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QUAND UNE INFIRMIÈRE TRAVAILLE À L’OFFICINE

Publié le 22 septembre 2012
Par Marie Luginsland
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Arrivées en janvier 2011 à la suite des diététiciennes dans 150 officines du groupe PHR, huit infirmières assurent en France des « consultations » mensuelles de prévention. Un service offert aux patients par des titulaires désireux de donner une dimension nouvelle à la pratique officinale.

Ce vendredi, Carole arrive à Guignen, une commune de 3 500 habitants située à vingt-six kilomètres au sud de Rennes. Comme chaque mois, elle passe la journée dans la pharmacie de Françoise Lefeuvre et de Jocelyne Flori, depuis six ans sous enseigne Pharma Référence. Salariée depuis septembre 2011 de Team Pharma, un groupement d’employeurs ouvert à tous les pharmaciens, adhérents ou non de PHR (voir Le Moniteur nos 2832 et 2867), Carole effectue quelque 3 000 kilomètres par mois pour visiter les vingt pharmacies de six départements de l’Ouest avec lesquelles elle travaille.

Aujourd’hui, l’équipe de l’officine a recruté cinq patients en prévision de la visite de l’infirmière diplômée d’Etat. « En période scolaire, il m’arrive de voir jusqu’à neuf personnes par jour », indique Carole, qui consacre en moyenne trois quarts d’heure aux patients, qui la sollicitent majoritairement pour des pathologies chroniques (hypertension, cholestérol, diabète, asthme…), mais aussi pour des problèmes d’addictions ou de dépression.

Une prestation d’une valeur de 40 euros offerte

Ancienne infirmière à l’hôpital de Vannes, Carole s’est frottée pendant sept ans aux astreintes du métier dans les services de soins généraux et d’oncologie. « Nous n’avions pas le temps de parler aux patients et d’écouter leur souffrance », se souvient-elle. A l’officine, elle se réjouit de pouvoir redonner du sens à la relation avec les patients : « Il n’est pas rare que certains ouvrent les vannes de leur mal-être. » Carole explique cette confiance que lui accordent les patients par le caractère professionnel et clos que représente une consultation en pharmacie.

Les deux titulaires précisent bien à leurs patients qu’il s’agit d’une prestation d’une valeur de 40 euros qui leur est offerte. « Face à la désertification médicale et à une demande de prise en charge accrue de nos patients, cette offre répond réellement à des attentes que nous ne pourrions satisfaire seules. Il n’est matériellement pas possible de consacrer quarante-cinq minutes au comptoir… Par ailleurs, notre commune ne compte qu’une seule généraliste, âgée de 63 ans, et qui ne sera peut-être pas remplacée », expose Françoise Lefeuvre, qui reçoit en moyenne 130 patients par jour. Pour cette officine dont l’activité dépend à 73 % des ordonnances, la fidélisation des patients est primordiale : « Nous voulons leur donner des raisons de nous préférer », déclare Jocelyne Flori.

Recruter des patients n’est pas chose facile

Les deux officinales, qui font déjà de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) et mènent des entretiens concernant la pilule du lendemain, envisagent un DU de suivi thérapeutique pour renforcer les conseils en prévention et en ETP. Carole, elle, découvre la pharmacie. Etre itinérante lui demande une grande faculté d’adaptation, mais elle apprécie l’accueil qui lui est réservé dans chacune des pharmacies et le travail en équipe pluridisciplinaire. « L’une des conditions de fonctionnement du service est la bonne entente et l’intégration dans l’équipe de l’infirmière. Dans le cas contraire, je n’aurais pas pu poursuivre la collaboration », reconnaît Jocelyne Flori.

Ce sont les titulaires et les préparatrices qui invitent les patients – dont elles décèlent les besoins – à prendre rendez-vous avec l’infirmière. Le recrutement reste cependant la question la plus épineuse. « Il est souvent difficile de trouver les mots justes pour suggérer au patient un entretien avec l’infirmière », consent Jocelyne Flori, qui conseille de bannir certains termes comme « votre cholestérol » ou « votre diabète », trop stigmatisants. L’équipe de Team Pharma travaille d’ailleurs sur un document afin d’aider les titulaires et les équipes à optimiser le recrutement. En fin de journée, Carole « débriefe » l’équipe qui lui a adressé les patients afin de parfaire le recrutement.

