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Offrir un temps à ses patients

Publié le 1 novembre 2018
Par Christine Julien
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L’écoute et l’empathie. Instaurer une relation avec un client nécessite de laisser son ego au vestiaire pour entrer dans un dialogue sans jugement, et de limiter sympathie, apathie et antipathie.

Ouvrir ses sens

Communiquer, c’est quoi ?

→ Transmettre réciproquement. Thierry Wable définit, dans son ouvrage, la communication à l’officine comme « l’ensemble des interactions qui permet aux hommes, pharmaciens et patients, de se transmettre des informations de façon réciproque dans le but d’une dispensation de médicaments de qualité » (voir remerciements).

→ Établir une relation thérapeutique d’aide et de confiance. Même si certains n’attendent pas plus que la délivrance de médicaments, une relation de qualité et une implication permettent l’alliance thérapeutique dans un respect mutuel. Elle allie votre crédibilité en tant que détenteur d’informations et votre confiance en vous, et la perception du patient que vous êtes concerné par ses préoccupations de santé.

Interagir

Communiquer consiste à transmettre des informations et à en recevoir. C’est interagir. En fonction de ce que vous percevez, vous devez être capable de réajuster votre discours, et d’adapter votre posture en prenant en compte les besoins, les valeurs et la culture de l’autre. Entrent en jeu :

→ des besoins de sécurité, de reconnaissance, d’estime… ;

→ des types psychologiques : l’individu estil plutôt extraverti ? Se fie-t-il plus à son intuition ou à son jugement rationnel ?

→ des aspects culturels : certains sont très fatalistes, croyants, pudiques, avec des codes très différents des vôtres…

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Rectifier si besoin

Une bonne communication est faite de dysfonctionnements. Communiquer n’est pas un long fleuve linéaire. D’où l’importance de conserver un regard critique et affûté sur sa façon d’interagir. Savoir, « sentir » quand son message n’a pas été bon, le reconnaître, le dire à l’autre et rectifier. Si le patient manifeste son incompréhension, en fronçant les sourcils, dites : « Je suis désolé, je n’ai peut-être pas été très clair. Vous permettez que je reformule ? » Dans 99 % des cas, les patients acceptent, sans même être gênés de cette situation. Dire « Je suis désolée, j’ai oublié de… Vous permettez que… », signifie que ce que vous avez dit avant et ce que vous direz après, vous le savez véritablement ! Et c’est rassurant pour l’autre.

Se connaître

Votre personnalité est de la partie quand vous entrez en relation. Bien se connaître est important pour modifier et ajuster son comportement à l’autre en fonction de ses besoins à lui. Exemple : si un client est plutôt introverti et demandeur de faits objectifs, et vous, plutôt impulsif, vous adopterez une attitude plus réservée, utiliserez des arguments factuels et direz, par exemple : « Ce médicament agit sur les centres de la douleur pour limiter le ressenti désagréable », et non « Vous verrez, ça marche, faites-moi confiance ! »

Accueillir

Chaque client qui pousse la porte doit être considéré. Offrez un regard, un sourire sur un visage ouvert et gratifiez-le d’un « bonjour ». Si vous êtes déjà en train de servir et de parler ou d’écouter quelqu’un, levez les yeux vers celui qui entre et signifiez d’un regard et d’un sourire que vous l’avez vu. Vous lui montrez de l’estime, ce qui facilitera la suite de la relation.

Faire silence

Moins parler

Le patient doit parler plus que vous. L’écouter est le premier pas de l’empathie (voir plus loin). En le laissant s’exprimer, vous apprendrez beaucoup de choses. Entrez vite dans le vif du sujet.

→ Poser une question ouverte. « Comment ça va ?/Comment ça se passe avec votre traitement ?/Comment ça se passe avec votre nouveau médicament ? »

→ Attendre la réponse. Accordez un vrai silence de 3 secondes au moins pour montrer que vous avez du temps à consacrer au patient, et que ce silence ne vous dérange pas. À éviter : regarder sa montre, consulter l’ordinateur…

→ Accordez-lui 2 à 3 minutes pour parler. C’est le temps nécessaire pour recueillir un maximum d’informations dès le début. Si vous le coupez dans les 30 secondes, il vous faudra davantage de temps pour aller à la pêche aux infos. Des petites choses émergent souvent en début d’entretien et permettent de cerner la problématique.

Travailler vos freins

→ N’ayez pas peur qu’un patient parle trop. Parfois, vous coupez le patient très rapidement de peur qu’il « vous embarque ». Or, le patient bavard, souvent sympathique, est quelqu’un que l’on peut couper sans problème en disant : « Oui, je comprends mais vu le monde, il me semble préférable qu’on aille dans le vif du sujet dans votre intérêt. » Il ne se formalise pas, d’ailleurs, il est bavard avec tout le monde !

→ Éviter le côté « café du commerce ». Les conversations sur le temps qu’il fait ou les résultats du foot doivent être anecdotiques et adaptées car, de manière générale, le patient désire plutôt discuter du sujet qui lui importe, lui. Et de plus, votre temps n’est pas extensible !

