- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Ça ne va pas, docteur
Ça ne va pas, docteur
Déserts médicaux, accès direct à certaines professions, liberté d’installation remise en cause : autant de sujets qui rendent difficiles les négociations conventionnelles entre médecins et Assurance maladie. Car les médecins réclament une revalorisation de leurs tarifs mais ne veulent pas de nouvelles contraintes.
Nous sommes dans une période inédite et singulière », déclarait Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le 18 janvier dernier au Café Nile. Le contexte est en effet particulier. 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant, dont 657 000 patients en affection de longue durée (ALD). Cette situation est due à un « “effet ciseau” lié, d’un côté, au vieillissement de la population et au poids croissant des maladies chroniques et, de l’autre, aux tensions sur la démographie médicale », explique Thomas Fatôme, directeur général de la caisse de l’Assurance maladie sur ameli.fr (interview du 25 novembre 2022).
Refus de régulation
Un « effet ciseau » qui conduit les parlementaires à proposer des mesures coercitives pour que les médecins s’installent dans les zones sous-denses. Depuis plusieurs mois, des députés et sénateurs déposent des propositions de loi en ce sens. Sans succès jusqu’à présent. Dernière en date : celle des députés du groupe de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), déposée le 17 janvier, qui propose notamment de « flécher l’installation des médecins – généralistes et spécialistes – et des chirurgiens-dentistes vers les zones où l’offre de soins est insuffisante ». Les médecins refusent catégoriquement toute régulation. Et le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, aussi : « Ça ne marche pas et c’est contre-productif », a-t-il déclaré en octobre 2022.
Le gouvernement mise en effet sur une augmentation du temps médical et l’exercice coordonné. Les assistants médicaux sont l’une des clés pour libérer du temps médical. 4 000 exercent déjà dans des cabinets. Dans ses vœux aux soignants du 6 janvier 2023, le président de la République a annoncé faciliter la création de 6 000 postes d’assistants supplémentaires d’ici fin 2024. Mais ce n’est pas ce point qui crispe fortement les médecins : c’est celui de la coopération interprofessionnelle et du transfert de tâches.
Première étincelle : la « proposition des ordres de santé pour améliorer l’accès à l’offre de soins grâce à l’interprofessionnalité » remise le 13 octobre 2022 par le Comité de liaison des institutions ordinales (Clio) santé au ministre de la Santé, dans le cadre du volet santé du Conseil national de la refondation (CNR). Les ordres, dont celui des médecins, proposent notamment de développer les partages d’actes et d’activités de ces derniers vers les professionnels de santé exerçant au sein d’équipes de soins primaires et de proximité pour dégager du temps supplémentaire au médecin traitant. Ils préconisent aussi, si le patient n’a pas de médecin traitant, une première prise en charge par d’autres professionnels de santé avant de l’orienter vers un médecin traitant.
Plus de moyens
Mais c’est la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist (Renaissance) visant à un accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes, qui a mis le feu aux poudres. L’adoption du texte en première lecture par les députés le 19 janvier conduit les six syndicats médicaux représentatifs1 à quitter la table des négociations conventionnelles. « Une profession en souffrance ne peut accepter des contraintes supplémentaires, nous avons besoin de moyens pour prendre en charge les vrais besoins de santé de la population. Seul le médecin généraliste traitant peut faire face à cet objectif, si et seulement si on lui en donne les moyens. A l’inverse, si le gouvernement persiste, la catastrophe sanitaire est assurée ! », résume MG France.
C’est dans ce climat explosif, émaillé de grèves, que les négociations conventionnelles se déroulent. Commencées le 9 novembre 2022, elles doivent aboutir le 28 février 2023. La lettre de cadrage fixe quatre axes pour la future convention : améliorer l’accès aux soins de tous et lutter contre les déserts médicaux ; renforcer la qualité des soins et soutenir l’action des médecins en matière de santé publique ; garantir un médecin traitant à chacun, en libérant du temps médical ; poursuivre le développement du numérique en santé. Et côté financier ? « Il faut faire évoluer le modèle économique, sans doute diversifier les modes de rémunération, toujours avec l’idée de permettre aux médecins de s’organiser pour répondre aux besoins de santé de leur territoire », répond le directeur général de l’Assurance maladie 2. Pour autant, aucun montant financier n’a été avancé par l’Assurance maladie.
