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Patrice J aillon

Publié le 31 mai 2008
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Le professeur Patrice Jaillon est le président du Centre national de gestion des essais des produits de santé (CeNGEPS), une structure mise en place dans l’optique d’améliorer l’attractivité de la France en matière d’essais cliniques. Le point un an après sa création.

Quelle est la genèse du CeNGEPS ?

La mise en place de ce groupement d’intérêt public a démarré à l’initiative du Leem. Si notre pays conserve une position importante dans les essais cliniques – c’est le deuxième pays recruteur de patients après la Scandinavie compte tenu du nombre d’habitants -, la dernière étude de 2006 du Leem sur l’attractivité de la France a révélé des éléments alarmants. Le CeNGEPS est né de ce constat. Le Conseil supérieur des industries de santé avait également signalé en son temps un risque réel de « délocalisation » des essais cliniques. Le CeNGEPS vise à professionnaliser l’organisation de la recherche clinique en France. Nous bénéficions d’un budget annuel d’environ 10 millions d’euros issus d’une taxe sur le chiffre d’affaires des industriels.

Quels sont ces signes alarmants ?

Le premier est la faiblesse de la vitesse de recrutement des patients. La France est classée dans la partie inférieure de l’Europe et de tous les pays du monde avec 1,4 patient recruté par mois, contre 1,7 patient en moyenne. Il faut bien sûr pondérer ce chiffre avec le nombre d’habitants. Un des objectifs majeurs du GIP est d’accélérer cette vitesse de recrutement. Le deuxième point porte sur les délais de mise en place des études, beaucoup trop longs. Ce délai est essentiellement lié aux calculs des coûts des essais.

Comment explique-t-on cette lenteur ?

En pratique, les médecins français sont surchargés de tâches cliniques ou organisationnelles. Ils ont à gérer dans le même temps des patients, du personnel et un service. Il ne leur reste que très peu de temps et d’énergie à consacrer au recrutement des participants à un essai. Il s’agit d’un processus long qui réclame beaucoup d’explications. En outre, cette démarche ne répond pas à la même relation médecin-patient que dans le cadre d’une consultation. En lui demandant d’accepter de participer à l’étude, le médecin attend du patient d’être partie prenante à l’essai. Par ailleurs, le fait que les malades français soient bien pris en charge par la Sécurité sociale les rend moins enclins à participer à un essai. Les soins et les médicaments sont gratuits et la qualité du service très bonne. Alors que dans d’autres pays, les patients sont plus volontaires car c’est l’occasion d’accéder à des traitements qu’ils n’auraient pas eus autrement.

Pourquoi les délais sont si longs ?

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Principalement en raison de la nécessité de calculer la convention financière de l’étude. Il faut en moyenne 1 à 3 mois pour évaluer le coût d’un essai monocentrique. Quand l’essai est réalisé dans plusieurs hôpitaux, les délais peuvent aller jusqu’à 6 à 9 mois, le temps que l’ensemble des centres signent leurs conventions et qu’ils s’accordent sur le coût de l’essai avec le promoteur.

Faut-il s’alarmer de la situation ?

Je reste optimiste parce que nous avons tout de même des indicateurs qualitatifs qui montrent que notre pays est bien placé : qualité dans la prise en charge, dans la tenue du cahier d’observation, dans le suivi et le nombre limité de perdus de vue. Les industriels continuent de venir en France car elle a les capacités par son système de santé et son organisation de poursuivre la conduite d’essais. Le sentiment le plus souvent rapporté pointe du doigt une démotivation… Mais si la France s’y met, elle a les capacités de rebondir.

Quels sont les leviers d’amélioration ?

Nous allons favoriser l’émergence d’un nouveau métier en France, celui de technicien d’essais cliniques [voir encadré p. 40]. A ne pas le confondre avec l’attaché de recherche clinique, qui est un contrôleur qualité, payé par le promoteur et dont la mission est de s’assurer auprès de l’investigateur que le protocole est respecté. La révision de la loi Huriet de 2004 a d’ailleurs clarifié sa fonction. Il s’occupe de tout l’environnement logistique d’un essai. Un travail fondamental, même si cela paraît trivial.

