- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Casse-tête autour des biosimilaires
Casse-tête autour des biosimilaires
Faute de publication d’un décret d’application attendu depuis 2015, les pharmaciens de ville sont exclus de la substitution des biosimilaires. Devant l’inertie du ministère de la Santé, le laboratoire Biogaran a mis les pieds dans le plat en incitant purement et simplement les officinaux à substituer. Sans attendre. Les syndicats souhaitent eux aussi que le dossier avance. Car il s’agit là d’un relais de croissance nécessaire à court terme.
Un seul décret vous manque et tout est bloqué. L’article L. 5125-23-3 du Code de la santé publique dispose que le pharmacien peut, sous conditions, substituer des médicaments biosimilaires (voir Repères p. 18). Ce texte prévoit l’adoption d’un décret d’application, notamment pour définir les conditions de substitution et d’information du prescripteur. Décret que la profession attend toujours. Pour comprendre pourquoi, il faut remonter à 2016. Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, annonce la transmission dudit décret au Conseil d’Etat. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) précise dans un avis publié en mai que « l’interchangeabilité, et non la substitution des médicaments biosimilaires avec des médicaments biologiques de référence, peut être envisagée, non seulement en initiation de traitement, mais également en cours de traitement ». Dans le langage courant substitution et interchangeabilité ont un sens identique. Mais pas pour l’agence qui considère que l’interchangeabilité est « l’acte médical par lequel le médecin prescrit un médicament biosimilaire », alors que la substitution est un acte pharmaceutique. Dès lors, l’ANSM estime, qu’outre l’hypothèse de l’initiation de traitement, le choix du médicament biosimilaire revient au prescripteur.
Au cours des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017, Marisol Touraine reprend cette position : « Aujourd’hui, le pharmacien peut substituer, au moment de l’initiation de traitement un biosimilaire, dès lors que le médecin prescripteur ne s’y oppose pas. » Depuis cette prise de parole, rien. Le projet de décret semble s’être volatilisé. « Cette situation est grotesque , tempête Philippe Besset, président fraîchement élu de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Le texte a été voté par le Parlement, le gouvernement doit prendre le décret dans un délai raisonnable sinon il s’expose à un contentieux ». Interrogée, la Direction générale de la santé (DGS) précise que « le décret d’application n’a pas été publié, compte tenu des positions divergentes des différents acteurs ».
Pour François Bocquet, pharmacien hospitalier, auteur d’ouvrages sur les biosimilaires, « il s’agit d’une question plus profonde. Ce décret pose la question de l’attribution des compétences, il se heurte à l’organisation des soins. En France, le médecin prescrit et le pharmacien délivre ». Laurent Filoche, président de l’Union des groupements des pharmaciens d’officine (UDGPO), analyse ce blocage comme le fruit d’un lobby des laboratoires, soucieux de protéger leur modèle économique. « Si les prix tombent trop vite, le marché risque de mourir », ajoute, de son côté, François Bocquet. A mots couverts, plusieurs connaisseurs du dossier évoquent également « le souhait de l’Assurance maladie de trouver une autre solution économique que celle retenue pour la substitution des génériques ; en pariant sur les médecins, le coût serait moins important ».
Un débat qui en rappelle un autre
Si les acteurs voient dans cette affaire des similarités avec les premiers débats sur les génériques qui remontent maintenant à 30 ans, la DGS le rappelle : un biosimilaire n’est pas un générique : « Les médicaments biosimilaires ne sont pas comparables aux spécialités génériques. Les matières premières utilisées, les procédés de production, les modes d’action, les procédures d’autorisation de mise sur le marché sont différents. » « Il est illusoire de penser que le vivant puisse créer deux molécules identiques. L’approche est différente », complète François Bocquet. Cet argument peine à convaincre les représentants des officinaux. « On ne peut pas publier un texte autorisant la substitution, créer un Répertoire, mettre en place la substitution à l’hôpital pour ensuite avancer un tel argument », s’insurge Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « En tant que professionnel de santé, spécialiste du médicament, le pharmacien est entièrement compétent pour réaliser dans les conditions légales cette substitution », affirme, quant à lui, Daniel Roederer, directeur des opérations France chez Biogaran.