Or, les médecins veulent avant tout plus de moyens. Leur revendication la plus médiatisée est le doublement du tarif de la consultation, soit 50 € contre 25 € actuellement. Une demande portée par le Syndicat des médecins libéraux (SML), la Fédération des médecins de France (FMF) et l’Union française pour une médecine libre-syndicat (UFMLS). Ainsi que par le collectif Médecins pour demain, qui n’est pas un syndicat mais est très présent sur les réseaux sociaux. Tous les syndicats ne sont pas d’accord avec cette revendication. La CSMF souhaite une hiérarchisation des consultations à quatre niveaux selon le type de consultation. Les tarifs seraient de 30 €, 60 €, 75 € et 105 €. MG France n’indique pas de montants précis mais veut que la revalorisation des tarifs tienne compte de l’inflation. Quoi qu’il en soit, tous considèrent qu’une hausse des consultations est incontournable. Au 19 janvier, l’Assurance n’avait fourni aucun chiffrage sur le sujet. Un point qui inquiète les syndicats compte tenu de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour les soins de ville fixé pour 2023 à + 2,9 %, une progression en dessous de l’inflation.
Sans contrepartie
Autre grande préoccupation de la profession : les contre-parties souhaitées par l’Assurance maladie. Dans une interview au journal Le Monde du 20 septembre 2022, Thomas Fatôme avait pourtant annoncé la couleur : « Comme les médecins le disent eux-mêmes, il faut parler de “droits et devoirs”, tout comme de “revalorisations et de contreparties”. Les médecins viennent à la table avec leurs demandes et nous avons les nôtres pour améliorer l’accès aux soins. » L’Assurance maladie propose donc un « contrat d’engagement territorial » optionnel. Le principe ? Le médecin généraliste traitant ou spécialiste signant ce contrat devra s’engager dans une action de son choix au sein de quatre thématiques, à savoir l’accès aux soins ou aux soins urgents, l’accès financier pour les patients et l’engagement populationnel. Par exemple, un médecin généraliste sera d’accord pour atteindre un niveau minimal de file active de patients ou bien devenir le médecin traitant de nouveaux patients adressés par la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Dans le cadre de l’accès aux soins urgents, il pourra opter pour la permanence des soins ambulatoires (PDSA), le service d’accès aux soins (SAS) ou ouvrir son cabinet le samedi matin. L’engagement populationnel peut consister à devenir maître de stage ou encore à participer à « une réserve libérale sur sollicitation de l’agence régionale de santé, en cas de besoins de renfort exceptionnel (périodes épidémiques ou de vacances scolaires) ». Certains items sont légèrement différents pour les spécialistes : ainsi leur cabinet doit être ouvert cinq jours par semaine. « Le contrat d’engagement populationnel me va bien, a expliqué Franck Devulder au Café Nile, mais le degré à atteindre pour les cases à cocher est jugé inacceptable par les médecins de terrain. C’est vécu comme du mépris. » De son côté, MG France avait déjà averti le 12 janvier que des lignes rouges ne devaient pas être franchies, dont des « contreparties irréalisables ou dangereuses pour la santé physique et mentale des médecins ». En fait, ces derniers estiment que l’on ne peut pas leur demander de faire plus même si leur travail est valorisé financièrement. MG France a ainsi décidé le 22 janvier de lancer le mouvement « Non aux heures supplémentaires » (voir encadré).
Mais que proposent alors les médecins pour faire face aux problèmes d’accès aux soins et de médecin traitant ? En premier lieu, la possibilité pour tous les praticiens d’embaucher un assistant médical et une simplification administrative afin de dégager du temps supplémentaire. La CSMF mise sur la coordination et les protocoles passés entre médecins, pharmaciens, infirmiers, etc. sur un bassin de vie, afin de ne pas déroger à la qualité des soins. MG France n’a pas de réelle proposition : « Nous voulons travailler avec les autres professionnels de santé mais dans le cadre d’une équipe de soins primaires, d’une maison de santé pluriprofessionnelle, d’un centre de santé », affirme sa présidente. Ce qui n’est pas loin, finalement, de ce que proposent les autres professionnels de santé.
