un taux supérieur ou égal à 29 %), une étude menée auprès de 272 patients au sein de l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) mérite d’être regardée de près. Elle révèle une méconnaissance des personnes interrogées sur le « pourquoi ces médicaments sont prescrits » et « qui les prescrit ». Six patients sur dix déclarent qu’ils leur sont délivrés à l’initiative de la pharmacie, un peu moins de la moitié (46 %) sur prescription de leur médecin. Une personne sur dix les réclame elles-mêmes à leur pharmacien. A quand une campagne publique d’information sur les génériques ?

3 milliards d’euros

C’est le montant d’économies prévu pour le médicament sur trois ans

10 %

C’est le pourcentage du chiffre d’affaires total de l’officine que représentent les produits frontières