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Ce paquet neutre que l’Afipa voudrait bien renvoyer dans les cordes
Défendant leurs marques, les fabricants de médicaments OTC se dressent contre les nouvelles recommandations de l’ANSM pour l’étiquetage de certains médicaments. En donnant l’impression de partir seuls au combat. Commentaires d’un match dont les pharmaciens pourraient bien malgré eux jouer les arbitres.
Le marché du médicament OTC va-t-il finir par poser un genou à terre ? Depuis plusieurs années, les décisions techniques jugées incohérentes et contraires à son développement par l’Afipa (Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable) s’accumulent, alors que le bilan français en matière d’automédication est peu glorieux vis-à-vis de ses voisins européens. A contre-courant même des politiques européennes. Les dernières décisions en date en auraient déjà mis d’autres K.O. : relistage des médicaments à base de codéine et de ses dérivés, interdiction de publicité pour les antirhumes à base de pseudo-éphédrine, disparition programmée des marques ombrelles… Et maintenant, de nouvelles recommandations d’étiquetage pour les médicaments solides oraux de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) émises fin février. Cogne, cogne… « Il n’y a aucune limite à la bêtise », s’insurge Pascal Brossard, vice-président de l’Afipa, qui ne mâche pas ses mots contre ces recommandations rendant moins visible le nom de marque au profit de la dénomination commune, avec pour lui un risque de complexité et de confusion auprès de patients qui, dans leur pratique d’automédication, ne retiennent que la marque. « Ces recommandations sont uniques en Europe, personne n’a osé faire une mesure aussi stupide et les autres pays européens sont consternés par ce qui se passe en France », insiste-t-il. L’Afipa appuie son propos par une enquête menée en avril avec OpinionWay. Dans cette étude, 500 personnes étaient exposées à un linéaire de packs actuels de médicaments d’automédication, 500 autres à un linéaire de packs version « ANSM ». Ces derniers auraient été à l’origine de près de 25 % d’erreurs. « Cette mesure sans justification scientifique n’est que l’expression d’une volonté dogmatique de supprimer les marques, alors qu’elles sont des signes distinctifs et de réassurance pour les patients », ne décolère pas Pascal Brossard. De son côté, l’ANSM se défend de vouloir mettre en place des « paquets neutres », l’objectif étant bien de « faciliter l’identification du médicament et d’améliorer la visibilité, la lisibilité et la compréhension de son étiquetage, notamment des informations garantissant la sécurité des patients ». Répondant du tac au tac aux attaques de l’Afipa, elle ajoute que « les chartes graphiques et signes distinctifs (couleurs, visuels), qui sont des éléments nécessaires à l’identification et au bon usage, ne disparaîtront pas des étiquetages ». Elle précise aussi que les recommandations n’ajoutent pas d’informations par rapport aux mentions existant aujourd’hui sur les boîtes de médicament.
Enfin, l’ANSM rappelle qu’il ne s’agit que de recommandations, laissant le soin aux industriels de les suivre ou non. « C’est d’une grande hypocrisie, dénonce Daphné Lecomte-Somaggio, déléguée générale de l’Afipa. L’ANSM délivrant des autorisations de mise sur le marché, elle rend indirectement obligatoires ses recommandations ». Dans les faits, « les laboratoires n’auront pas d’autres choix que de s’y conformer », ajoute Pascal Brossard, si l’association est déboutée par le Conseil d’Etat de son recours en annulation sur le fond déposé fin mai.