Rester au centre des décisions
Pour les patients sans médecin traitant, MG France estime qu’il y a « probablement des choses à inventer avec des équipes, mais il faut forcément qu’il y ait un médecin généraliste dans le circuit qui prenne une fonction proche de celle du médecin traitant en attendant que quelqu’un vienne s’installer ». Le nœud du problème est finalement là : les médecins veulent être présents dans l’équipe dès l’entrée dans le parcours de soins, alors que les effectifs ne le permettent pas. Et le nombre de médecins devrait encore diminuer jusqu’en 2035.
Au total, les médecins se sentent « humiliés », pour reprendre un terme de Franck Devulder. MG France « s’insurge contre l’abandon programmé du dispositif “médecin traitant” ». Ce qui est loin d’être le cas. Mais dans ce bras de fer entre médecins, Assurance maladie et gouvernement, le choix des mots de chaque partie prenante joue un grand rôle. Il faudra surtout trouver les termes justes pour les patients.
1 CSMF, FMF, MG France, SML, union syndicale Avenir Spé-Le Bloc, UFMLS.
2 Site ameli.fr, 25 novembre 2022.
Grèves et manifestations
– 14 octobre 2022 : les internes en médecine descendent dans la rue pour protester contre la 4e année d’internat en médecine générale.
– 1er et 2 décembre 2022 : fermeture des cabinets libéraux à l’appel de tous les syndicats de médecins.
– 2 au 8 janvier 2023 : le collectif Médecins pour demain demande la fermeture des cabinets en signe de protestation.
– 5 janvier 2023 : manifestation à Paris des médecins du collectif et de plusieurs syndicats : Syndicat des médecins libéraux (SML), Fédération des médecins de France (FMF), Union française pour une médecine libre-syndicat (UFMLS) et Jeunes Médecins. 4 000 personnes sont présentes, selon les organisateurs.
– 16 janvier 2023 : la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) annonce lancer la grève de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) et de la permanence des soins (PDS) en établissements de santé à compter du 23 janvier pour une durée illimitée.
– 22 janvier 2023 : MG France appelle à la grève « des heures supplémentaires », notamment à l’arrêt de la PDSA sans repos compensateur indemnisé et de la participation au service d’accès aux soins (SAS) et à la fermeture des cabinets plus tôt le soir et le samedi matin.
À RETENIR
Les médecins sont vent debout contre toute régulation de l’installation et le transfert de tâches à d’autres professionnels de santé.
Dans le cadre des négociations conventionnelles, les syndicats médicaux réclament une revalorisation des actes et davantage de moyens financiers. Ils ne veulent pas de « contreparties » supplémentaires.
L’Assurance maladie n’a fourni aucun chiffrage et souhaite mettre en place des contrats d’engagement territorial.
Le 19 janvier, les syndicats ont quitté la table des négociations en raison de l’adoption de la proposition de loi sur l’accès direct à certaines professions.
- Enquête de l’Anepf : la vie des étudiants en pharmacie, pas si rose
- Économie officinale : faut-il ressortir les gilets jaunes et les peindre en vert ?
- Prescription des analogues du GLP-1 : les médecins appellent au boycott du dispositif imposé
- Bon usage du médicament : doit-on oublier la dispensation adaptée ?
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Quétiapine en rupture de stock : comment adapter la prise en charge des patients ?
- Les médecins étrangers veulent un contrat pérenne
- Ménopause : qu’attendre des traitements laser contre la sécheresse vaginale ?
- Nature Care, gamme naturelle pour le soin des plaies
- Pharmaciens et IA : l’ère du professionnel augmenté
![Bilans de prévention : pas si simples !](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/07/article-defaults-visuel-680x320.jpg)