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Après une agression…

Publié le 5 septembre 2013
Par Marie Luginsland
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Une insulte, un braquage… Les pharmaciens et leurs équipes reprennent ensuite le travail comme si de rien n’était. Erreur. Le traumatisme reste et peut nuire au bon fonctionnement de l’officine.

Depuis décembre dernier, nous relevons une hausse de 16 % des agressions dans les commerces », note Eric Phelippot, d’après l’observatoire national de la délinquance 2012. Ce criminologue intervenant au Centre national de la formation-conseil en entreprises sait de quoi il parle. Parmi les cibles de ces agressions, les titulaires et leurs collaborateurs, qui, bien que sous le choc, n’en poursuivent pas moins leur activité. Avec pour seul mot d’ordre « business as usual », ils minimisent le traumatisme et prennent le risque de voir resurgir l’événement sous forme de troubles psychiques et de symptômes psychosomatiques.

Contenir le choc

Eric Phelippot énonce ces effets sur la victime : « faible estime de soi, sentiments de honte et de culpabilité, flash-back, stress pouvant aller jusqu’à des pertes de mémoire, des troubles obsessionnels et des phobies ». « Si elle n’est pas prise en charge psychologiquement, la victime peut se renfermer sur elle-même, et un état de stress posttraumatique se cristalliser. D’où l’importance dans l’immédiat, sur le terrain, de lui manifester du soutien », explique Jeanne Chevallier, psychologue clinicienne auprès du cabinet Psya. Ce cabinet propose une prise en charge rapide dans le cadre du programme « Gestion de crise » proposé aux entreprises confrontées à un événement exceptionnel (décès brutal, accident grave du travail, braquage, hold-up, agression physique, etc..). Les conséquences psychologiques d’une agression seraient sous-estimées. La psychologue conseille des gestes d’empathie immédiats à l’égard de la victime en puisant dans les ressources collectives. « Face à un état de sidération ou d’agitation, il ne faut pas laisser rentrer seule une personne qui vient d’être agressée », conseille Jeanne Chevallier.

Valoriser le collectif

Un premier contact téléphonique avec un psychologue clinicien permet de faire une évaluation immédiate de la situation. Un mini-plan Orsec psychologique en quelque sorte ! Les psychologues interviennent ensuite in situ dans les 48 à 72 heures. L’objectif est de contenir les réactions individuelles et collectives. « Nous aidons les victimes à verbaliser l’événement et normalisons certaines émotions », détaille Jeanne Chevallier. Le débriefing collectif permet quant à lui de faire retomber la pression. Dans ce partage des émotions, le psychologue désamorce certains ressentis ou incompréhension qui émergent de l’équipe. « Ce temps collectif permet de revaloriser le groupe et de renforcer les liens sociaux, alors que les victimes peuvent se sentir déshumaniser lors de l’agression », explique Jeanne Chevallier.

Accompagner la victime

Dans tous les cas, le titulaire détient un rôle essentiel. Il doit entendre la souffrance des salariés et leur confirmer son soutien, en allant même jusqu’à proposer à la victime de l’accompagner pour porter plainte. Il doit aussi prévoir la reprise du travail dans les meilleures conditions possibles. « Il ne faudra pas exiger que le collaborateur fasse seul l’ouverture de la pharmacie le lendemain de l’agression ! En tout état de cause, il convient de lui accorder du temps et de comprendre l’existence de certains symptômes », indique Jeanne Chevallier. L’hypervigilance, les sursauts ou encore les difficultés de concentration s’atténuent rapidement si les personnes sont prises en charge. Il ne s’agit ni de se focaliser sur l’événement traumatique, ni de l’éviter dans les conversations. Une règle de conduite simple consiste à laisser la victime s’exprimer. Dans une démarche « proactive », elle définira ses besoins dans la réorganisation de son poste de travail. (horaires, garde, emplacement de la caisse…).

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Faire appel à l’Ordre

A l’échelle de la profession, la recrudescence des actes de violence a conduit l’Ordre à mettre en place un dispositif. Chaque département compte désormais un référent sécurité. « Ce titulaire intervient dès l’agression pour accompagner ses confrères sous diverses formes : aide aux démarches – l’Ordre pouvant se constituer partie civile -, gestion de son remplacement s’il est en ITT par exemple… Le référent est également en relation avec un correspondant départemental de la police ou de la gendarmerie. Des réunions ont lieu généralement tous les deux mois pour faire le point sur la situation », énumère Alain Marcillac, « Monsieur Sécurité » à l’Ordre national des pharmaciens. Dans ce soutien de proximité, Geneviève Besse, installée à Epinay-sur-Orge (Essonne), n’hésite pas à user d’autorité pour interpeller les pouvoirs publics et les élus locaux. La titulaire qui compte 25 ans de terrain, vient de soutenir un confrère de Grigny (Essonne) qui s’est fait agressé quatre fois en deux mois. « Comme nous connaissons les titulaires, nous pouvons identifier leurs besoins et, le cas échéant, quand la banque ou l’assurance font défaut, débloquer les fonds sociaux de l’Ordre. »

Témoignage

Organiser la résistance entre confrères

Jean-Bernard Poupart, titulaire à Bar-le-Duc (Meuse)

Toute l’équipe – 7 personnes au total – était sous le choc et nous avons beaucoup échangé avec le personnel pour dédramatiser la situation. » Victime de deux agressions en moins de six mois, dont la première à l’automne dernier à coups de crosse de revolver ayant entraîné une ITT de deux mois, Jean-Bernard Poupart est toujours suivi par son médecin pour gérer ses angoisses. Installé depuis 1985 à Bar-le-Duc, le titulaire a décidé d’entrer en résistance. Mais pas seul. Avec le soutien du procureur de la République et du directeur départemental de la sécurité, il a réuni au printemps ses confrères et les médecins prescripteurs de sa circonscription. « L’objectif était de définir une ligne de conduite commune », expose le pharmacien, qui a eu un vif différend avec un toxicomane lors de sa seconde agression. Il a ainsi été convenu que face à un comportement agressif d’un patient, le pharmacien se réserve le droit de refuser la délivrance en en informant le prescripteur et en déposant une main courante.

« Il ne faut pas laisser les auteurs de ces faits empiéter sur le territoire de l’officine. Le titulaire doit rester ferme, ne pas céder aux intimidations et s’imposer », énonce Jean-Bernard Poupart, ajoutant qu’en ce qui le concerne « c’est désormais tolérance zéro ! ». Il affirme par ailleurs sa volonté de poursuivre sa concertation avec ses confrères et prévoit d’autres réunions d’information dans divers points du département.