Une association seule au monde
Bien que l’adoption de ces nouveaux conditionnements nécessite de nouveaux investissements industriels, l’Afipa est seule à être partie au combat. « C’est à elle de porter ce sujet qui lui est propre », répond de façon laconique le Leem (les entreprises du médicament) qui ne souhaite pas prendre position. Il est vrai que la marque a un rôle moins prépondérant pour un médicament de prescription médicale obligatoire. « Par ailleurs, les laboratoires ont fait le deuil de leurs marques avec leur générication », souligne Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Sans surprise, la marque n’est pas non plus un enjeu stratégique pour le Gemme (association des génériqueurs). « Nos spécialités sont déjà présentées en DCI et sont donc moins impactées par cet aspect des recommandations », explique Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du Gemme. Lors de son audition à l’ANSM le 26 novembre 2017 sur le sujet, cette association avait insisté sur la nécessité de pouvoir conserver des signes distinctifs pour éviter les confusions. « Les chartes graphiques, les visuels, les couleurs, les pictogrammes sont des éléments nécessaires à l’identification des médicaments et à leur bon usage ; la version finale des recommandations semble permettre leur utilisation », constate la déléguée générale. Dit autrement, ces nouveaux conditionnements, s’ils voient le jour, pourraient rendre heureux les génériqueurs et faire le lit du développement de leurs médicaments conseil sous DCI. « En mettant en avant la DCI, ils pourraient améliorer la perception de nos spécialités mais nous ne savons pas aujourd’hui dans quelle proportion », concède Catherine Bourrienne-Bautista.
Des syndicats partagés
Du côté des syndicats de pharmaciens, les positions sont partagées, la FSPF étant plutôt contre les nouvelles recommandations de l’ANSM et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) plutôt pour. « Elles vont introduire plus de troubles dans l’esprit des patients, la marque est à la fois un repère en santé publique et dans les achats spontanés. L’ANSM a poussé le balancier un peu trop loin, augmenter la DCI pour la repérer plus facilement pouvait suffire », estime Philippe Gaertner, regrettant que les pharmaciens n’aient pas été associés aux travaux de l’ANSM. Pour Gilles Bonnefond, président de l’USPO, c’est au contraire la position de l’Afipa qui est « exagérée » : « Le marketing ne doit pas l’emporter sur la sécurité des patients. » Critique à l’égard de la politique de l’Afipa menée ces dernières années, notamment avec l’utilisation des marques ombrelles, il prétend qu’elle récolte aujourd’hui ce qu’elle a semé. « L’Afipa a la responsabilité par son attitude de ce qui se passe en ce moment sur les arbitrages de l’ANSM », estime-t-il.
Les pharmaciens devront en faire plus
Reste que les pharmaciens n’auront alors d’autre choix que d’inscrire l’automédication dans un parcours de soins de premier recours sécurisé où leur accompagnement et leurs conseils seront plus que jamais indispensables ; c’est d’ailleurs l’un des dadas de l’USPO. Un projet aussi structurant qu’exigeant. Mais même si le conseil du pharmacien prend le relais, un paquet « neutre » risque d’enfoncer un peu plus le marché dans la morosité. « En avril, le marché du médicament OTC en prix public TTC sur les sorties officine enregistre sur 12 mois en année glissante une baisse de 1,8 % en valeur et de 2,4 % en unités, selon des données OpenHealth », indique Pascal Brossard. Et d’annoncer que cette mesure, ajoutée aux autres, risque sérieusement de remettre en cause l’avenir du secteur. Un désinvestissement au profit des autres produits du selfcare que sont les dispositifs médicaux et les compléments alimentaires n’est pas à écarter. Moins contraignants pour les industriels pour la mise sur le marché, ils sont en outre vendus dans d’autres circuits de distribution que l’officine…
À RETENIR
• L’ANSM a émis fin février des recommandations d’étiquetage pour les « médicaments solides oraux » : elles rendent moins visibles le nom de la marque au profit de la DCI.
• L’Afipa, qui représente les industriels de l’automédication, voit la mesure d’un très mauvais œil. Elle la juge complexe et confusante auprès des patients pour qui la marque est un moyen de repérage. L’association a même déposé une demande de suspension de ces recommandations, rejetée le 24 mai par le Conseil d’Etat. Le dossier est désormais étudié sur le fond.
• L’industrie pharmaceutique ne prend pas position.
• Les recommandations de l’ANSM pourraient être favorables aux médicaments conseil des génériqueurs.
REPÈRES
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Par françois pouzaud – Infographie : walter barros
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