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« Anticipez ! »
Roselyne Bachelot, qui a l’âge du « Moniteur », reste profondément pharmacienne. Ce qui n’empêche pas notre ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports de vouloir bousculer l’officine d’aujourd’hui. Pour son grand bien, assure-t-elle !
Le Moniteur : Pourquoi avez-vous choisi la pharmacie ?
Roselyne Bachelot : J’avais profondément envie de faire ce métier. Certains jeunes choisissent parfois une orientation professionnelle un peu par hasard après le bac, vers 17, 18 ans. Pour moi, au contraire, c’était un choix mûrement réfléchi. Je me suis mariée très jeune, mon mari démarrait des études de pharmacie. A l’époque, pour nous, il n’était pas question d’être entretenus par nos parents. J’ai donc commencé à travailler comme visiteuse médicale. Il était convenu que je reprendrais mes études plus tard. A 30 ans, j’ai arrêté de travailler pour commencer mes études de pharmacienne.
Vous vous êtes sacrifiée ?
Pas du tout ! Ça m’a beaucoup apporté d’avoir été salariée dans une entreprise, d’avoir dû ramener un salaire à la fin du mois. Je crois que c’est un atout, quand vous faites par la suite une carrière politique, d’avoir cette expérience. Cela vous donne une grande force. Je suis donc entrée en officine, c’était un choix à la fois affectif et de raison. Lorsque l’on décide, à l’âge que j’avais à l’époque, avec les difficultés que cela représente, de s’asseoir sur le banc d’une fac et de faire des études très difficiles, ce n’est pas gagné d’avance. Et, finalement, j’y suis arrivée et je suis même sortie major de ma promotion, c’était un grand bonheur.
Et la politique alors ?
Je deviens docteur en pharmacie et, en même temps, j’entame une carrière politique : je me fais élire pour la première fois conseillère générale du Maine-et-Loire. Je vous assure que j’étais un mouton à cinq pattes dans ma promotion, j’avais 15 ans de plus que tous mes condisciples, et ma photo sur les panneaux électoraux…
Qu’est-ce qu’a apporté l’officinale à la femme politique ?
Cela m’a tout simplement permis d’entrer dans la carrière politique ! Quand j’ai dit à mon père, qui était lui-même homme politique, que je voulais suivre son exemple, il ne s’y est pas opposé à condition que je me présente dans le secteur le plus difficile de la ville d’Angers, où, à l’époque, le Parti socialiste faisait 60 % ! Il ne voulait surtout pas que l’on puisse dire que j’avais été élue parce que j’étais sa fille. Si j’ai réussi à me faire élire, c’est sans doute aussi grâce à ce métier que j’exerçais au coeur du quartier le plus populaire d’Angers. J’avais, en tant que pharmacienne, non seulement un rôle scientifique et commercial, mais aussi un rôle social. Le pharmacien, on pousse sa porte quand on veut, il a fait des études supérieures, c’est quelqu’un en qui on a confiance, mais il est totalement accessible. On peut lui demander un conseil très élaboré, une photocopie, un conseil conjugal ou de changer le sparadrap de son enfant. Mon métier de pharmacienne est vraiment formidable. Nous sommes des professionnels de haute compétence tout en étant en même temps très accessible. Finalement, c’est aussi une belle définition de la politique.
Aujourd’hui, conseilleriez-vous à des jeunes de faire pharmacie ?
Bien sûr ! Notre diplôme offre une formidable palette de métiers. Il y a l’officine, mais aussi la biologie, l’hôpital, la recherche, l’industrie, l’agroalimentaire… Le chômage est inexistant, on gagne bien sa vie et on a la possibilité d’exercer un métier intéressant, que demander de plus ?
Quel est votre meilleur souvenir de pharmacienne ?
J’ai évidemment beaucoup de souvenirs. Il n’y en a pas vraiment de meilleur, mais je me souviens notamment d’un homme, un jour, qui entre dans ma pharmacie. Il s’était profondément coupé la main. Il saignait tellement qu’il y en avait partout. Je panse sa plaie. Il me demande combien il me doit. Je lui explique que, dans une pharmacie, on ne fait pas payer les pansements. Le monsieur me dit : « Madame, toute peine mérite salaire », et il me tend… 1 franc ! Je l’ai encadré dans mon bureau.
Sincèrement, si aujourd’hui vous exerciez encore, est-ce que vous ne seriez pas inquiète, déboussolée, voire démoralisée ?