→ Bannissez le « je domine ». Le diplôme, la blouse et la position derrière le comptoir sont des signes de position « haute » en communication. Le patient se sent « petit », alors pas la peine d’y ajouter un ton condescendant, et « laissez-moi parler, c’est moi qui sais »

Adopter l’empathie

Un temps accordé à l’autre

Empathie vient du grec ancien « en » = dans, et de « patheia » = ce qui est éprouvé, souffrance, sentiment. L’empathie désigne selon les dictionnaires « la capacité de s’identifier à autrui, d’éprouver ce qu’il éprouve » ou « la faculté de ressentir les émotions d’autrui et de se mettre à sa place, sans cependant s’identifier à lui ». Alors, s’identifier ou pas à l’autre ? Pour René Maarek, formateur en entretien motivationnel, « l’empathie consiste à mettre son ego de côté, ses jugements et sa façon de voir les choses et offrir un temps à l’autre pour entrer dans sa problématique ». La posture empathique pourrait se traduire par : « Je comprends le problème de l’autre mais je ne partage pas l’affect ».

Distinguer quatre postures

Pour comprendre l’empathie, il faut la différencier des 3 autres postures : la sympathie, l’apathie et l’antipathie. Pour chacune, prenons le cas du client qui dit : « Je n’arrive pas à avaler les comprimés. »

→ Sympathie : je comprends le problème de l’autre ET je partage l’affect. Exemple. Vous : « Moi aussi, j’ai du mal pour avaler certains comprimés. Je vais vous donner autre chose. »

→ Antipathie : je comprends le problème de l’autre MAIS je m’oppose à sa formulation. Exemple. Vous : « Je comprends mais vous pouvez faire un effort quand même, ce n’est pas la mer à boire d’avaler ce comprimé. »

→ Apathie : je ne comprends même pas son problème. Exemple. Vous : « Il est petit, je ne comprends pas pourquoi vous n’arrivez pas à l’avaler. »

→ Empathie : je comprends le problème de l’autre ET je l’aide à trouver une solution. Exemple. Vous : « Je comprends que ça puisse vous stresser de prendre le comprimé. Est-ce que vous avez des difficultés à manger du pain ? » Lui : « Non. » Vous : « Et si vous mettiez le comprimé dans de la mie de pain avant de l’avaler ? » L’empathie vise à comprendre le problème, à chercher une solution avec les infos recueillies et à la soumettre au patient.

Connaître leurs effets

→ La sympathie enlève de l’autonomie, l’empathie responsabilise : tout professionnel de santé doit veiller à renforcer l’autonomie du patient, le responsabiliser et à lui donner des outils pour affronter sa maladie et tout imprévu. Qui trop accompagne, ôte de l’autonomie ! Exemple. L’empathie consiste à dire : « Est-ce que votre mode de vie peut poser un problème avec la prise de ce traitement ? » Le patient : « Ben oui. Il faut que je le prenne 3 fois par jour pendant les repas et je ne mange qu’une fois par jour ». Vous : « Nous allons voir ensemble comment vous allez pouvoir trouver une solution. Vous n’êtes pas obligé de faire 3 repas, mais vous pouvez sans doute faire des petits en-cas ? » Dans la version « sympathie », vous : « Bon OK, alors on va supprimer un médicament et on va le remplacer par un autre. »

→ Antipathie et sympathie sont stigmatisantes : l’antipathie est le fait d’éprouver un sentiment négatif envers une personne parce qu’elle nous rappelle quelqu’un que l’on n’aime pas. À l’inverse, pour la sympathie, l’analogie se fait avec une personne appréciée. Ces deux postures faussent la relation d’emblée car elles mettent en jeu des affects.

→ L’apathie et l’antipathie conduisent au jugement : dans l’apathie par exemple, très vite, nos valeurs, jugements ou opinions l’emportent. C’est ce qui peut arriver face à une jeune fille qui n’a pas utilisé de contraception ou un homme qui fait un usage intensif de la PrEP (lire p. 41).

Éviter les affects

Accepter la différence

→ Penser sans son filtre affectif. Écouter l’autre dans sa problématique, sans juger, est très difficile mais indispensable pour adopter une pos ture de soignant. Exemple : une personne demande une seringue alors qu’elle est sous Subutex. Le réflexe serait de dire qu’il ne faut pas, or l’objectif est la réduction des risques.

→ Proposer sans juger. Une jeune fille vient chercher la contraception d’urgence. « Je peux me permettre de vous poser quelques questions ? …Si vous venez chercher une pilule du lendemain c’est que vous n’utilisez pas de contraception a priori. Est-ce que vous voulez qu’on en parle ? » Toujours demander l’autorisation. « Me permettez-vous de vous apporter des informations parce que je pense que c’est important pour vous ? » Si elle ne veut pas, dites : « OK il n’y a pas de souci. Si la prochaine fois vous avez des questions, eh bien je suis là »… C’est une posture empathique !

Acquérir l’attitude

Tout ce qui est non verbal et le paralangage, les silences, les mimiques, la position du corps, le regard… sont à mettre en version empathique : des bras posés sur le comptoir plutôt que pendants ou cachés, un buste droit ou un peu penché en avant mais pas trop pour garder une attitude professionnelle, le regard posé entre les yeux de son interlocuteur, une voix claire…