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Ultraconcurrence sur les DM en EHPAD

Publié le 14 juin 2008
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Avec l’intégration des dispositifs médicaux dans le budget de soins (forfaitisé) des maisons de retraite, l’officine se retrouve sur un marché désormais totalement ouvert, avec une concurrence qui s’annonce extrêmement dure, dans le cadre d’une restriction budgétaire à deux chiffres !

L’arrêté est tombé au Journal officiel du 4 juin : à partir du 1er août, les dispositifs médicaux (DM) fournis aux résidents de maisons de retraite sans PUI (pharmacie à usage intérieur) ne seront plus pris en charge individuellement au titre de la LPPR mais seront facturés aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à hauteur de 2,32 Euro(s) par jour et par résidents.

Ce texte n’est pas une surprise. « La réintégration des DM dans le forfait de soins des EHPAD était prévue depuis deux ans, mais, après un premier report, tout le monde pensait que le projet serait à nouveau décalé », explique Christophe Garnier, responsable marketing santé chez Orkyn’. Or la direction de la Sécurité sociale est passée en force lors du dernier PLFSS, informe Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). « Sans aucune négociation, ni sur le montant, ni sur les produits concernés ! », déplore-t-elle. Finalement, l’enveloppe passera de 165 MEuro(s) (!) à 320 MEuro(s) via une « ultime négociation ».

Les pharmaciens, peut-être préoccupés par d’autres menaces, ont été « absents », estime Florence Arnaiz-Maumé. « Notre proposition était de ne forfaitiser que les DM répondant aux besoins globaux de l’établissement, et non aux nécessités propres à un résident, commente Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. Nous n’avons pas été écoutés. » « On nous avait exclus des discussions lors du PLFSS 2007, commente de son côté Yves Trouillet, président de l’Association de pharmacie rurale. Il est clair que 2,32 Euro(s) par jour et par personne, c’est une catastrophe. Surtout en y intégrant la supplémentation. »

Un tiers de budget en moins !

Quelle baisse de budget représentent ces 2,32 Euro(s) ? Personne n’a vraiment pu faire le calcul dans les EHPAD, puisque la dépense sera mutualisée sans tenir compte de l’état des résidents. Yves Trouillet estime que cela représente 20 000 Euro(s) de CA annuel en moins pour son officine qui travaille avec un seul établissement. A l’usage, on évalue à 3,46 Euro(s) par résident et par an la dépense de DM, informe de son côté Caroline Blochet, pharmacienne membre du comité de direction de Medissimo. 2,32 Euro(s), cela représenterait donc une baisse de… 33 %. Avec une croissance des DM à deux chiffres, il semble que l’Assurance maladie ait voulu taper fort en raison d’abus récurrents, notamment dans le cadre de la fourniture de lits. « Elle a aussi pointé des dérapages sur la supplémentation orale, qui avait parfois tendance à se substituer à la restauration collective », informe Christophe Garnier.

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Conséquence de ces restrictions budgétaires imposées aux établissements, les officines sont exposées à une concurrence féroce, qu’il s’agisse d’appels d’offres ou de négociations de gré à gré. « A 847 Euro(s) de budget annuel par résident, la consigne à nos adhérents est de mener des négociations extrêmement dures sur les tarifs et sur la maintenance du matériel, comme sur les petites fournitures, que les établissements continueront par définition à prendre chez le pharmacien », confirme Florence Arnaiz-Maumé. « C’est simple, analyse Caroline Blochet, les pharmaciens, qui ont pour l’instant la moitié du marché, vont se retrouver en situation de concurrence exacerbée avec des groupes spécialisés, y compris cotés en Bourse, et il va y avoir une course folle au niveau des offres. »

« Cela ne veut pas dire que le pharmacien sera exclu, relativise Gilles Bonnefond. L’établissement ira certainement au moins-disant pour les équipements lourds. Mais je pense que sur les besoins personnalisés (pansements, nutriments…), le pharmacien gardera sa place. » Quant à la supplémentation, « on sait déjà qu’il suffira de quelques résidents nourris intégralement par sonde pour exploser le budget. Nous avons dit aux pouvoirs publics que cela aboutirait forcément à des sélections à l’entrée », lance Florence Arnaiz-Maumé.

