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Bernard Kouchner : « Je crois beaucoup à un tarif de référence appliqué aux génériques »

Publié le 27 octobre 2001
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En phase finale de négociations avec l’officine, le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, a accepté de commenter votre actualité professionnelle. Paroles de ministre.

« Le Moniteur » : Lors des négociations avec les représentants de l’officine, vous avez proposé une baisse de 40 centimes du forfait et une incitation de 1 F pour chaque boîte de générique vendue. Sur quels critères ? Est-ce une sanction ?

Bernard Kouchner : Nous avons signé en 1998 un accord avec les pharmaciens qui prévoyait une stabilité de la rémunération en 1999 et une substitution de médicaments princeps par des génériques, permettant une baisse du coût moyen des groupes génériques pour la Sécurité sociale de 10,5 %. En contrepartie, la marge des pharmaciens a été réformée et des incitations financières ont été données à la substitution. Lorsqu’on fait aujourd’hui le bilan de cet accord, on constate que la rémunération des pharmaciens a progressé de 3 milliards de francs, soit 10 %, en 1999 et 2000, et que l’objectif génériques n’a pas été atteint (baisse du coût de l’ordre de 5 %). Nous souhaitons donc appliquer l’accord qui prévoyait un ajustement de la marge dans ce cas. Les 40 centimes retenus, qui sont le résultat de la négociation avec les syndicats de la profession, correspondent à 1 milliard, soit un tiers de la progression réelle de la marge. Ces 40 centimes se décomposent, techniquement, en 30 centimes pour tirer les conséquences de la forte progression de la marge, et 10 centimes compte tenu de la non-réalisation de l’objectif génériques. Or le protocole prévoyait 30 centimes d’ajustement sur ce seul point…

La mise en place d’un objectif individuel par le biais d’un forfait supplémentaire de 1 F par boîte de générique en lieu et place d’un objectif national est-il, d’une part plus juste, et d’autre part plus efficace ?

Compte tenu du fait que la substitution a démarré, même si elle n’a pas totalement atteint ses objectifs chiffrés contractuels, nous avons proposé aux professionnels, qui l’ont accepté, une marge supplémentaire de 1 F par boîte de génériques, qui compensera intégralement la diminution de 10 centimes lorsque le nouvel objectif, à savoir la substitution d’une boîte sur deux sur le champ du Répertoire, sera atteint. Cette incitation m’apparaît plus juste que le système collectif précédent, puisque les pharmaciens qui substituent plus que l’objectif n’auront pas à supporter la baisse supplémentaire de 10 centimes et obtiendront au contraire une augmentation de leurs revenus. Elle me paraît constituer une incitation efficace. La discussion avec les syndicats est en phase finale, pour une prochaine application sur les terrain, je l’espère (voir encadré p. 12). Dans une période d’innovation thérapeutique, et je m’en félicite, qui induit une progression forte des dépenses, je sais pouvoir compter sur les pharmaciens pour développer le marché des génériques.

Est-il crédible de pouvoir atteindre un développement ambitieux des génériques sans action contraignante vis-à-vis des patients qui les refusent et des prescripteurs hostiles ?

Je ne crois pas qu’on doive contraindre. En revanche, il est de notre responsabilité à tous, pouvoirs publics et Assurance maladie, médecins et pharmaciens, d’expliquer l’intérêt des génériques aux patients. Nous préparons actuellement une campagne de communication, en liaison avec la CNAMTS, la CANAM, la MSA et la Mutualité française, sur les génériques à destination du grand public pour expliquer, rassurer et inciter à leur utilisation. Elle sera prête au premier trimestre 2002.

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La prescription en DCI se rapproche à grands pas. A quand le tarif de référence ?

La prescription en DCI est prévue dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui arrive en discussion au Parlement le 23 octobre. Elle devrait donc être effective dès le 1er janvier 2002. En ce qui concerne le tarif de référence, j’y suis foncièrement hostile s’il s’agit de l’appliquer à des médicaments non substituables. Ce serait en effet très injuste pour les patients et très dangereux en terme de santé publique. En revanche, je crois beaucoup à l’application du tarif de référence aux groupes génériques : le patient serait remboursé sur la base du générique le moins cher, à lui de décider s’il veut payer plus pour la marque. Nous discutons actuellement de cette mesure au sein du gouvernement. Rien n’est décidé.

La libéralisation des remises commerciales constitue la pierre d’achoppement des négociations Etat-Officine en raison du blocage de l’industrie. Quelle est votre position ?

La libéralisation des remises est une question difficile. D’un côté, certains disent qu’il s’agit d’un accord entre différents intervenants privés, et que l’Etat n’a pas à s’en mêler. De l’autre, les officines ne sont pas des commerces comme les autres, et n’ont pas vocation à le devenir. C’est pour garantir leur spécificité, et parce que le prix total du médicament est supporté par la collectivité, que la réglementation encadre les tarifs ou les marges. Il faut donc poursuivre les discussions et ne pas décider dans la précipitation.

A propos de l’évaluation du service médical rendu (SMR) et du récent plan médicament, on sait que les baisses de prix et de taux de remboursement n’auront qu’une portée limitée sur les dépenses. Faut-il envisager des déremboursements ou est-ce impensable vis-à-vis des assurés ?

