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Reconditionnement et sollicitations
Dans les maisons de retraite, sous l’impulsion des sociétés spécialisées dans le reconditionnement, la bataille fait plus que jamais rage autour du médicament. Où l’on parle de marché quand on pourrait parler de santé.
Ambiguïté. D’un côté, le reconditionnement de piluliers peut être l’étape ultime d’une bonne délivrance. De l’autre, à grande échelle, c’est souvent le moyen de gagner un appel d’offres voire de solliciter de la clientèle auprès des collectivités. Or les observateurs, à commencer par l’Ordre, constatent que cette pratique se développe. Ainsi Manrex, l’un des fabricants leaders de matériel à (dé)reconditionner, s’est lancé dans une offensive commerciale auprès des officinaux, arguant de la future obligation pour les maisons de retraite de reconditionner les médicaments. Légalement ? Rien n’est moins sûr en ce qui concerne l’officinal. Commercialement ? Possible, ce dernier étant de plus en plus amené à concéder d’importantes remises (jusqu’à 10-15 %), mais aussi du service (gratuit), dont le reconditionnement. Et les directeurs de maison de retraite n’hésitent pas à demander les noms de pharmaciens équipés par Manrex.
Des officines prêtes à tout.
Autre exemple, celui de la centrale de référencement pour maisons de retraite AMi2-HA, créée à Caen mais rayonnant sur une quinzaine de villes françaises, qui avait convié mi-janvier un certain nombre de responsables de maisons de retraite à une réunion. Premier argument choc : « Savez-vous que vous n’avez pas droit de reconditionner les médicaments dans votre établissement ? Cela relève du pénal. Vous avez intérêt à les faire faire par le pharmacien, il a un monopole. » Second argument choc : « La constitution de piluliers, c’est une heure par tranche de huit lits et par semaine. Le laisser au pharmacien, c’est un salaire économisé pour vous. » Et de les informer que certains officinaux fournissent ce service… Lors de la même réunion, la société Médissimo, spécialisée dans les dispositifs médicaux, signalait qu’elle lançait une activité de reconditionnement, laquelle pourrait donc être sous-traitée pour un établissement ou un officinal. A noter que les deux responsables de la société tiennent une officine…
Qu’il s’agisse d’appels d’offres (premières conventions tripartites ou cures médicales, de plus en plus rares) ou de captation officieuse du « marché des ordonnances individuelles » d’un établissement, les pharmaciens doivent faire de plus en plus de concessions pour décrocher le marché. « Si vous ne le faites pas, le médicament vous échappera au profit des PUI », s’entendent-ils dire. « Sauf qu’au départ, ce sont des officinaux qui ont proposé aux établissements de le faire, nuance Pierre Bastide, président du syndicat de Haute-Garonne. Quand les directeurs l’ont appris, ils l’ont demandé à tous. »
S’ensuivent deux problèmes pour l’officinal. D’une part, qui sera responsable en cas d’incident avec un résident ? Le pharmacien qui a reconditionné ou bien l’établissement, dont l’infirmière, l’aide-soignante, voire la femme de chambre a effectué la dispensation ? Dans le vide juridique ambiant, ce sont les tribunaux qui trancheront. D’autre part, comment amortir économiquement le reconditionnement (qu’il soit sous-traité ou qu’il ait nécessité l’investissement dans un matériel de plusieurs milliers d’euros), si ce n’est… par les volumes ? La sollicitation de clientèle, déjà fort répandue vis-à-vis des maisons de retraite, deviendrait presque une nécessité économique.
L’Ordre travaille sur des recommandations.
A Dourgne, dans le Tarn, l’officine locale travaillait avec une maison de retraite voisine : « Nous travaillions avec des remises de 5 % sur les sections de cure, explique Daniel Demery, son titulaire. Lorsqu’ils ont signé leur convention tripartite, ils nous ont de tout suite demandé quelles remises on ferait et avec quels services derrière. Ils voulaient que l’on gère leurs armoires ! Le confrère qui a eu le marché de cet établissement parmi d’autres est toujours sur la route… Je trouve que ce n’est pas du boulot. Nous, après avoir fait nos calculs, il était hors de question de faire 15 % de remise et de reconditionner. Cela dit, avec la perte de CA, on a dû se séparer d’une personne… »
Une charte de bonnes pratiques est prévue de longue date par les instances professionnelles. « Mais le médicament dans les maisons de retraite n’est pas une priorité pour le ministère, déplore Yves Trouillet, président de l’APR. Nous, nous la voulons cette charte. Je ne conçois la fourniture à une maison de retraite que dans ma zone géographique et en partageant avec mon confrère local. Et je ne suis pas d’accord avec l’idée d’autoriser le reconditionnement. Le pharmacien qui achète une machine ne le fait pas pour la santé publique. Et sous prétexte qu’il est capable de mettre des pilules sous plastique, il viendrait piquer des ordonnances au confrère local qui a toujours joué un véritable rôle de garde vis-à-vis de l’établissement ! »
Un groupe de travail ordinal, qui se réunira pour la troisième fois de l’année le 4 mars, se penche sur l’élaboration de recommandations qui pourraient être publiées au milieu de l’année. L’idée : sécuriser le reconditionnement pour les officinaux qui le réalisent pour quelques patients qui en ont la nécessité, et clairement positionner hors des clous ceux qui le font à grande échelle, voire qui le sous-traitent. « Dans la foulée, je compte bien travailler avec l’inspection pour faire respecter ces bonnes pratiques dans ma région, note Jean-Jacques Des Moutis, président du conseil régional d’Ile-de-France. Réaliser un référentiel sans le faire appliquer n’a pas de sens. »
Avec comme toile de fond la pénurie de personnel dont souffrent les maisons de retraite, la problématique du reconditionnement des médicaments semble avoir abouti à une situation dont tout le monde essaie de tirer parti : directeurs de maison de retraite, fabricants de matériel, intermédiaires… et certains pharmaciens. « Cette guerre pour le marché des maisons de retraite est invraisemblable. Un pharmacien de Toulouse s’est mis par exemple à fournir un établissement de Saint-Béat, situé à 132 kilomètres ! Cela me dépasse : le fric, le fric… Et la santé ? », conclut Bernard Champanet, président du syndicat du Tarn.
Les PUI reviennent par la petite porte
Fin 2001, la profession s’était battue pour modifier la loi sur les pharmacies à usage intérieur (PUI) afin qu’un établissement médicosocial ne puisse se fournir auprès d’une PUI d’un autre établissement. Deux ans après, un texte autorise de fait un tel fonctionnement. Une ordonnance dite « de simplification de l’organisation du système de santé », du 3 septembre 2003, prévoit en effet que les groupements de coopération sanitaire, qui mettent en commun des équipements entre établissements de santé, peuvent mettre en place une PUI, comprendre à la fois des établissements publics et privés, et enfin s’ouvrir aux établissements médicosociaux de même qu’aux professionnels médicaux libéraux.
« La loi est déjà détournée. » Dans ce cadre juridique, une maison de retraite peut donc très bien se fournir dans la PUI fournissant aussi, par exemple, un hôpital public si elle a intégré le même groupement de coopération sanitaire. « Cela ne changera pas grand-chose sur le terrain, relativise Pierre Crouchet, vice-président de l’APR, car la loi était déjà détournée via certains montages. » Il n’y a plus qu’à espérer que les établissements privilégient l’officine libérale à la PUI.
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