Non, je ne crois pas. Bien sûr, nous sommes dans un monde en mutation, et il faut perpétuellement s’adapter. J’ai toujours essayé d’anticiper, aussi bien dans ma pharmacie qu’en politique, un certain nombre de mouvements sociétaux. J’ai réalisé une création dans une grande surface à un moment où tout le monde disait que ce n’était pas viable. J’ai été une des premières pharmacies à être entièrement informatisées. Je crois que le pharmacien est armé, psychologiquement et intellectuellement, pour affronter ces mutations. Il faut essayer de les transformer en opportunités.
Si vous deviez vous réinstaller aujourd’hui, ce serait plutôt en miniréseau ou en indépendante ?
Je vais vous surprendre, mais je resterais indépendante !
C’est en contradiction avec vos discours actuels qui incitent les pharmaciens à se regrouper.
Ce choix est une question très personnelle, une question de caractère. J’ai toujours été très indépendante, avec un goût pour l’exercice personnel. J’aurais sans doute plus envie de privilégier le contact avec mes clients que la gestion d’une grande structure. D’autres préfèrent développer, ont des âmes de gestionnaire. Mais attention, cela ne veut pas dire que je serais seule, je trouve que l’exercice en solitaire est très difficile ! Dans ma première pharmacie, nous étions 3 associés et nous avions 4 assistantes.
La fameuse taille critique ?
Je pense, oui. Loin de moi l’idée que ce soit la seule solution, mais c’est une solution qui me convient.
Toujours dans la peau d’une pharmacienne installée, comment vous y prendriez-vous pour mettre en place le libre accès ?
Tout d’abord, je tiens à rappeler qu’il s’agirait d’une possibilité offerte aux pharmaciens, et non d’une obligation. Ceux qui ne souhaiteraient pas le faire ne seraient nullement forcés. Et puis, le pharmacien n’a jamais été derrière son comptoir comme dans une bunker. Dans mon officine, mes associés et moi refusions de rester derrière le comptoir. Cela troublait certains collaborateurs qui n’avaient pas l’habitude, mais je leur disais : « Attendez, ce n’est pas la ligne Maginot ». Je remarque d’ailleurs que souvent, dans les nouveaux agencements d’officines, les équipes ne restent plus derrière cette ligne de comptoir. Il y a souvent des plots unitaires, et le pharmacien baigne dans sa clientèle. Mais je reconnais que c’est plus facile à faire quand on a une surface assez importante.
Il faut, selon vous, aller plus au-devant des patients ?
Je le pense, oui, mais je ne veux rien imposer. Même si les médicaments sont en libre accès, le patient sait qu’il n’est pas dans un supermarché. Le conseil sera toujours aussi essentiel, que ce soit devant le comptoir ou au moment de régler.
Quels produits pourront être disponibles en libre accès ?
J’ai annoncé que j’étais favorable à ce principe. Maintenant, il faut que nous réfléchissions ensemble, avec l’Ordre et les syndicats, à une mise en oeuvre intelligente et déontologique. Certains médicaments pourront être en accès libre, d’autres ne le pourront pas.
Si vous vous projetez plus loin encore dans l’avenir, quelles sont les missions que l’on pourrait confier aux pharmaciens d’officine ?
Plusieurs missions m’apparaissent tout à fait importantes. Certaines ont d’ailleurs été largement anticipées. Les problèmes de démographie médicale et d’organisation du territoire nous montrent que l’exercice sanitaire ne peut plus être exercé de façon isolée. Il ne peut y avoir ni isolement horizontal, entre professionnels de même nature, ni isolement entre les différents professionnels de santé. Le rôle du pharmacien est fondamental, et il doit développer des partenariats avec les autres professionnels. Il faut qu’il y ait plus de relations avec les médecins, avec les infirmières, pour renforcer les réseaux de soins primaires. Le second élément, c’est évidemment le vieillissement de la population et le désir des personnes âgées et/ou dépendantes de rester à leur domicile. Beaucoup de pharmaciens ont déjà anticipé, et c’est une bonne chose. La France est le pays de l’OCDE qui dispose du plus faible nombre de lits d’HAD. Je veux donc permettre le développement de l’hospitalisation et du maintien à domicile. Dans ce domaine, le rôle du pharmacien va être tout à fait considérable.
Et sur les transferts de compétences entre médecins et pharmaciens ? Les prescriptions pharmaceutiques ?