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Des patients qui se sentent « reconnus » dans leur officine

Parmi les cinq patients recrutés pour ce vendredi arrive Guillaume, pour qui son épouse a pris rendez-vous après avoir vu une affiche au comptoir. Ce jeune homme de vingt-neuf ans est venu consulter l’infirmière pour un sevrage tabagique. Aucun discours moralisateur. Carole procède aux examens : mesure de la glycémie, du cholestérol et de la tension. Elle explique au jeune homme l’utilisation du peakflow (débitmètre de pointe) et décèle un essoufflement anormal ainsi que des pulsations irrégulières. Une entrée en matière médicale qui permet à l’infirmière d’ouvrir le dialogue sur le quotidien du jeune homme : rythme de travail déstabilisant, contraintes financières mais désir omniprésent de conserver son énergie pour sa femme et son tout jeune bébé…

Mis en confiance, Guillaume livre davantage de clés qui permettent à l’infirmière de comprendre l’origine de sa dépendance au tabac et d’établir un protocole taillé à sa mesure : se fixer une date d’arrêt total du tabac et utilisation de patchs dosés à 7 mg sur un mois voire deux. Carole l’invite à revenir la voir dans deux mois et l’engage à revoir son médecin traitant. Car il n’est pas question pour elle de se substituer aux médecins ni de concurrencer ses collègues libérales, mais au contraire de les décharger des tâches de dépistage et de prévention. Guillaume a bien retenu néanmoins qu’il pourrait revenir voir la « coach santé » (terme consacré par Team Pharma) quand il le souhaiterait si le sevrage lui était trop difficile à supporter. « J’avais déjà consulté il y a trois ans, et mon médecin, qui me connaît depuis toujours, m’avait prescrit Champix et des gommes à mâcher. Mais c’était différent. Avec l’infirmière, la consultation n’est pas uniquement médicale. Il y a un côté plus intime, plus humain, je me sens plus à l’aise », observe Guillaume.

Pendant ce temps, Alfred attend son tour. Sorti d’une longue hospitalisation, il a besoin de commenter son séjour. Car, comme il le regrette, son médecin traitant n’a pas « le temps de discuter, ni d’aborder [ses] problèmes psychologiques ». Dans sa pharmacie, il se sent « connu et reconnu » et apprécie « l’ouverture et l’accessibilité du lieu ».

Grâce à l’infirmière et à l’offre de Françoise Lefeuvre et Jocelyne Flori, Guillaume et Alfred ont saisi intuitivement le virage que prend aujourd’hui la pharmacie. Mais la démarche du groupement PHR, toute visionnaire qu’elle soit, ne risque-t-elle pas d’être prise de court par les nouvelles missions du pharmacien ? Carole reste tout à fait confiante : « Je crois que beaucoup des pharmaciens avec qui je travaille continueront à me déléguer ces tâches. »

Françoise Lefeuvre et Jocelyne Flori en quatre dates

• 1984 Françoise Lefeuvre est diplômée de l’université de Rennes.

• 1978 Jocelyne Flori est diplômée de l’université de Rennes.

• 1981 Installation de Jocelyne Flori.

• 1990 Installation de Françoise Lefeuvre.

• Spécialités : prévention, dépistage, développement durable, aromathérapie, phytothérapie. L’officine est certifiée qualité et qualité durable.

Si vous avez envie d’essayer

Les avantages

• L’intervention de l’infirmière permet une ouverture positive et incite à remettre en cause sa pratique officinale.

• Elle renforce la cohésion du travail en équipe.

• En offrant un meilleur suivi des patients, elle donne une spécificité à l’officine.

• Elle contribue à se recentrer sur le cœur de métier, métier qu’elle rend plus intéressant.

Les inconvénients

• Il est encore difficile de communiquer sur cette prestation dans la mesure où elle est souvent associée à des notions médicales. Il ne faut pas donner l’impression que « l’hôpital débarque à l’officine ! »

Leurs conseils

• « Adhérer entièrement à ce concept, avoir envie d’être proche de ses patients et d’échanger avec d’autres métiers. »

• « La question d’espace de confidentialité ne doit pas être un obstacle à la pratique de cette prestation. Les officines ont toutes un bureau à prêter une à deux fois par mois, même si ce n’est pas toujours simple. »

• « Afin que les patients respectent bien les rendez-vous, il y aurait un avantage à mettre en place un système de caution qui marquerait la valeur du service. »

L’AVIS DE L’ÉQUIPE

Martine, préparatrice :

« L’intervention d’une infirmière donne une bonne image de marque à l’officine et nous donne une longueur d’avance sur la loi HPST. Cela valorise notre métier. Toutefois, nous avons plus de difficulté à recruter des patients pour l’infirmière que pour la diététicienne. Si la diététicienne a une connotation positive auprès des patients car elle est synonyme de bien-être, le rendez-vous avec l’infirmière renvoie, lui, à la maladie. »