A-t-on une cartographie précise des essais conduits en France ?

Non. Un des objectifs du CeNGEPS est de savoir ce qui se passe. Personne n’a la liste exacte des essais cliniques menés en France, du nombre de malades impliqués, etc. Dans notre premier appel, nous avons demandé aux DIRRC [délégations interrégionales de recherche clinique, NdlR] d’établir la cartographie des essais de leur région. Nous sommes en train de mettre en place un logiciel dans tous les hôpitaux de France pour alimenter une base de données nationale qui autorisera le suivi des inclusions. A partir du moment où un médecin est un investigateur, il est identifié, l’essai aussi. Un premier prototype sera testé en juin en partenariat avec le ministère de la Santé. Le logiciel sera ensuite installé dans tous les CHU français d’ici à la fin 2008.

Envisage-t-on également la mise en ligne des résultats des essais ?

Cela ne figure pas dans les attributions du CeNGEPS car les résultats appartiennent aux promoteurs. Il a obligation de fournir, 12 mois après la fin d’un essai, le rapport final de toutes les études réalisées en France. Dans l’absolu, je souhaite personnellement que les résultats soient publiés, y compris les négatifs, pour la vérité scientifique. Mais il n’existe pas de moyen législatif contraignant. Seule l’administration est au courant de l’ensemble des résultats.

Quels sont les autres outils prévus ?

Nous nous battons pour pousser tous les acteurs impliqués dans la recherche clinique à conclure un accord sur une grille nationale de calcul des coûts des essais cliniques. Car pour une même étude et un même protocole, le coût passait du simple au double d’une Région à l’autre. Ce que les industriels ne comprenaient pas. Nous sommes dans les dernières étapes des négociations. Nous butions sur des difficultés de chiffrage des coûts des prestations pharmaceutiques. Les DIRRC ont signé et se sont engagées à la faire respecter. Cette grille devrait accélérer les délais de calcul des coûts. Nous espérons également que ce logiciel de suivi nous permette de ne plus perdre de vue un seul patient. Les Scandinaves savent le faire. Sur des essais très longs de 5 ou 10 ans, aucun malade n’est perdu de vue !

Quelle place accordez-vous aux pharmaciens dans l’amélioration de la recherche clinique française ?

J’observe que depuis que les pharmaciens sont responsables de la gestion des médicaments des essais réalisés à l’hôpital, c’est beaucoup mieux géré en termes de respect des conditions de stockage, du suivi des dates, etc. Nous avons gagné en sérieux. Pour le moment, la loi et les décrets n’ont pas prévu l’intervention des pharmaciens d’officine. Sur le plan théorique, il est possible d’envisager des essais impliquant des médecins de ville et donc des pharmaciens d’officine. Mais cela peut poser des problèmes concurrentiels entre pharmacies de ville. Le patient devra se rendre dans une pharmacie indiquée par le médecin investigateur qui ne sera pas forcément la sienne.

Quelle autre place accorder aux pharmaciens d’officine ?

Je vois bien leurs compétences à l’oeuvre pour des essais post-AMM. Aux Pays-Bas, par exemple, c’est déjà le cas. Le CeNGEPS réfléchit aux moyens de mieux expliquer les essais au grand public, avec le souci de souligner leur nécessité dans le progrès thérapeutique. Le pharmacien a un rôle clé à jouer en informant et rassurant. Nous devrons donc mieux préparer les pharmaciens.

Comment vont les relations avec les associations de patients ?

Avec la réforme de la loi Huriet en 2004, elles ont considérablement évolué. Les représentants d’associations sont désormais membres de droit des comités de protection des personnes qui livrent les avis favorables aux essais cliniques. Les associations sont au courant des essais. Elles participent à la réécriture des formulaires destinés aux patients quand cela est nécessaire. Elles font en sorte que tous les éléments soient bien compréhensibles de tous les malades. La mise en ligne prochaine du Registre des essais cliniques [voir ci-dessus] permettra aux associations de demander des informations supplémentaires sur des protocoles et les répercuter à ses membres. Cela concourra à améliorer la diffusion des informations et, in fine, le recrutement des patients.