Dans les 20 ans qui viennent, notre pays va devoir faire face à de vrais problèmes de démographie médicale. La réflexion sur la délégation de tâches entre médecins et pharmaciens doit être lancée.
Quid de l’environnement ?
Je n’ai pas attendu le Grenelle de l’environnement pour considérer que le pharmacien est aussi une sentinelle de l’environnement. Quel est le maillage le plus réussi, le plus cohérent que l’on ait sur notre territoire, si ce n’est le maillage officinal. En professionnel compétent, il pourra signaler tous les perturbants, faire partie des réseaux d’alerte, participer à la surveillance de la qualité de l’eau et de l’air, à celle des maladies émergentes, regarder ce qui se passe sur les nouveaux risques… Je suis chargée des questions de veille sanitaire et je suis consciente que le pharmacien à tous les outils pour en être un des acteurs. Enfin, et cela donne tout son sens à la ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports que je suis, la profession doit participer encore plus activement à la lutte contre le dopage, et plus largement contre les conduites addictives. Le pharmacien, c’est M. ou Mme Antidopage, parce que le dopage ne concerne pas seulement le sportif de haut niveau mais bel et bien tout le monde. Le sport n’est que le miroir grossissant des insuffisances et des déroutes de notre société. Le pharmacien peut, en expliquant le bon usage des médicaments, contribuer à empêcher ses dérives et ses mésusages.
Les Français ne sont malheureusement pas champion du monde de rugby. En revanche, ils restent les premiers consommateurs de médicaments, en particulier psychotropes. Que comptez-vous faire ?
Notre pays est effectivement un très grand consommateur de médicaments, et c’est loin d’être toujours bon pour la santé. Quand nous avons réfléchi aux franchises médicales, nous avons souhaité que l’effort porte sur les comportements les plus dérivants de notre système de soins, la consommation de médicaments en fait partie. C’est aussi une façon de responsabiliser les Français. Nous allons aussi en discuter avec les médecins, à la fois pour évaluer les pratiques professionnelles et pour améliorer la formation médicale. Sur ce point, le dernier rapport de l’IGAS a été parfaitement éclairant. J’en ai discuté avec le président de l’ordre des médecins de façon très confiante. Il faut avancer dans tous ces domaines.
Les médecins sont prêts à le faire ?
Non seulement ils sont prêts, mais ils sont aussi demandeurs. Sur un plus long terme, le dossier médical personnel devrait nous aider à faire baisser la surconsommation médicamenteuse. Les pharmaciens, avec le dossier pharmaceutique, donnent l’exemple. Grâce à lui, on peut voir qu’un certain nombre de produits ne sont pas adéquats, en raison d’interactions possibles ou d’effets iatrogènes importants. Le récent rapport que j’ai demandé aux trois inspections sur le DMP est assez dur, mais, en même temps, il établit sa nécessité dans un monde sanitaire de très haute technologie. Il faudra du temps pour le mettre en place, mais je veux le mener à bien en concertation avec tous les professionnels de santé. Nous sommes sur des réformes lourdes mais aussi sur des démarches de responsabilisation. Vous le voyez, il y a des chantiers en cours fondamentaux pour le monde médical de demain.
Est-ce que les femmes et les hommes politiques sont plus responsables en matière de consommation de médicaments ? Et quelle est votre recette pour rester en forme et tenir le rythme infernal d’une ministre ?
Je suis très peu consommatrice de médicaments. D’abord, je touche du bois, je dois avoir une santé de fer. Mais comme tout homme en bonne santé est un malade qui s’ignore, je me soigne même quand je ne le suis pas, par la prévention. C’est important. Et puis, je fais un métier passionnant, ce qui me permet de ne jamais perdre courage, de conserver l’amour de la vie et la volonté de continuer. Et quand je suis vraiment fatiguée, je m’accorde une grasse matinée, c’est ma recette magique à moi.
Et votre recette beauté ?
L’Eau Micronisée de La Roche-Posay.
La presse pro ? Indispensable !
Interrogée sur le rôle de la presse professionnelle en ces temps de mutations profondes, Roselyne Bachelot a été claire : « Elle est indispensable. Tout comme un homme politique doit lire Le Monde, L’Humanité, Le Figaro…, je n’imagine pas le pharmacien ne pas lire la presse professionnelle qui, d’ailleurs, à l’image du Moniteur des pharmacies, a su évoluer. Je trouve les articles intéressants, la mise en page agréable et le Cahier Formation très bien fait. »
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