Double contrôle de la CNAM

Comment les pharmaciens peuvent-ils réagir ? « Il faut monter des solutions alternatives. C’est ce que nous avons fait avec nos clients pharmaciens, explique Christophe Garnier : une offre de location modulable fluctuant en fonction des besoins des résidents dans le temps. Les pharmaciens peuvent négocier à travers nous, nous faisons des économies d’échelle et pouvons rester compétitifs. » Chez Medissimo, « on a anticipé en intégrant depuis un an les DM dans le conventionnement entre officinaux et EHPAD. La perte de profitabilité peut au moins être compensée par une forme de sécurité. Et puis nous avons notre centrale de référencement. »

La déléguée générale du Synerpa précise de son côté qu’il y aura parfois des possibilités d’« extrabudgets », notamment pour les établissements renouvelant leur convention tripartite [NdlR ; entre la maison de retraite, le conseil général et la DDASS], lesquels bénéficient de dotations plus importantes. « Mais la solution n’est pas de faire des transferts de l’hébergement vers les soins », complète Florence Arnaiz-Maumé.

In fine, on comprend que les pharmaciens fonctionnant de façon isolée auront beaucoup de mal. Car il y aura, globalement, très peu de marge de manoeuvre pour les EHPAD. Une circulaire de février dernier adressée aux préfets indiquait que les établissements devaient fournir chaque semestre à la caisse locale la liste des personnes hébergées, faute de quoi l’Assurance maladie pourra réclamer des indus. Les préfets doivent aussi veiller à ce que les directeurs d’établissement remettent un « compte d’emploi », « de telle sorte que les financements de l’assurance maladie qui n’auraient pas reçu l’affectation prévue fassent l’objet d’un reversement ». De plus, « la CNAMTS effectuera des contrôles pour prévenir les doubles prises en charge des dispositifs (ville et forfaits de soins) ».

« Certains acteurs commencent à perdre les pédales »

Le Synerpa est en tout cas partisan de remonter au créneau sur ce dossier dans le cadre du PLFSS 2009, si possible avec les syndicats de pharmaciens. Au passage, on notera que les 320 MEuro(s) attribués aux DM dans l’ONDAM médicosocial, aussi insuffisants soient-ils, manqueront par ailleurs à l’enveloppe de soins de ville dont dépendent les médicaments… « Pour la profession, c’est un avertissement avant une éventuelle forfaitisation des DM pour tous les patients en ville », craint Caroline Blochet. Gilles Bonnefond n’y croit pas, mais, en revanche, « la tentation est forte de la part de la direction de la Sécurité sociale d’inclure aussi le médicament dans le forfait de soins. » « Au moins, les EHPAD se rendront-ils compte avec les DM de ce que cela donnerait sur le médicament », commente Yves Trouillet. En attendant, le marché se tend et « certains acteurs commencent à perdre les pédales », observe Christophe Garnier. Avec un véritable dumping à la clé et des prix parfois divisés par deux. La bataille a déjà commencé, et elle s’annonce sauvage.

Les DM listés par l’arrêté

A compter du 1er août, tous ces DM devront faire l’objet d’une facture spécifique à la maison de retraite, dans le cadre du forfait de 2,32 Euro(s) par jour et par patient, totalement indépendante de la fourniture de médicaments qui continuera d’être facturée pour chaque patient à l’assurance maladie.

I° Petit matériel et fournitures médicales :

Abaisse-langue ; accessoires pour ECG ; crachoirs ; doigtiers ; fils à suture ; gants stériles ; garrots ; masques ; bandes de crêpe et de contention ; articles pour pansements ; dispositifs pour autocontrôle (urine, sang) ; nutriments pour supplémentation orale et entérale, sondes nasogastriques ou nasoentérales ; dispositifs pour incontinence urinaire (à l’exclusion des stomies) ; sondes vésicales pour hétérosondage intermittent ; seringues et aiguilles.

II° Matériel médical amortissable* :

Aspirateurs à mucosité ; matériels nécessaires pour sutures et pansements ; pèse-personnes ou chaises-balances ; pompes pour nutrition entérale ; otoscopes ; stéthoscopes et tensiomètres ; thermomètres électroniques ; appareils générateurs d’aérosol et nébuliseurs associés ; appareils de mesure pour glycémie ; matériels de perfusion périphérique et leurs accessoires (pieds à sérum, potences, paniers de perfusion) ; béquilles et cannes anglaises ; déambulateurs ; fauteuils roulants à pousser ou manuels non affectés à un résident particulier pour un handicap particulier ; sièges pouvant être adaptés sur un châssis à roulettes… ; lits médicaux et accessoires ; soulève-malade mécaniques ou électriques ; matelas simples, matelas ou surmatelas d’aide à la prévention d’escarres et accessoires de protection ; compresseurs pour surmatelas pneumatiques à pression alternée ; coussins d’aide à la prévention d’escarres ; chaises percées avec accoudoirs ; appareils de verticalisation.

* Pour le matériel amortissable, les EHPAD pourront recourir à des contrats de location/entretien ou de location/vente. En revanche, concernant les lits, une circulaire leur a demandé depuis plusieurs mois de recourir à l’achat et non plus à la location.