Là encore, je crois que tout est affaire d’explication et de conviction. Je suis favorable au déremboursement des médicaments à SMR insuffisant, car il faut concentrer nos moyens sur ceux, innovants, pour lesquels il est le plus grand. Pour autant, je crois qu’un déremboursement trop rapide, du jour au lendemain, est impossible. Il faut justifier nos choix auprès des patients et permettre aux praticiens de s’adapter. La moindre prise en charge de ces produits par la collectivité, par le jeu conjugué des baisses de prix et des baisses de taux, est une première étape dans cette direction.

Les officinaux se voient de plus en plus comme des auxiliaires de la Sécurité sociale, notamment avec la surcharge administrative créée paradoxalement par SESAM-Vitale. Comment stopper cette dérive ?

Les pharmaciens ont une longue expérience de la télétransmission, et je voudrais leur rendre hommage. Je crois que SESAM-Vitale, comme tout nouveau système, a connu quelques difficultés compréhensibles pour un projet ambitieux. Il me semble que, d’ici quelque mois, il fonctionnera bien, apportant un confort aux pharmaciens et aux patients.

La loi Murcef votée le 28 juin ouvre la porte à des holdings de pharmacies qui pourraient aboutir à terme à la création de chaînes. Qu’en pensez-vous ?

Un texte permettant l’entrée de capitaux extérieurs dans les sociétés d’exercice des professionnels libéraux est effectivement en cours de discussion. Ce texte n’est pas spécifique aux professions de santé, mais je sais qu’il suscite quelques interrogations dans la profession. C’est pourquoi j’ai saisi le secrétariat d’Etat aux Petites et Moyennes Entreprises pour faire le point sur ce sujet afin de prendre les dispositions, soit au niveau de la loi, soit au niveau réglementaire, qui permettront de protéger l’exercice de la pharmacie si nécessaire.

On parle de plus en plus d’assurance qualité dans la santé. Passe-t-elle uniquement par la formation continue obligatoire ?

L’assurance qualité peut prendre différentes formes, mais, pour l’essentiel, c’est à la profession de proposer et de mettre en place des processus d’assurance qualité dans les secteurs où cela peut apparaître nécessaire. La formation continue participe bien entendu de ce processus. Un amendement porté à la fois par l’opposition et la majorité vient d’être adopté en première lecture, à l’Assemblée nationale, du projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé. Cet amendement met en place une formation pharmaceutique obligatoire. J’ai appuyé cette initiative parlementaire dont je ne peux que me féliciter.

La gestion de la délivrance des stupéfiants paraît de plus en plus délicate. Quelles sont les évolutions à prévoir pour la délivrance des antidouleurs ?

Je suis très sensible à l’investissement des pharmaciens dans la prise en charge de la douleur des malades traités chez eux. L’accès aux soins visant à soulager la douleur est un droit de toute personne et ce droit fondamental est inscrit dans le projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé. Il serait paradoxal que notre réglementation, qui vise une sécurité d’utilisation, apparaisse comme un frein à l’accès aux antalgiques majeurs nécessaires aux malades. Aussi, mes services étudient attentivement les aménagements et simplifications possibles. Les durées de prescription ont déjà été harmonisées à 28 jours pour les médicaments les plus prescrits en ville. D’autres propositions, transmises notamment par l’Académie nationale de pharmacie, sont en cours d’examen.

On parle de catastrophe annoncée en matière de démographie médicale. Moins pour la pharmacie pour laquelle la pénurie de personnel paraît pourtant similaire…

Je ne crois vraiment pas que la situation démographique des pharmaciens soit similaire à celle des médecins. Les structures des deux professions sont fondamentalement différentes du point de vue de l’exercice. Par ailleurs, les officines sont soumises à une régulation démographique que ne connaissent pas les médecins et qui garantit la couverture officinale. Je ne crois donc pas que nous soyons au bord d’une crise, même si je suis conscient que cette question devra faire très prochainement l’objet d’un travail avec les professionnels.

Le collectif des groupements fait pression sur l’industrie

Le dernier round de négociations, la semaine dernière, autour de la libéralisation des remises n’a rien donné suite au nouveau refus du Syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP) exprimé lors d’une rencontre avec les représentants de l’officine et de la répartition, le 16 octobre. Selon la dernière proposition gouvernementale, une libéralisation partielle serait imaginable, assortie d’une contribution des officinaux à l’assurance maladie en cas de dépassement des plafonds de remise (voir Le Moniteur n° 2416). Le ministère organise donc, lundi, une véritable confrontation entre tous les protagonistes de la chaîne de distribution du médicament, présentée comme « un ultime tour de table ». Selon les syndicats officinaux, le SNIP reste hostile à toute mesure susceptible de favoriser le développement des génériques. Jugeant la position du SNIP « inacceptable » et pour pour faire pression sur l’ensemble de l’industrie pharmaceutique, le collectif des groupements qui rassemble 10 000 confrères a mis en place deux mesures : l’arrêt de toutes les transmissions de données statistiques à l’industrie et une interruption sine die de toutes les commandes en direct aux laboratoires.