Le rapport de force entre associations et industriels va-t-il évoluer ?

La situation a évolué depuis l’avènement du sida où les gens mouraient. N’importe quel médicament était en ATU pour un accès aux soins de malades en danger de mort. Nous sommes sortis de cette ambiance-là. Même dans le cancer, nous avons quelques traitements dans l’arsenal thérapeutique. Nous avons appris qu’il valait mieux valider les traitements, leur balance bénéfice/risque, avant de les dispenser plus largement.

La mise en ligne des essais incitera-t-elle les industriels à plus de transparence ?

Si vous faites référence à une tentative de dissimulation de résultats d’études moins positives, je peux vous dire qu’aujourd’hui il est très difficile de mettre sous le boisseau quoi que ce soit, notamment grâce au Registre. Même si des progrès restent à faire dans la détection d’effets indésirables, c’est de la responsabilité des agences – en France, l’Afssaps – de demander des comptes aux industriels. Depuis l’été 2006, une directive européenne est stricte du point de vue de l’organisation de la pharmacovigilance des essais. Désormais, tout promoteur d’essai doit déclarer dans les 7 jours les effets graves comme des décès. Et dans les 15 jours les effets secondaires graves ne mettant pas en danger la vie des malades. Chaque année, un rapport fait état de l’avancement des essais et des effets indésirables détectés.

Va-t-on observer davantage d’essais comparatifs aux traitements les plus récents ?

Aujourd’hui, toutes les études sont comparatives soit au placebo (obligatoire), soit aux traitements de référence. C’est à la Commission de la transparence de réclamer des études comparatives avec les derniers produits commercialisés. Il est en effet assez contradictoire, à l’heure où nous tentons de rationaliser les choses, de ne pas avoir accès à ces données.

Doit-on envisager une loi plus coercitive ?

Une loi en fonction de laquelle la Sécurité sociale ne rembourserait un traitement que s’il a été comparé au dernier médicament produit dans l’indication ? Mon avis personnel est que c’est souhaitable.

Doit-on en craindre une qualité moindre des essais menés dans un pays « émergent » ?

Absolument pas. En Europe de l’Est, les essais sont moins chers et la vitesse de recrutement plus rapide. Les contrôles de qualité, eux, restent universels. Il n’y a pas d’essais au rabais. Inclure un malade ne se fait pas entre deux portes, cela exige une bonne connaissance de la maladie, des traitements et des malades.

Essais cliniques et Afrique rime souvent avec des affaires scandaleuses. Quel est votre sentiment sur la question ?

Il faut aider ces pays à remonter leurs degrés d’exigences de qualité, notamment via l’OMS. En ce qui concerne les laboratoires, les moyens de pression pour une éthique universelle existent déjà. Mais je dois souligner qu’il y a eu une grande évolution dans les pays développés. L’Europe, les Etats-Unis et le Japon ont harmonisé leurs pratiques à la fin des années 1990. Ils se sont accordés sur des normes de qualité. Pourquoi ne pas le faire en Afrique ? Il faut croire que les industriels ne poussent pas en ce sens et que les administrations locales ont d’autres priorités. Je ne comprends pas que l’OMS ne soit pas plus active sur ces tentatives d’harmonisations des normes éthiques.

Observe-t-on une délocalisation de la recherche clinique en Afrique ?

Pas vraiment. La nouveauté est qu’enfin les essais réalisés là-bas sont adaptés aux populations et à leurs pathologies les plus graves et fréquentes. La situation n’est pas irrémédiablement bloquée.

Ces derniers temps, des méta-analyses ont révélé l’efficacité douteuse de certains traitements. Comment l’expliquez-vous ?

Il ne faut pas confondre les méta-analyses, qui sont des « compilations » d’études cliniques permettant, en augmentant le nombre de patients, de détecter des effets significatifs mais minimes et des effets indésirables rares, et les études pharmacoépidémiologiques post-AMM, où l’idée est de comprendre comment se comporte un médicament dans la vie réelle. Toutes les interactions médicamenteuses n’ont pas été explorées. La situation la plus fréquente est liée à la durée limitée des essais cliniques et du fait que les patients ont été sélectionnés et bien encadrés. Or des effets indésirables graves très rares ne sont observés que lorsque le traitement est largement prescrit.