Face à ce statu quo, le laboratoire Biogaran incite d’ailleurs à substituer les biosimilaires, estimant que l’article L. 5125-23-3 du Code de la santé publique est suffisamment précis pour entrer en vigueur immédiatement. Le laboratoire s’appuie sur une jurisprudence abondante reconnaissant qu’une loi en attente de décret d’application peut immédiatement entrer en vigueur si elle est suffisamment explicite. « Il revient au juge d’apprécier si ce texte est assez précis ; nous, nous estimons que c’est le cas », explique Daniel Roederer. Le laboratoire précise qu’une action en justice a été engagée. La réponse de la DGS ne s’est pas fait attendre : « Le laboratoire Biogaran a diffusé auprès des pharmaciens d’officine des communiqués les informant de façon erronée qu’ils pouvaient délivrer par substitution à un médicament biologique prescrit un médicament biologique similaire. Le laboratoire a été informé de sa mauvaise lecture des textes en vigueur et la Direction générale de la santé lui a demandé de cesser la diffusion de cette information erronée. » Philippe Besset et Gilles Bonnefond conseillent aux pharmaciens de « respecter la position de la DGS ».
Substituer, oui mais pourquoi ?
L’UDGPO a, pour sa part, choisi de convaincre le ministère en démontrant les économies générées. « Nous allons demander à nos adhérents de substituer, lors de l’initiation du traitement, Lovenox par Crusia. Cette expérimentation va durer un mois. Nous calculerons les économies générées. Les pharmacies ont déjà été choisies et constituent un échantillon représentatif », divulgue Laurent Filoche.
Se pose tout de même la question de la rémunération du pharmacien. « Aujourd’hui, le pharmacien n’a aucun intérêt à dispenser un biosimilaire à la place de la spécialité de référence. Le possible avantage est l’octroi de la remise grossiste au pharmacien », explique Philippe Besset. « Demain, à côté du décret, il faudra mettre en œuvre des conditions économiques similaires à celles prévues pour les génériques », concède le président de la FSPF. Mais pas pour Gilles Bonnefond : « Le modèle économique ne peut pas être le même que pour les génériques. La marge doit être identique, l’incitation financière ne doit pas être fondée sur une remise commerciale mais sur l’acte de suivi et d’accompagnement du patient ». Autre effet, cette substitution permettra également de rationaliser les stocks et les achats. « Demain, le pharmacien ne remplira plus son réfrigérateur de dix spécialités identiques », extrapole Philippe Besset.
A quand une évolution des règles de prescription ?
La publication du décret n’est pas la seule étape pour une substitution en toute légalité. « Le lobby pharmaceutique a réinventé le droit des marques », s’insurge Gilles Bonnefond. En effet, l’article L.5121-1-2 du Code de la santé publique dispose que le médecin doit prescrire un médicament biosimilaire en nom de marque et non plus comme pour les autres spécialités en dénomination commune internationale (DCI). « La situation est ubuesque, si le médecin n’a pas précisé la marque, l’ordonnance ne peut pas être exécutée », protestent d’une seule voix Philippe Besset et Gilles Bonnefond qui espèrent que le ministère reviendra rapidement à la raison. « Ce dossier traite de questions très politiques liées au modèle économique des laboratoires, de la répartition des compétences entre les professionnels de santé. Il est certain que cette crise ne se résoudra pas rapidement », parie François Bocquet.
À RETENIR
• Depuis 2015, les officinaux attendent la publication du décret d’application. En attendant, ils sont toujours exclus de la substitution des biosimilaires.
• Biogaran incite cependant les pharmaciens de ville à substituer.
• La Direction générale de la santé conteste formellement l’interprétation du laboratoire.
• L’UDGPO lance une expérimentation sur un mois en demandant à ses adhérents de substituer systématiquement Lovenox par Crusia. But : démontrer les économies générées.
REPÈRES
BIOSIMILAIRES : LES PARTICULARITÉS D’UNE SUBSTITUTION
Par ANNE-CHARLOTTE NAVARRO – INFOGRAPHIE : LAURENCE krief
- Enquête de l’Anepf : la vie des étudiants en pharmacie, pas si rose
- Économie officinale : faut-il ressortir les gilets jaunes et les peindre en vert ?
- Prescription des analogues du GLP-1 : les médecins appellent au boycott du dispositif imposé
- Bon usage du médicament : doit-on oublier la dispensation adaptée ?
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Prevenar 20, Voltarène, Talzenna… Quoi de neuf côté médicaments ?
- Biosimilaires : 10 milliards d’économies potentielles, un enjeu majeur pour l’officine
- Rémunérations forfaitaires 2024 : il reste deux semaines pour déclarer vos indicateurs
- Quétiapine en rupture de stock : comment adapter la prise en charge des patients ?
- Les médecins étrangers veulent un contrat pérenne
![Salaires : un premier échec dans les négociations de 2025](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/iStock-1173338399-680x320.jpg)
![Harcèlement sexiste dans l’équipe : l’employeur doit agir immédiatement](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/harcelement-680x320.jpg)