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Quand les univers pèsent…

Publié le 25 août 2021
Par Thierry Pennable
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Reconnaître une surcharge mentale. Cumuler un métier et la gestion du domicile peut exercer une pression trop importante pour être assimilée. Ce n’est pas une fatalité.

De quoi s’agit-il ?

Définitions et précisions

→ La charge mentale est la charge cognitive pesant sur un individu. Le « cognitif » englobe les mécanismes mentaux en œuvre dans l’acquisition des connaissances : la perception, la mémorisation, le raisonnement, la résolution de problèmes et les processus de la pensée au repos.

→ Elle a d’abord été identifiée chez les femmes pour décrire la coexistence des préoccupations liées à leur profession et à la gestion du domicile. Plus que leur simple addition, c’est la coexistence constante de ces deux univers qui est visée. Les pensées liées aux obligations du domicile sont encore préoccupantes sur le lieu de travail, et inversement.

→ La charge mentale se distingue de la charge physique. Mentale renvoie à toutes les opérations cognitives qui entourent et s’ajoutent à la tâche à effectuer : organisation, planning, mise en œuvre…

Une notion plus large

La notion de charge mentale désigne plus largement les efforts cognitifs liés aux préoccupations qui incombent à tout individu, homme ou femme, célibataire ou en couple. Ce sont les difficultés à supporter cette charge qui posent problème. Sont particulièrement concernés les jeunes actifs qui se lancent en même temps dans la vie professionnelle et familiale sans les « astuces » pour assimiler les changements intervenant dans leur quotidien.

Une petite révolution

Considérer comme du travail le fait de s’occuper des enfants ou de parents âgés, de cuisiner, de faire le ménage et les courses a été une petite révolution. C’est dans les années 1960, sous l’impulsion des mouvements féministes, que le travail domestique effectué par les femmes a commencé à être reconnu. Par la suite, ce travail invisible non rémunéré a fait l’objet d’études qui l’ont qualifié et quantifié.

Quels sont les signes ?

Une mauvaise tolérance à la charge mentale quotidienne se manifeste par des signes souvent insidieux et pas toujours faciles à détecter. Fatigue, épuisement, anxiété, troubles du sommeil ou de l’alimentation, voire idées obsédantes font partie des signaux d’alerte. Ils peuvent être les symptômes d’une pathologie de type trouble anxieux, dépression ou burn-out. En l’absence de diagnostic, la charge cognitive peut être simplement trop lourde pour la personne.

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Mieux gérer le temps

Évaluer le temps réel

→ Attention à la sous-estimation du temps réellement nécessaire à l’accomplissement de chaque tâche. Une tâche non terminée faute d’y avoir octroyé assez de temps est la source d’une préoccupation qui encombre l’esprit, jusqu’à se transformer parfois en idée obsédante.

→ Temps estimé ou réel. Évaluer la différence entre le temps estimé et le temps réellement nécessaire à la réalisation d’une tâche corrige cette sous-estimation. « Vous pouvez noter rigoureusement le temps estimé (TE) et le temps réel (TR) pour chaque travail. Par exemple, laver la salle de bains TE = 45 minutes/TR = 1 h 15, se préparer pour une sortie TE = 15 min/TR = 30 min, temps de trajet pour récupérer les enfants TE = 10 min/TR = 25 min… En considérant la durée réelle de chaque activité, vous pourrez prévoir un planning plus réalisable, ce qui abaissera votre charge mentale ». À l’inverse, les tâches non terminées par manque de temps alimentent l’idée que le temps passe trop vite et qu’il n’y en a pas assez pour tout faire. Un sentiment qui incite à la précipitation, avec beaucoup d’efforts fournis pour une moindre efficacité, ce qui alourdit la charge mentale.

Gérer le « temps masqué »

Pour assurer les tâches domestiques en plus de leur métier, les femmes recourent à ce qu’on appelle le « travail en temps masqué » dans l’industrie, c’est-à-dire un travail réalisé en même temps qu’une autre activité. Par exemple, lancer une machine à laver pendant les heures de travail, faire ses courses ou prendre des rendez-vous pour les enfants pendant que la voiture est en révision, etc. Le problème est que cette organisation des tâches n’est pas utilisée ponctuellement pour augmenter sa productivité, mais qu’elle devient permanente. Et que le temps gagné sert à d’autres tâches, au détriment d’un moment de détente privilégié en famille ou pour soi-même.