Dans l’absolu, la recherche clinique sera-t-elle toujours aussi risquée ?

Il existera toujours un risque pour le patient. Notre devoir est de l’en informer. De ce point de vue, les progrès ont été importants, notamment en termes de toxicologie prédictive. Les laboratoires sont proactifs car ils ont lancé avec la Commission européenne l’« Initiative médicament innovant » qui vise tout spécialement à renforcer la découverte de modèles prédictifs de la toxicité de médicaments en développement. De quoi limiter les surprises au cours du développement.

La pharmacogénomique ne limitera-t-elle pas ce risque ?

Tout à fait, mais pas pour le moment car c’est beaucoup plus compliqué que ce que l’on pensait. Nous sommes le plus souvent face à des affections dans lesquelles des multitudes de gènes sont impliquées dans une pathologie donnée. Ce travail d’identification est un chantier énorme. Il existe néanmoins l’exemple du traitement du cancer du sein couplé à la caractérisation génétique de la tumeur à traiter (gènes BCRA1 et BCRA2). Pour le moment, ce qui est réalisé de façon exhaustive est la consignation des échantillons d’ADN des participants aux essais dans des banques d’ADN. Les chercheurs, eux, travaillent à l’identification de marqueurs génomiques. Nous pourrons ensuite retourner dans ces banques et tenter d’améliorer l’approche thérapeutique.

Un registre national des essais cliniques

C’est entériné : la loi prévoit que l’Afssaps publie un registre public des essais cliniques autorisés en France. L’Agence attend la publication de l’arrêté pour le mettre en place. « Après cette publication, nous avons quatre mois pour le mettre en ligne », souligne Chantal Bélorgey, chef du département de l’évaluation des médicaments à statut particulier et des essais cliniques à l’Afssaps.

Dans un premier temps, le registre collectera les essais sur les médicaments. Puis, il inclura ceux sur les dispositifs médicaux. Il est même prévu dans une prochaine étape de mettre en ligne les résultats des essais cliniques, ce qui est une première. Ce registre ne sera pas tout à fait identique au Clinical Trials américain. « La grande nouveauté, c’est que l’enregistrement est obligatoire et c’est l’Afssaps qui a pour mission de publier l’essai », insiste Chantal Bélorgey.

Un registre européen est également sur les rails. « L’Agence européenne devrait lancer l’initiative dès 2009. Ce registre ne collectera que les données des essais cliniques sur les médicaments uniquement », précise Chantal Bélorgey.

De son côté, l’Organisation mondiale de la santé propose un système international d’enregistrement des essais cliniques. Lancée en 2006, l’initiative vise à mettre en ligne un portail renvoyant à plusieurs registres publics comme celui de l’Afssaps. Objectifs : harmoniser les normes pour l’enregistrement de tous les travaux de recherche médicale sur des sujets humains et concourir à une plus grande transparence.

Naissance d’un nouveau métier

Pour améliorer la vitesse de recrutement des patients, le métier de technicien d’essais cliniques a été créé. Son rôle : épauler les investigateurs au quotidien. Il passe dans le service le matin, repère les candidats potentiels à l’essai et les signale à l’investigateur. Il prépare le dossier et préremplit le cahier d’observation. Ensuite, il organise les rendez-vous pour des examens préalables, en programme les prochains, assure le transfert, etc. Quel est son profil ? C’est un bac + 2 ou 3 issu d’une formation de type biologie. Il a également suivi un diplôme universitaire d’une année, baptisé « DU de techniciens d’essais cliniques ». Auparavant, le diplôme s’appelait « Formation des assistants de recherche clinique » (FARC). Il a été rebaptisé depuis deux ans « DIU FARC-TEC ». Cette formation existe dans les grandes villes universitaires.

Les recrutements sont en cours. Environ 140 à 150 techniciens devraient êtres recrutés sur toute la France.