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Pharmaciens, militaires et chercheurs

Publié le 3 novembre 2001
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On peut être militaire et faire des recherches de pointe. C’est le cas à l’Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées, rattaché au ministère de la Défense. Des pharmaciens y sont affectés. Rencontres.

Il faut obtenir les autorisations adéquates et montrer patte blanche pour pénétrer dans l’enceinte de l’Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées (IMASSA). Il n’y a là rien d’anormal puisque ce site est rattaché au ministère de la Défense. Situé à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne, il compte environ 120 employés (un tiers de civils) dont la moitié se consacre à la recherche et à l’expertise. Le personnel militaire, soit 80 personnes, est essentiellement constitué de médecins ainsi que de deux pharmaciens-chimistes en chef, tous deux lieutenants-colonels.

Bruno Huart s’est engagé au début de ses études de pharmacie en passant le concours d’entrée du service de santé des armées. Il a alors suivi le cursus universitaire classique à la faculté de Lyon. Il s’engage ensuite dans la voie des concours pour accéder aux différents échelons hiérarchiques. Un concours lui ouvre les portes de l’assistanat de spécialité pharmaceutique, celui de spécialité lui permet d’accéder au rang de chef de laboratoire.

Bruno Huart rejoint l’IMASSA l’an dernier pour prendre en charge le laboratoire de chimie et de toxicologie analytique. Ce laboratoire vient en support pour les départements de recherche et effectue les analyses émanant du service de santé des armées ou d’autres établissements de recherche. Il assure, par exemple, la mise au point de techniques de dosages et de méthodes analytiques. Le laboratoire de chimie est en outre le centre de référence en matière de lutte contre la toxicomanie dans les armées. « Nous participons aux enquêtes épidémiologiques relatives aux comportements toxicophiles. Par ailleurs, un dépistage systématique est réalisé lors des visites d’aptitude pour le personnel navigant civil ou militaire ; nous réalisons donc les analyses toxicologiques sur les échantillons d’urine par spectrométrie de masse », précise Bruno Huart.

Pour assumer ses missions, le laboratoire est doté d’équipements performants tels qu’un spectromètre de masse couplé à une chromatographie en phase gazeuse, une chromatographie liquide haute performance ou une torche à plasma. L’expertise de ce laboratoire est aussi mise à profit en cas d’accident aérien militaire pour rechercher dans les liquides biologiques la présence de toxiques (oxyde de carbone, alcool, psychotropes, etc.) susceptibles d’en être la cause ou d’en être un facteur aggravant. Enfin, il est sollicité pour effectuer des analyses environnementales. « Nous recherchons les micropolluants organiques et minéraux dans l’eau de consommation, comme les pesticides ou les métaux lourds, ou celle de polluants atmosphériques. Cette mission s’apparente à celle de la médecine du travail, avec des recherches de solvants dans les ateliers par exemple », explique-t-il.

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Des recherches sur la mémoire des pilotes

Christophe Piérard a rejoint la carrière militaire à la fin de ses études de pharmacie. Après deux années d’activité en chimie analytique, puis de dépistage des toxicomanies avec un objectif médico-légal, il décide, en rejoignant l’IMASSA, de s’engager vers la recherche. Il obtient un DEA en neurosciences puis réalise une spécialisation en recherche biochimique et microbiologique (sans équivalent civil) avec soutenance d’une thèse en biochimie. Maintenant rattaché au département de physiologie de l’IMASSA, il a dans un premier temps participé aux recherches concernant le modafinil, molécule indiquée dans le traitement de la narcolepsie. Les travaux réalisés – et publiés – ont permis de mieux appréhender le mécanisme d’action de ce médicament, notamment par des études chez l’animal. Ils ont aussi montré son intérêt pour maintenir la capacité d’éveil en cas de missions de longue durée.

Depuis deux ans, Christophe Piérard travaille sur tous les aspects de la mémoire en milieu aéronautique. « Car la mémoire procédurale des pilotes et des contrôleurs aériens est particulièrement sollicitée ; en outre, des troubles peuvent survenir en cas de stress ou de modification environnementale », souligne-t-il. Ces recherches sont menées en collaboration avec le laboratoire de neurosciences comportementales du CNRS à Bordeaux. Des études ont aussi été menées chez l’animal et chez le sujet sain pour évaluer les effets des environnements extrêmes sur les performances de la mémoire.

Par ailleurs, Christophe Piérard a mis au point un modèle animal pour étudier les répercussions physiologiques de facteurs d’agression telles que l’hypoxie et l’ischémie auxquelles les pilotes peuvent être soumis. Ses recherches sur l’animal font appel en particulier à la spectrométrie par résonance magnétique nucléaire. Le laboratoire de chimie maintient par ailleurs une collaboration avec l’université en accueillant continuellement des pharmaciens dans le cadre d’une thèse ou d’un mémoire. Actuellement un étudiant travaille sur la mise au point du dosage de pesticides dans l’eau.

« La carrière militaire m’a permis de poursuivre des études et me le permet encore, ce que je n’aurais sans doute pas mené à ce point en tant que civil, conclut Christophe Piérard. Elle me permet aussi aujourd’hui de participer à des recherches de pointe, très enrichissantes. » De quoi susciter des vocations.

Les axes de recherche de l’IMASSA

L’Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées a un rôle pédagogique de formation et une mission de recherche s’articulant en trois départements. Le département de physiologie aérospatiale étudie les répercussions des conditions extrêmes et des facteurs d’agression auxquels l’organisme est soumis en milieu aéronautique, et les moyens d’y remédier. Influence de la gravité ou de l’apesanteur, de la modification des rythmes biologiques, des situations de stress et améliorations ergonomiques sont autant de projets traités par ce département. Le département des sciences cognitives s’intéresse aux modalités d’intégration visuelle et auditive des informations et à la gestion globale de la sécurité. En particulier, des recherches sont engagées sur l’analyse des erreurs humaines et sur les agressions sonores ou visuelles, dans un but de prévention. Enfin, le département de médecine opérationnelle (délocalisé sur la base aérienne de Mont-de-Marsan) réalise des études appliquées sur le terrain et centrées sur l’analyse du facteur humain, dispense un enseignement aéromédical aux jeunes pilotes et procède à l’homologation des équipements.