Prendre un temps pour soi

« Je n’ai pas une minute à moi ». Prendre du temps « pour soi » est un facteur important pour assimiler la charge mentale quotidienne. Ce temps doit correspondre à une activité choisie pour votre propre plaisir : lecture, promenade, sport, mais en aucun cas un temps «pour ne rien faire». Cette activité doit être décidée, planifiée, mise en œuvre. Les conséquences positives ou négatives doivent ensuite être évaluées pour que son intérêt soit identifié et reconnu.

Valoriser son travail

Lister les choses faites

→ Une réalité. Préparer le petit déjeuner, lever les enfants, vérifier les cartables, se préparer pour partir au travail avant d’accompagner les enfants à l’école après avoir rangé… Si elles ne sont pas identifiées et comptabilisées, ces différentes activités peuvent rester invisibles, y compris aux yeux de celui ou celle qui les réalise.

→ Établir la liste des choses faites dans une journée en les répertoriant scrupuleusement fait prendre conscience objectivement de tout le travail accompli. Cette liste provoque souvent un petit choc chez son auteur. Elle est indispensable pour prendre conscience de la charge mentale investie pour organiser la réalisation de ces nombreuses tâches. C’est une condition préalable à toute démarche en vue d’améliorer les difficultés rencontrées.

Ne pas banaliser

Même si la plupart des tâches quotidiennes ne sortent pas de l’ordinaire, ce serait une erreur de les banaliser. Il faut au contraire considérer l’investissement total consacré à leur réalisation, en temps et en efforts fournis. En se félicitant soi-même de l’investissement mis au service du bon fonctionnement du foyer.

Le faire savoir

En parler à son entourage permet de partager cette reconnaissance du travail accompli. Cela peut susciter des messages positifs des proches. Ces marques d’attention auront pour effet un « renforcement positif » qui motive pour répéter ce travail et permet de mieux supporter une charge reconnue par tous.

Il existe des outils

Évaluer chaque tâche

Quand la liste des choses faites est trop chargée, que l’on est sans cesse en train d’anticiper les tâches suivantes et qu’on se sent « à bout », il est temps de s’intéresser au poids de la charge mentale. La « décentration dans le temps » est une technique issue des thérapies comportementales et cognitives. Elle consiste à se demander quelle importance aura dans cinq ans le fait d’avoir effectué telle tâche aujourd’hui et pas un autre jour. Selon la réponse, il est possible d’alléger le planning de la journée et la charge associée.

Oser des substituts moins coûteux

Une autre technique revient à se demander quel impact aura le fait de substituer à une tâche un équivalent moins coûteux en charge mentale.

Lorsqu’une réception d’amis est prévue, est-il indispensable de cuisiner la totalité du repas ? Quel impact aurait réellement sur la qualité du moment passé ensemble le fait de recourir à des légumes surgelés ou d’acheter un gâteau déjà prêt ? La vérification de cet impact au moment du repas peut amener à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de s’épuiser encore plus avant l’arrivée des convives…

Se faire aider

→ Consulter. Un état d’épuisement et/ou d’anxiété qui évolue depuis plusieurs semaines doit faire l’objet d’un avis du médecin. Il pourra éliminer une pathologie organique et dépister une dépression ou un burn-out, qui sont à traiter.

→ Des thérapies existent. Pour une prise en charge des difficultés, la thérapie comportementale et cognitive (TCC) et la thérapie interpersonnelle (TIP) sont préconisées, qu’un diagnostic soit posé ou non. Cette aide d’un thérapeute spécialisé permet de se repositionner face à la charge mentale et/ou d’agir sur ses causes. Pour se faire une idée plus précise de cette charge et des astuces pour la gérer, le livre du Dr Aurélia Schneider, La charge mentale des femmes et celles des hommes (Larousse, 2018), est un bon outil.

Avec l’aimable participation du Dr Nicolas Neveux, psychiatre à Paris en thérapies comportementales et cognitives et thérapies interpersonnelles, auteur du site www.e-psychiatrie.fr

Avis de spé

La charge mentale peut révéler un diagnostic”

Dr Nicolas Neveux, psychiatre à Paris, auteur du site www.e-psychiatrie.fr

La charge mentale n’est pas un diagnostic en soi. C’est la réaction de la personne en difficulté face à la charge mentale qui pose question. Dans certains cas, une mauvaise tolérance à cette charge peut révéler un diagnostic qui explique la souffrance ressentie. Les diagnostics les plus fréquemment rencontrés sont de types troubles anxieux, dépression ou burn-out. Les symptômes sont alors ceux de la pathologie en cause, comme des symptômes de burn-out en cas de burn-out. Mais il n’y a pas systématiquement un diagnostic. C’est le cas lorsque la situation exerce par elle-même une pression trop forte pour des capacités « standard » d’assimilation de la charge mentale.